Rabbin Daniela Touati

Pirke Avot 5:16 : "Tout amour qui dépend de son objet, si l’objet disparaît, l’amour disparaît, Mais s’il ne dépend d’aucun objet, il ne cessera jamais."

Page 13 of 16

Paracha Kedoshim – Kehilat Yehudit, Nice 03 Mai 2019

קדושים תהיו כי קדוש אני יהוה אלוהיכם  (lev 19 :2).

Ce verset qui débute la paracha Kedoshim donne lieu à pléthore d’interprétations et contresens…quelle est cette notion de Kedusha – traduit habituellement par sainteté, partie intégrante de l’identité juive ? La première occurrence du mot kadosh qui a pour racine kuf dalet shin apparait dans Genèse 2:3 lorsque Dieu sanctifie le shabbat. Comme la plupart des racines hébraïques, le mot kadosh est polysémique : il signifie ‘saint’, mis de coté et renvoie aussi à la notion de retrait et de désengagement (ici du quotidien). C’est donc le temps qui est sanctifié en premier, c’est un accomplissement du travail de Création. Le shabbat est séparé des autres jours de la semaine.

Dans notre paracha cette injonction à la sainteté est immédiatement suivie par deux autres:

1/ d’une part la révérence – ir’ah (ou terreur)  que nous devons manifester envers nos parents, similaire à celle que nous devons manifester envers Dieu.

2/ et d’autre part, le respect du shabbat.

Les deux sont aussi importants, et ceci nous rappelle comme le précise Rachi, qu’au cas où nos parents nous induiraient en erreur, en nous détournant du commandement du respect du shabbat, nous devons au contraire, résister, en suivant le précepte du respect du shabbat.

Dans un sermon datant de janvier 1957, le rabbin anglais John Rayner dresse une liste de tout ce qui est sanctifié et ainsi ‘séparé’ dans le judaïsme. Le temps comme nous venons de le voir mais aussi des objets, des personnes, des lieux. Le shabbat et les fêtes – mikrae kodesh, les prêtres kohanim, Israel – la terre sainte eretz hakodesh, le Temple – Beit haMikdash , Jérusalem Yir hakodesh, le peuple am kadosh, mais aussi la Torah –torat hakodesh et la langue hébraïque – lashon hakodesh…Il y a aussi des actes considérés saints comme le mariage où le futur mari dit une bénédiction par laquelle sa future femme lui est consacrée : הרי את מקודשת לי בטבעת זו כדת משה וישראל.

Lors d’un décès, les bénévoles de la Hevra Kadisha prennent en charge l’un des commandements le plus difficile qui soit, parce qu’il exige beaucoup de compassion et est totalement désintéressé, c’est un acte de sainteté. Le travail de la Hevra Kadisha est méconnu et reste pour la plupart d’entre nous centré sur la toilette rituelle alors qu’il va bien au-delà avec la prise en charge et l’accompagnement de la famille endeuillée..!

D’où provient cette sainteté ? C’est Dieu qui la confère: que ce soit au temps, ou encore aux actes et aux objets. Mais surtout à nous les humains qui en respectant les commandements nous permet d’y accéder.

La liturgie elle-même nous parle de cette sainteté. Lors de la Amida et la prière dite de la Kedusha ne dit-on pas à trois reprises « kadosh kadosh kadosh » en se levant sur nos pointes de pieds comme si nous attendions de recevoir une petite aspersion de sainteté ?

Neshama Leibowitz précise que le verset de Kedoshim a une formulation particulière, ‘daber el kol adat bnei Israel’ : ce commandement doit être dit devant toute la communauté. La sainteté – Kedusha est égalitaire et concerne tout un chacun, pas seulement une certaine caste, celle des prêtres par ex.

A contrario, son frère Yeshayahou Leibowitz nous alerte contre le danger d’une certaine interprétation qui nous amène à croire que tout le peuple d’Israël de par sa nature même est saint, que nous ne sommes, par conséquent, pas responsables de nos actes, mais somme des élus passifs de Dieu. D’ailleurs dans la bénédiction sur le vin du kiddush que nous réciterons bientôt, l’élection est juxtaposée à la kedusha : « ki vanu vakharta  veotanou kidashta (mikol haamim)» : « car Tu nous as choisis et nous a sanctifiés parmi tous les peuples  » les deux semblent intimement liés…l’élection est une notion très mal comprise et définie à tort comme une forme de supériorité. Même en corrigeant l’erreur d’interprétation, vers son sens réel, de responsabilité, nous sommes mal à l’aise avec l’idée de séparation, de mise à l’écart, de ghettoïsation, qu’implique parfois la kedusha. Surtout si nous sommes plutôt portés vers l’universalisme !

Or une lecture distanciée de la notion de kedusha peut au contraire nous réconcilier avec cette idée et nous donner goût à sa pratique.

Si nous vivons tous les jours de manière indifférenciée, sans mettre de côté un temps pour souffler, nous ressourcer, réfléchir, échanger avec ceux qui nous sont chers, n’est-ce pas nous condamner à mourir ? Si nous ne pensons qu’à nous-mêmes et préférons les plaisirs en petit comité, séparés d’une kehila – d’une communauté, combien de temps survivrons-nous ? Si nous ne marquons pas par des rituels les moments importants de notre vie, qu’en restera-t-il?

