Le livre du lévitique contient seulement deux récits,au milieu d’une mer de préceptes sacerdotaux. Le premier récit se situe dans notre paracha et concerne le destin terrible réservé par Dieu à Nadav et Avihou : la mort par crémation. Le deuxième récit figure dans la paracha Emor et parle aussi de mort, celle par lapidation du fils de Shlomit Bat Dibri, pour avoir blasphémé le nom divin. Les deux histoires, on pourrait presque les appeler des midrashim, font partie de ce qu’on appelle avec pudeur les textes difficiles de la Torah. Ils nous confrontent à un Dieu terriblement sévère …On a beau les tourner et les retourner tous les ans à la même période, et étudier les commentaires rabbiniques, ces récits ne passent pas, et continuent à rester bloqués dans le gosier et à faire mal au ventre…
A tel point que, j’espère ne pas dévoiler un grand secret, la maman de notre bar mitsva Zohar, m’a demandé lors d’un rdv s’il fallait vraiment qu’Emanuel lise ce texte si violent devant notre belle assemblée, sa famille et ses amis ? Comme chaque maman, d’autant plus lorsqu’elle est israélienne veut légitimement protéger son fils de la violence, de la guerre qui est le quotidien de ce pays. J’ai tenté de la rassurer en lui disant qu’on trouvera un chemin, une voie pour faire sens et donner du grain à moudre à son fils, notre jeune bar mitsva…et vous verrez demain matin, Emanuel avec mon aide y est arrivé haut la main !
Alors de quoi s’agit-il, quel est le contexte de ce récit et éventuellement quel enseignement peut-on en retirer pour notre temps ?
Le récit de Nadav et Avihou les fils ainés d’Aharon survient alors qu’Aharon vient de consacrer le Mishkan au 8è jour de sa mise en fonction. Tout s’est très bien déroulé, l’offrande brûlée a été agréée par Dieu. C’est au moment où le peuple et ses représentants peuvent enfin prendre un repos bien mérité, se réjouir et apprécier le moment présent, que les deux fils intrépides décident d’apporter de l’encens et s’approchent dangereusement de l’Eternel qui les lèche de ses flammes. Les deux fils meurent, le père, Aharon, est abasourdi mais n’a pas le droit de porter le deuil, il se tait. Vaydom Aharon
Les questions que pose cet épisode dramatique, les rabbins se les sont posées au long des siècles et je me et vous les pose à mon tour : qu’ont fait Nadav et Avihou pour mériter la peine de mort ? de la main (si je puis dire) de Dieu lui-même ? je vous liste en vrac quelques explications rabbiniques: ils étaient trop ambitieux et voulaient prendre la place de leur père et oncle, ils étaient peu observants des règles minutieuses données par l’Eternel n’ayant pas choisi le moment opportun ni respecté la manière de faire le feu dans le tabernacle. Ils étaient ivres et dans un état d’impureté par conséquent pour effectuer ce rituel…Comme vous le voyez, la liste des motifs est variée et les rabbins sont créatifs dans leur exégèse. Peu d’entre eux osent dire qu’il s’agit peut-être d’un acte de sanctification du Nom divin, et non pas d’une punition. L’Eternel aurait pris les meilleurs parmi les meilleurs, les fils d’Aaron, destinés à devenir grands prêtres et s’en est délecté…Car le sacrifice humain, et spécialement d’enfants, était monnaie courante dans l’Antiquité à cette époque, alors est-ce un épisode pour nous prévenir de ce qui pourrait arriver si on n’y prend garde ? Dieu ne s’est-il pas réservé les premiers nés dans l’Exode et demandé un rituel spécifique, leur rachat ? ce récit serait une forme d’avertissement concernant le paganisme ambiant et les risques d’une pratique religieuse trop absolue, voire fondamentaliste ?
Aucun commentateur, à ma connaissance ne remet en question l’acte divin et ne condamne son injustice. Car quel modèle cela donne-t-il à l’homme ? l’homme créé à l’image de Dieu ? Jusqu’où doit-on aller dans nos actes sacrificiels ? Doit-on nous aussi nous enflammer quand le désir nous ronge ou au contraire quand quelque chose ne nous convient pas ?