C’est en cela que la sainteté est précieuse, c’est un espace-temps et un temps-relation qui est mis à part et qui est traité de manière distincte, avec beaucoup de soin et de respect.

Le rabbin John Rayner nous dit encore, « Dieu nous a sanctifiés par ces commandements et en contrepartie il nous est aussi demandé de sanctifier Dieu ». Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Peut-être est-ce agir en ayant conscience de sa propre kedusha-sainteté ? C’est-à-dire être très exigeant envers soi-même et son comportement envers autrui et dans le monde en général. N’oublions pas que ce n’est pas un privilège mais une responsabilité sainte ! Le rabbin Rayner nous dit aussi que c’est le plus haut degré de pureté qu’une personne peut atteindre, non pas une pureté rituelle mais une pureté de cœur et d’esprit.

La kedusha c’est être prêt à donner le meilleur de soi-même, à mettre tout son talent à l’ouvrage. C’est être engagé, diligent mais aussi rechercher une grande qualité d’exécution dans son travail qu’il soit rémunéré ou bénévole, dans la mesure où il nous tient à coeur.

En ces temps troublés, où nous sommes pris en tenaille entre ces barbares dits ‘religieux’, et des hommes et femmes politiques qui prônent un retour au populisme et/ou au fascisme, nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes, pour semer en nous et autour de nous ces graines de kedusha afin que ce monde soit plus vivable.

Nous avons de la chance de pouvoir temporairement laisser le profane et le quotidien à l’extérieur. Profitons de ce temps à part pour partager en cette – kehila kedosha – jeune pousse, dont il faut prendre soin et aider à grandir et à s’épanouir- un moment de complétude et de paix, de shlemut et de shalom !

Ken yhie ratzon,

Shabbat shalom,

Article Le Monde Des Religions avril 2019

Voilà le lien vers l’article paru dans le Monde des Religions

Paracha Tazria – Kehilat Gesher 5 Avril 2019

Exanthème, dartre, teigne, ulcère, tumeur, lèpre. Le Tanakh  s’est transformé ce shabbat en une sorte de traité médical, un Vidal de l’antiquité, pour nous parler d’un sujet peu appétissant : toutes les formes d’éruptions cutanées dont étaient infestés nos ancêtres les hébreux.


Aux chapitres 13 et 14 du Lévitique ces afflictions sont décrites avec détail de couleur, forme, taille et inclusion ou non de poil. Les termes hébraïques ont été difficiles à traduire dans la langue vernaculaire, car on ne sait pas vraiment à quoi ils se réfèrent et de quelles maladies de peau il s’agit ?

Faute de médecin, ce sont les prêtres – Cohanim qui dans l’Antiquité jouaient le rôle de guérisseurs. Ils devaient examiner sous toutes les coutures des parties parfois intimes des malades et les déclarer purs ou impurs, c’est-à-dire pouvant rester ou non dans le camp des israélites.

Les rabbins ont essayé de donner un sens à ce texte : si une telle maladie affecte un des leurs et les rend impurs, les oblige à rester en quarantaine, il y a bien une raison. Ce serait une punition divine. Mais quelle en était la raison ?

La première occurrence du terme tsaraat  apparait au chapitre 4 de l’Exode. Cela se passe après que Dieu se révèle à Moïse dans l’épisode du buisson ardent, et lui confie la mission de sortir son peuple de la servitude. Ce dernier se fait tirer l’oreille et refuse de prendre le leadership de son peuple. Il donne deux raisons : le peuple ne l’écoutera pas et ne le croira pas. L’Eternel pour convaincre Moise accomplit quelques prodiges. Il lui fait jeter son bâton à terre qui se transforme en serpent, puis lui demande de le rattraper alors le serpent redevient un bâton. Moïse doit ensuite mettre sa main en son sein, celle-ci devient blanche de lèpre puis quand il la ressort, elle redevient à nouveau normale.

de l’Exode v. 6:  ‘והנה ידו מצורעת כשלג’  ‘Et voici sa main est lépreuse comme la neige’.

Dans son commentaire basé sur le midrash Exode Rabbah 3 :13, Rashi en déduit que le bâton se transformant en serpent fait référence à sa médisance envers les israélites. C’est ainsi qu’est interprété son manque de confiance en son peuple. Comme sa main cachée, la médisance se pratique en cachette et mérite la peine de mort: ‘quiconque dans l’ombre calomnie son prochain, je l’anéantirai’ dit le psalmiste (101).

Mais essayons pour quelques instants de nous mettre dans la peau de nos Sages et de la logique qui leur a inspirés cette explication concernant la ‘tsaraat’. Quels sont donc les points communs entre les deux ?

Cette maladie de peau commence silencieusement puis petit à petit se répand, cachée au début, bientôt, elle va envahir tout le corps et sera visible de tous. Elle est non seulement désagréable mais défigure et enlaidit. Par-dessus tout, elle est contagieuse !

Le Lashon haRa est aussi une maladie contagieuse qui nous enlaidit. Nos Sages lui ont consacré de nombreuses halakhot. Ils ont composé un glossaire qui distingue les différentes formes de médisance.

Dans la Torah n’apparait que le terme Rekhilut: qui est l’interdiction de faire du commérage, et même de révéler l’opinion individuelle distincte de la décision d’un groupe.

Dans le talmud d’autres termes ont été ajoutés.

le Halbanat panim : l’interdiction d’humilier quelqu’un en public et la violence verbale.

le Lashon haRa qui est l’interdiction formelle de révéler explicitement ou implicitement, publiquement ou en privé, des vraies ou fausses informations concernant notre prochain sans sa permission. La seule circonstance dans laquelle le Lashon HaRa est permis est devant un Beit Din lorsqu’un témoignage est nécessaire. La médisance est une des transgressions les plus sévères, car elle a non seulement des conséquences psychologiques, sur la réputation de la personne ou du groupe, mais également physiques selon le midrash. C’est une plaie et on n’en sort pas indemne.

Baal Makhloket se dit d’un fauteur de troubles, c’est le seul contre lequel il est permis de faire du Lashon haRa.

Un dernier terme de ce glossaire mérite qu’on s’y arrête: le Motzi Shem Ra, c’est le stade au-dessus du Lashon haRa, qui est l’interdiction de diffamer et de calomnier. Dans le talmud, les rabbins ont fait le rapprochement entre le comportement de Myriam (et aussi d’Aharon) lorsqu’ils diffament Tzipora -la Koushit (la noire ?), la femme de Moïse. Cependant seule Myriam est frappée par la lèpre. Aharon et Moïse intercèdent en faveur de leur sœur pour la sauver du sort qui l’attend, et après 7 jours de quarantaine, elle est finalement guérie-et pardonnée par Dieu.  Les rabbins n’ont pas manqué de rapprocheret metzora et motzi shem ra qui serait son extension…celui qui ‘sort un mauvais nom’ autrement dit qui salit la réputation de quelqu’un.

Comme chacun le sait, la tentation de médire est irrépressible, de quoi seraient faites nos conversations si nous ne pouvions plus nous laisser aller à dire du mal de notre voisin ? Il nous faut cependant prendre conscience que la médisance et la calomnie, qui ont pris encore plus d’essor grâce ou à cause des réseaux sociaux, sont des maladies anciennes qui s’attaquent au lien social. Elles abiment aussi nos démocraties. Elles mettent en danger nos jeunes.

Les mots deviennent nos maux et nous empêchent d’entretenir des relations saines et dignes avec notre entourage. Aujourd’hui les psys et parfois aussi les rabbins se sont substitués au rôle joué par les Cohanim et au rituel qu’ils avaient mis en place. Car ces dérives de nos comportements peuvent aller jusqu’à porter préjudice, de manière insidieuse, à nos synagogues.

Alors que faire ? être chacun attentif à sa parole, et préserver notre langue de la médisance. Car comme le dit un de nos Proverbes 18:21

« La mort et la vie sont dans le pouvoir de la langue »…alors tentons de mettre plus de vie dans nos paroles.

Ken Yhie ratzon,

Hodesh Tov et Shabbat shalom !

Shabbat Pekoudei – KEHILAT GESHER 8 mars 2019

Car une nuée divine couvrait le Tabernacle durant le jour et un feu y brillait la nuit, aux yeux de toute la maison d’Israël, dans toutes leurs stations.

כִּי עֲנַן יְהוָה עַל-הַמִּשְׁכָּן, יוֹמָם, וְאֵשׁ, תִּהְיֶה לַיְלָה בּוֹ–לְעֵינֵי כָל-בֵּית-יִשְׂרָאֵל, בְּכָל-מַסְעֵיהֶם

Ainsi s’achève le livre de l’Exode ou livre des Noms – Shemot – que nous finirons de lire demain matin. C’est le livre qui a vu la naissance de notre peuple et le début de ses pérégrinations sous l’œil attentif de l’Eternel. Après s’être enfuis d’un lieu et d’une monarchie qui les avaient maintenus en esclavage, ils se sont dirigés lentement mais sûrement vers leur libération.

Cette expérience de la libération, il nous est demandé de la revivre tous les ans à Pessah comme si nous aussi, nous avions vécu l’esclavage en Egypte, dans ce lieu qui nous avait maintenu dans une étroitesse à la fois morale et physique. La libération est un objectif qui n’a pas de prix et n’a pas de moment. C’est ainsi que pour ma part, j’ai hâte de me libérer de cette tâche qui m’a été imposée pour obtenir ma smikha : l’écriture de mon mémoire. Cela fait deux mois que je suis enfermée chez moi, essayant de me plier à une stricte discipline pour aboutir dans les délais impartis à un résultat de recherche personnelle, qui se veut aussi un guide pour les années qu’il me sera donné d’exercer le métier de rabbin.

Celles et ceux qui se sont essayés à l’écriture, toutes proportions gardées, savent que c’est un exercice ardu, qu’il s’agit d’un véritable accouchement qui ne se fait pas sans douleur…C’est comparable à une délivrance.

Mon sujet de recherche porte sur la question suivante : comment la voix de Sion dans le livre des Lamentations peut nous aider à restaurer notre relation à Dieu ? J’ai choisi de mettre en dialogue Sion dans le livre des Lamentations et le Dieu qui pleure la destruction du Temple et de son peuple, dans une section de Lamentations Rabbah, pour finir par une proposition liturgique pour l’office communautaire d’Yizkor. Sion représente, selon certaines lectures, la ville de Jérusalem ou le Temple ou tout Israël (peuple, et terre)  ou encore une femme, une veuve, une jeune femme…de quoi s’identifier ou en faire un paradigme.

C’est un sujet essentiellement théologique qui interroge la relation à Dieu et à l’autre dans un monde habité par la violence et la souffrance.

Dans le livre des Lamentations, cette voix féminine demande des comptes à Dieu concernant son laisser-faire qui aboutit à la destruction de notre centre spirituel – le Temple et au génocide d’une partie conséquente de notre peuple, les habitants de Jérusalem décimés par les babyloniens en 586 avant notre ère. Comment a-t-Il pu laisser faire une telle catastrophe, quelle faute mérite une telle punition et humiliation, demande Sion ?

Ce sujet m’a beaucoup inspirée, car issue d’une famille qui a survécu à la Shoah, j’ai baigné dans une atmosphère de révolte et de rejet du judaïsme, vécu comme la marque de Cain. Et il m’a fallu un long cheminement pour revenir à la tradition de mes ancêtres avec un peu de sérénité et de foi. En étant une femme, le judaïsme traditionnel ne m’offrait qu’un strapontin et pas mal de mépris. C’est en découvrant le judaïsme libéral à Copernic, que j’ai trouvé ma ‘maison’ il y a plus de 25 ans. Comme le dit le verset plus haut, à partir de ce moment-là la nuée divine m’a accompagnée dans mon parcours, j’ai osé prendre plus de risques, étudier, lire dans la Torah, porter une kippa, un talit…même si les tefillin restent encore une étape à franchir.

Cela a été rendu possible par celles et ceux qui m’ont précédés, qui ont pris des risques, ont interrogé la nécessité d’actualiser un certain nombre de nos préceptes. Ils ont poussé les limites et ouvert des chemins nouveaux.

Israel Abrahams a été un des plus grands savants du judaïsme anglais à la fin du 19e et au début du 20è siècle. Professeur au Jews College le séminaire orthodoxe anglais et successeur de Solomon Schechter comme professeur de Talmud à Cambridge, il a été un des principaux inspirateurs du judaïsme anglais y compris libéral, grâce à son ouverture d’esprit et à sa vision de l’évolution de la tradition. Il la voyait comme une chance, voire une nécessité. Il disait à propos de la liturgie :

« La formulation de la vérité la plus haute nécessite une constante réévaluation, surtout lorsque la vérité est engoncée dans des habits. Quand le dogme prend la place de l’amour, la religion meurt. Et une liturgie qui ne peut évoluer, qui ne peut s’imprégner de l’enseignement religieux de l’époque, qui n’ose chanter à l’Eternel de nouveaux chants, une telle liturgie est une page imprimée, ce n’est pas une prière fraiche qui vient d’un cœur qui supplie.» 

C’est exactement cette vision du judaïsme qui m’a accompagnée dans les étapes de mon rapprochement de ma religion.

C’est également ce qui m’a guidée dans l’écriture de ce mémoire, je me suis questionnée sur ce qui permettait non seulement de ne pas rompre le lien avec Dieu et par ricochet avec l’autre, mais au contraire de le maintenir, le réparer et le renouveler, en inventant ‘un chant nouveau’.

Car nous vivons une période particulièrement troublée, où la méfiance vis à vis de l’autre, celui/celle qui ne se comporte pas comme nous, ne pense pas comme nous, ne fait pas partie du ‘même’ si cher aux algorithmes facebookiens, fait peur et nous menace. Cette distance ne fait que s’exacerber et tend à se transformer en confrontation violente…J’ai souhaité démontrer qu’en ajoutant davantage d’ingrédients dits féminins à notre cuisine relationnelle, en usant de courage, d’endurance face à la souffrance, d’empathie et d’écoute, qualités traditionnellement attribuées à notre part féminine, il était possible de renverser la tendance.

Le rabbin Pauline Bebe écrivait récemment sur le site Ecritures et spiritualités :

« [Et puis] il faut faire ensemble, tisser des liens avec ceux qui ne sont pas les mêmes car lorsque l’on marche ensemble, lorsque l’on mange ensemble, lorsque l’on rit ou l’on pleure, que l’on partage ses passions, ses secrets, on ne peut plus se haïr. »

C’est cela démultiplier l’image de Dieu sur terre, c’est cela construire le Temple symbolique dont nous avons tous besoin, c’est cela sanctifier le Nom de Dieu. Cheminer en ayant ces préceptes comme guides est l’assurance de préserver le cœur du judaïsme, tout en instillant le changement nécessaire, afin que chacun se sente à sa place, en lien avec l’autre et avec le Tout.

Ken Yhie Ratzon,

Hodesh tov et Shabbat shalom !

Paracha Vayigash – KEREN OR 14 Décembre 2018

 

Et Pharaon demande à Jacob : combien sont les années de ta vie (Genèse 47:8)? Quel est ton âge autrement dit ? C’est une drôle de manière de saluer et d’entrer en relation avec quelqu’un lorsqu’on le rencontre pour la première fois, n’est-ce pas ? Pharaon ne fait pas preuve d’un grand tact. Du moins, selon nos critères, en ces temps-ci et dans nos contrées. Mais ce monarque de droit divin est un quasi Dieu et il a tous les droits. Ce premier dialogue entre eux peut aussi se lire autrement : peut-être sont-ce les signes d’une amitié et intimité spontanées entre les deux hommes, dès leur première entrevue ?

Le commentaire de Nachmanide sur ce verset est le suivant : Jacob avait l’air tellement usé que la première question venue aux lèvres de Pharaon était celle concernant son âge. Et il poursuit, Pharaon n’avait pas l’habitude de voir des personnes aussi âgées en Egypte, sous-entendu, l’espérance de vie des hébreux étaient supérieure à celle des Egyptiens…Mais un autre commentaire vient un peu pondérer le chauvinisme apparent de cette analyse. En fait Jacob était moins âgé que les patriarches qui l’ont précédés mais avait l’air très vieux, ses tourments l’avaient marqués psychiquement et physiquement.

Plus étonnante encore et lapidaire est la réponse de Jacob : « yemey shnei megurei shloshim oumeat shana , meat veraym hayou ymey shnei hayyaï ». (Gen 47:9)

« Et Jacob répondit à Pharaon: ‘Le nombre des années de mes pérégrinations, cent trente ans. II a été court et malheureux, le temps des années de ma vie et il ne vaut pas les années de la vie de mes pères, les jours de leurs pérégrinations.’  »

Lire la suite

KEHILAT GESHER – 70 ans de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme 6 décembre 2018, Shabbat Mikketz Hanoucca

Alors que nous célébrons le 6e jour de Hanoucca, qui est une fête de résistance à un pouvoir qui opprime ses minorités, perçues comme une menace pour le pouvoir, prenons le temps de réfléchir au sens profond de cette fête.

Notre bénédiction d’allumage des bougies dit : Bayamim hahem et bazman haze…en ce temps là et en ce temps-ci, ce qui nous a inspiré à l’époque continue à nous inspirer à présent.

Nous avons choisi de mettre ce chabbat sous le signe de la déclaration Universelle des Droits Humains, rédigée il y a 70 ans presque jour pour jour, elle a été publiée le 10 décembre 1948.

La déclaration Universelle nait du refus de voir recommencer les atrocités de la 2e guerre mondiale. Même si elle n’est pas contraignante pour les peuples signataires, elle est symbolique et d’elle découlera également la Cour Européenne des Droits de L’homme

René Cassin en était l’un des rédacteurs, représentant la France au sein de cette prestigieuse et indispensable initiative.  Il faisait partie d’un comité composé de 8 personnes représentant la Chine, l’URSS, les Etats Unis, le Chili, la Grande Bretagne, la France, le Liban, l’Australie.

Mais qui est René Cassin ?

Lire la suite

Parasha Vayshlach – Kehilat Gesher, 24 Novembre 2018

Genèse 32 :11-12

קָטֹ֜נְתִּי מִכֹּ֤ל הַחֲסָדִים֙ וּמִכָּל־הָ֣אֱמֶ֔ת אֲשֶׁ֥ר עָשִׂ֖יתָ אֶת־עַבְדֶּ֑ךָ כִּ֣י בְמַקְלִ֗י עָבַ֙רְתִּי֙ אֶת־הַיַּרְדֵּ֣ן הַזֶּ֔ה וְעַתָּ֥ה הָיִ֖יתִי לִשְׁנֵ֥י מַחֲנֽוֹת׃

Je suis indigne de toutes les faveurs et de toute la fidélité que tu as témoignées à ton serviteur, moi qui, avec mon bâton, avais passé ce Jourdain et qui à présent suis devenu deux camps.

הַצִּילֵ֥נִי נָ֛א מִיַּ֥ד אָחִ֖י מִיַּ֣ד עֵשָׂ֑ו כִּֽי־יָרֵ֤א אָנֹכִי֙ אֹת֔וֹ פֶּן־יָב֣וֹא וְהִכַּ֔נִי אֵ֖ם עַל־בָּנִֽים׃

Sauve moi, de grâce, de la main de mon frère, de la main d’Ésaü ; car je crains qu’il ne m’attaque et ne me frappe, joignant la mère aux enfants!

Certains d’entre vous connaissent surement la musique composée et chantée par Yonatan Raziel[1] sur ces deux versets. En lisant ces deux versets de la paracha Vayishlach je les avais dans la tête.

C’est une très belle prière que Jacob adresse à Dieu alors qu’il est sur le point de rencontrer son frère Esaü. Frère qu’il n’a pas revu depuis plus de vingt ans. Depuis sa fuite de la maison paternelle. Conscient de la faute qu’il a commise, il en appelle à la protection divine car il craint la vengeance de son frère.

Selon Rashi Jacob reconnait qu’il est indigne de l’attention divine, qu’il est souillé et ne mérite plus ni la confiance que Dieu a placée en lui, ni les promesses qu’Il lui a faites. Vingt ans après il reste marqué par l’épisode du vol de la bénédiction paternelle, il ne s’est pas lavé de la faute du mensonge.

Au-delà de ces belles paroles, quelle est la réelle intention de Jacob ? Est-il enfin dans un processus de repentance ? Ou est-ce seulement sa peur qui s’exprime voire sa révérence envers son frère ? Selon certains commentateurs le verbe Yaré oto[2]  au verset 12 ne signifie pas peur mais plutôt une forme d’admiration fraternelle. A cette prière en tout cas, Dieu ne répond pas.

Lire la suite

Hesped Michel Slon, 1928-2018

Hesped Michel Slon, 1928-2018

Moshé ben Abraham ou Michel, permettez-moi de l’appeler notre patriarche était né le 1er mai 1928 à Varsovie. Lorsque la guerre éclate en 1939, il a 11 ans et son père a la bonne idée de mettre la famille à l’abri, d’abord à la campagne puis en Urss.   Ils sont quatre frères et sœurs, Guénya, Michel le numéro deux, et deux bébés à l’époque, Irène et Charlie. Il passera toute la guerre en Russie et sera scolarisé normalement.

La fin de la guerre ne signifie pas la fin des pérégrinations, bien au contraire. Lorsqu’ils essaient de rentrer à Varsovie, ils découvrent au fur et à mesure, les champs de ruine laissés par la guerre et les  horreurs de la Shoah. Ils évitent de peu d’être pris dans le pogrom de Kielce en 1946. A ce moment il n’est plus question de rester en Pologne.

Aidés par une organisation juive sioniste, ils entament un long et dangereux périple à travers l’Allemagne, l’Autriche, traversent les Alpes à pied jusqu’en Italie.  Après une étape à Milan, il était prévu qu’ils partent en Palestine sous mandat britannique, mais la route leur est barrée. La famille s’établit finalement en France en 1947.

Michel sera élevé à l’école de la vie, il se fera une bande d’amis fidèles liés par les souvenirs de la période de la guerre et leur statut d’immigrés juifs, avec des histoires plein la tête qu’ils racontaient avec des accents à couper au couteau. Lorsqu’il rencontre sa femme, Berthe c’est le coup de foudre. Elle-même est d’origine polonaise et enfant cachée à Chamonix pendant la guerre. Ils auront une vie harmonieuse jusqu’à la maladie de Berthe et sa disparition prématurée à l’âge de 65 ans.

Grand séducteur, excellent vendeur allié à une femme très bonne gestionnaire, à partir de la fin des années 60, il réussit très bien dans la shmatologie, métier particulièrement répandu parmi les juifs d’Europe de l’Est. Mais il n’oublie pas ceux qui l’entourent, à qui il offre volontiers un petit coup de pouce financier et tout simplement sa confiance et son optimisme, pour se lancer à leur tour dans quelque affaire.

Il aura un fils unique avec Berthe, Jean Yves. Finalement, Jean Yves et sa femme Christine concrétiseront le rêve sioniste de la famille. Anciens de l’Hashomer Hatzair, ils feront leur alya avec leurs 2 enfants en 1992. S’en suivront pour Michel des allers retours fréquents en Israël, sa patrie de coeur.

En 2000, c’est à Haifa, sur le fauteuil du dentiste, où elle exercait comme assistante dentaire, qu’il rencontre Lucie. Cette rencontre quelque peu arrangée va leur permettre de vivre une belle histoire qui durera 17 ans. Deux bons vivants, que de belles fêtes nous aurons vécu grâce à eux sur le toit de l’appartement des Gratte Ciel !

Les premières fois sont des moments qui marquent chacun d’entre nous. Qui a oublié son premier tour à vélo, son premier jour de classe, ou sa première rencontre amoureuse ? Et pourtant je n’arrive pas à me souvenir de la première fois où j’ai croisé Michel, j’ai l’impression qu’il a toujours été là, qu’il a toujours fait partie de notre vie. C’est/c’était notre père et grand père bienveillant à tous, celui qui nous donnait envie d’avancer dans la vie et avait un regard si lucide sur les hommes et les évènements. Et surtout Michel-Moshé vivait lui-même chaque jour comme si c’était le premier, ou plutôt le dernier, émerveillé et curieux, rieur et loquace !

Il y aurait tant de choses à dire sur ce que Michel fabriquait avec ses dix doigts en or, rue du Bat d’Argent, puis quai Jean Moulin, rue Garibaldi et même ici rue Jules Vallès. Dans la bible on dit que les personnes habiles de leurs mains ont de la khokhmat lev : la sagesse du cœur. Aucun terme n’est mieux adapté à ce qu’était notre Michel.

On ne compte pas les innombrables heures passées à fabriquer des bancs quai Jean Moulin, réparer le sefer torah ou encore rénover le sol ou peindre les murs du local rue Garibaldi par exemple. C’est grâce à lui qu’on a eu une houppa et une soucca, lui qui se disait athée et éloigné de la religion, était le Shamesh – le gardien indéfectible de tous les lieux où la synagogue libérale a migré au fur et à mesure des années. Il était le meilleur juif que je n’ai jamais connu : un mensch, un vrai.

Il trouvait les mots pour chacun d’entre nous, des gestes anodins, plein de tendresse toujours juste. Le jour de la Bat Mitsva de Romane pétrifiée de trac, c’est lui qu’elle choisit pour lui donner du courage et qui doit lui faire face au premier rang !

Il y a avait Michel et les harengs, Michel et la vodka (j’avais toujours une bouteille au frais au cas où il viendrait nous rendre visite !), Michel et la chanson yiddish, Michel qui dansait avec son déambulateur il y a quinze jours à peine… et Michel et ses innombrables amis, comme en témoigne cette salle bien remplie!

Mais surtout Michel et ses petits-enfants qu’il couvait d’affection et dont il était fier comme un coq, sans parler de son arrière petite-fille Audrey, dont il avait eu la chance de voir les premiers pas dans la vie.

Ces derniers mois, il y avait les allers retours de la famille entre Israël et Lyon pour prendre soin de lui. De notre côté, nous avions créé un groupe whatsapp d’amis proches qui espérions ainsi le protéger comme on dit de toute maladie. On le croyait invincible et on voulait le garder encore longtemps ici parmi nous, car il y a des compagnies, ou plutôt des compagnons qui ne se quittent pas.

Brigitte, Catherine, Fred, Georges et Betty, Guy et Suzette, , Lucie, Patrick, et quelques autres, on était à l’affut de la moindre nouvelle, de la moindre chute qui n’annonçait rien de bon ! Et puis après un énième aller-retour entre l’hôpital et sa chambre à Bet Seva, il a soufflé entre deux assoupissements à Patrick : « je ne sais pas, on verra bien ». Cette lucidité des derniers instants…

Mais aujourd’hui, même si notre tristesse de l’avoir vu nous échapper est immense, nous pouvons et devons boire à sa santé, chanter et danser. Ce sera la meilleure façon de lui rendre hommage, à Michel, Moshé, le Mench qu’on a eu tant de chance de côtoyer !

יהיה זכרו ברוך.

Toledot – KEHILAT GESHER, 9 Novembre 2018

Micah Goodman philosophe et professeur à l’université hébraïque de Jérusalem dit à propos du Tanakh, qu’il est important, non seulement, de tenter de comprendre ce que ce texte nous dit mais surtout ce qu’il nous fait, ce qu’il produit sur nous.

Et il est vrai que si on passe du temps avec ces textes, si on devient plus intime avec eux, ils produisent physiquement quelque chose sur nous. On se sent comme happés, et des émotions surgissent.

C’est probablement encore plus le cas lorsqu’on se plonge dans les récits de la Genèse et les imbroglios familiaux qui se déroulent sous nos yeux.

Cette semaine, le récit est particulièrement poignant. Celle où on lit l’histoire de cette fratrie dysfonctionnelle, celle d’Esav et Jacob. Ce n’est pas la première fratrie de ce type, il y en a beaucoup d’autres qui lui succèdent dans les pages du Tanakh.

Un verset m’a sauté aux yeux, dans Genèse 27 :34, וַיִּצְעַק צְעָקָה גְּדֹלָה וּמָרָה et ‘il poussa un cri immense et amer’.

Immédiatement une image est venue se surimposer : celle du cri de Munch. Ce tableau qui a connu cinq versions successives entre 1893 et 1917 a été inspiré par la nature et l’angoisse qu’elle a produit sur le peintre[1]. Mais comme toute œuvre d’art, elle a eu sa vie propre. Cette peinture est devenue probablement le symbole d’une génération de soldats, de poilus de la 1ère guerre mondiale, dont elle dépeint, sans le vouloir, le cri sans voix des horreurs de la guerre.

Pour moi, ce cri terrible comme un écho lointain, c’est celui qui est poussé par Esav lorsqu’il se retrouve dépossédé, non seulement de son droit d’ainesse, qu’il avait bien voulu céder à son frère jumeau, mais surtout de la bénédiction paternelle. C’est celui d’une douleur qui prend aux tripes face à cette injustice : un père incapable de bénir son fils sur son lit de mort.

Imaginez-vous vous-même dans cette scène, et toutes les émotions qui pourraient alors vous submerger : la stupeur, la colère, puis l’immense douleur. Quoi, moi le fils ou la fille aimé et aimant, je ne pourrais pas bénéficier de la bénédiction de mon père ? Je ne pourrai pas me séparer de lui en paix ?

Bien sur s’en suivent d’autres sentiments incontrôlables ; la jalousie, l’esprit de vengeance, et la violence. Un scénario qu’on a déjà vu, quelques chapitres auparavant, dans l’histoire de Cain et Abel. Et comme par hasard, c’est là que le verbe צעק   apparaît pour la première fois dans la Torah. Et c’est Dieu qui le prononce :

‘la voix des sangs de ton frère crient vers Moi de la terre’, קוֹל דְּמֵי אָחִיךָ צֹעֲקִים אֵלַי מִן הָאֲדָמָה,  (Gen. 4:10).

Il s’agit là du premier fratricide, lui aussi dû à la jalousie, et c’est Dieu qui en est l’objet, Dieu qui accepte favorablement le sacrifice de l’un – Abel, et pas de l’autre – Cain. Alors faute de trouver les mots, on assassine.

Et ce cycle de violence va se répéter à l’infini. Et pourquoi ces répétitions ? C’est là que chacun va interpréter chacune de ces bis-repetita selon ce qu’il projette lui-même dans l’histoire biblique.

Ici selon le midrash, Jacob qui est le plus direct ancêtre du peuple d’Israël  n’apparait pas sous une lumière très favorable. Sa vie commence sous le signe de l’emprise, du subterfuge. Certes ce n’est pas lui qui décide, il se laisse manipuler par sa mère, qui veut accomplir la prophétie de la voix divine – L’ainé servira le cadet-. Cela n’est pas sans nous rappeler Joseph et un des premiers rêves qu’il interprète, source de la violence de ses frères.

Avec Jacob, on peut s’arrêter un instant sur le déguisement : il met une peau de bête sur lui, pour que son père, dont la vue est très déficiente, sente sous ses mains Esav-le poilu. Mais les rabbins reprochent surtout à Jacob d’avoir déguisé sa voix. Or la voix est l’empreinte de l’identité d’une personne, celle qui ne trompe pas, même lorsqu’on est face à des jumeaux. Le Talmud nous dit que voler la voix de quelqu’un s’apparente à l’idolâtrie – faute ultime par excellence.

A tel point que, selon le midrash, cette faute de Jacob serait la cause du décret de Haman, d’exterminer le peuple juif. Et un verset très similaire répond à celui de notre paracha, à une lettre près :

‘il poussa un cri immense et amer’ וַיִּזְעַק זְעָקָה גְדֹלָה וּמָרָה (Esther 4:1)

Là c’est Mordechaï qui pousse ce cri qui le projette sur le sol, il est effondré, prend les habits du deuil, et les déchire.

On passe tout près de la catastrophe, et les rabbins n’hésitent pas à parler de cause à effet : puisque Jacob a usé du subterfuge de la voix pour se faire passer pour Esav, afin de lui voler sa bénédiction, alors le peuple juif a risqué de disparaître des siècles plus tard, aux mains d’un terrible tyran.

Mais la Torah ne s’arrête pas là, et un autre cri m’a sauté à la figure en lisant notre paracha. Celui terrible des Egyptiens face au meurtre de leurs premiers nés, vous vous rappelez, de la dixième plaie d’Egypte n’est-ce pas ? A deux reprises l’expression צְעָקָה גְּדֹלָה: ce cri immense de douleur apparait dans nos textes à ce moment là[2].  Lorsque Moïse transmet la parole divine et prédit à son peuple ce qui va se passer et lorsque la plaie elle-même se propage.

Les questions que posent ces textes me semble-t-il sont : Comment sortir d’un destin prédestiné, des étiquettes qui sont posées sur nos visages, un peu comme la marque de Caïn ? Comment réellement se préoccuper de nos frères, qu’ils soient ceux de notre famille ou ceux au sens large de l’humanité ? Comment sortir de ce cycle de violence alors que nous commémorons ce chabbat deux évènements imbibés de violence : le centenaire de l’armistice qui marque la fin de la première guerre mondiale et le 80è anniversaire de la Kristallnacht qui marque symboliquement le début du plus grand génocide juif perpétré par l’humanité ?

Nous avons besoin de voix fortes, de voix prophétiques, qui sortent de ce cri primal. Des voix qui s’opposent dans le monde à toutes les paroles de haine et de violence qui se déversent impunément et sans filtres derrière des écrans comme en face à face. Nous ne pouvons plus rien laisser passer. Nous devons à la fois créer ces murs de résistance, et renforcer les ponts entre tous les hommes et femmes de bonne volonté. « O vous frères humains » disait Albert Cohen, oui faisons en sorte de redevenir de véritables frères humains…

Ken yhie ratzon.

Shabbat shalom

[1] Edvard Munch (1863-1944), Skrik– le cri,

[2] Exode 11 :6 et Exode 12 :30

MJLF – Hayye Sarah, 2 Novembre 2018

A l’heure où j’écris ces lignes, on est le lendemain de l’attentat antisémite de Pittsburgh, le plus meurtrier commis sur le sol américain depuis que des juifs se sont réfugiés sur cette terre. 11 personnes qui priaient dans une synagogue Massorti à Chabbat ont été lâchement assassinées parce que juives et aussi parce qu’elles faisaient partie d’une synagogue qui avec l’aide de l’association HIAS[1], prenait soin des réfugiés sur le sol américain, comme aux 4 coins du monde. Elle s’occupait de leur trouver un refuge, des vêtements, de la nourriture. De quoi les réconforter. Je suis comme nous tous sous le choc et terriblement triste.

A chaque fois que survient un drame antisémite, on peut même parler ici de pogrom, se pose la même question : comment consoler, rassurer, expliquer à nos membres et surtout à nos enfants que ce qui vient de se produire reste exceptionnel, qu’ils sont en sécurité et qu’être juif, malgré tout, n’est pas une malédiction ?

Rabbi Floriane a enregistré plusieurs vidéos[2] au lendemain des attentats du Bataclan où elle répondait à des questions d’enfants du talmud torah, je vous invite à les écouter ou les réécouter, car ce sont des messages emplis de bon sens et de sagesse juive. Dans l’une d’entre elles, elle répondait à un enfant qui lui demandait si on avait le droit de se réjouir d’avoir échappé à un attentat ? La réponse est bien sur oui. On peut et doit se réjouir tout en gardant dans son cœur de la compassion pour ce qui arrive à notre prochain, même s’il n’est pas de notre famille, de notre religion et de notre pays, c’est le message profondément éthique du judaïsme.

Dans les premières heures et jours qui suivent un tel acte, des émotions contradictoires nous submergent : d’abord l’effroi, nous sommes tétanisés puis nous ressentons une énorme colère mais aussi de la tristesse. Ce sont les phases du deuil théorisées par la psychanalyste américaine Kubler Ross. En tant qu’adultes, nous avons malheureusement souvent déjà expérimenté ces phases. Elles sont toutefois extrêmement délicates et complexes, elles ne se déroulent pas obligatoirement dans cet ordre et le tourbillon de nos émotions reste imprévisible.

Dans le cas d’actes antisémites, elles peuvent raviver des plaies à vif liées à notre histoire familiale. Nos enfants ne sont pas équipés pour y répondre. Nous devons les entourer de notre amour et les rassurer.

Lire la suite

Fièrement propulsé par WordPress & Thème par Anders Norén