Peut-être est-ce l’Ecclésiaste dans sa sagesse un peu pessimiste qui peut nous éclairer sur cet épisode, lorsqu’il dit :
רְאֵ֖ה אֶת־מַעֲשֵׂ֣ה הָאֱלֹהִ֑ים כִּ֣י מִ֤י יוּכַל֙ לְתַקֵּ֔ן אֵ֖ת אֲשֶׁ֥ר עִוְּתֽוֹ׃
Observe l’œuvre de l’Eternel car qui peut réparer ce qu’Il a tordu ou subverti ?[1]
Une lecture littérale de ce verset est déconcertante : Dieu est-Il celui qui tord ou crée l’injustice dans ce monde ? et par conséquent serait le seul à pouvoir réparer ce qui est tordu voire monstrueux à nos yeux ?
Rashi dans son analyse du verset explicite que Dieu qui a créé ce monde avec le bien et le mal, et par conséquent Il est le seul à pouvoir réparer ce qu’un humain laisse derrière lui, après sa mort, afin de redresser ce qui a été tordu.
Dans notre cas, les jeunes prêtres promis à un brillant avenir sont des victimes innocentes… Et c’est alors que l’image de ces jeunes soldats qui partent sur le front et sacrifient leur vie pour une terre, des valeurs qui nous sont chères s’est superposée à celle de Nadav et Avihou…Ceux qu’on envoie faire la guerre et se sacrifier en dépit de leur jeune âge. Ceux qui acceptent ce sacrifice car dans leur fougue et naïveté se sentent peut-être immortels et indestructibles…Ceux qui paient pour les fautes des générations précédentes, qui n’ont pas su prévenir ces guerres ? et peut-être que ce récit si perturbant est là pour nous rappeler ces vérités fondamentales, c’est à chaque génération d’œuvrer pour laisser un monde en meilleur état qu’il ne l’a trouvé. Comme l’expression que nous lisons dans le Aleinou Letaken Olam bemalkhout shadai, parfaire le monde à travers la royauté divine.
Un grand mazal tov Emanuel, et on compte sur toi !
Ken yhie ratzon,
Shabbat shalom
[1] Ecclésiaste 7 :13
Drasha Tazria, Rosh Hodesh Nissan – KEREN OR 1er avril 2022
de Daniela Touati
On 31 mars 2022
dans Commentaires de la semaine
Comme un leitmotiv, la question de la ‘pureté rituelle’ est récurrente dans le livre du Lévitique’. L’impureté concerne en vrac la femme qui vient d’accoucher, les personnes qui ont développé des éruptions cutanées (ulcère, œdème et autres infections), les femmes lors de leur cycle, ou encore les prêtres ayant été au contact des morts. Cet état d’impureté rituelle touche non seulement les humains, mais aussi les objets comme les vêtements et même les maisons. « Le terme impureté ‘touma’ en hébreu dérive d’une racine qui veut dire ‘stupidité ‘timtoum’, et fermeture ‘atoum’ comme dans l’expression ‘un cœur fermé’ tel celui du mort complètement insensible au blessures du scalpel. », c’est ce que nous rappelle Catherine Chalier dans un article consacré à cette notion, où elle cite le rabbin Chmuel Bornstein[1].
Dans la paracha Tazria il s’agit de détailler le rituel à observer lorsqu’une personne a été diagnostiquée comme ‘impure’, après une période d’observation, afin qu’elle recouvre son état initial. Dans ce cas, seuls les prêtres sont aptes à poser le dia3gnostic, ils sont érigés à la fois en médecins et en responsables du déroulement de la pratique rituelle permettant de ‘soigner’ ces états.
Le cohen visite à plusieurs reprises la personne atteinte de cette plaie afin de décider s’il s’agit d’une simple maladie ou d’une véritable impureté rituelle, et si l’impureté est avérée, la personne devra quitter sa maison, s’éloigner de la communauté et vivre hors du camp. Elle sera isolée pendant une durée déterminée, pendant laquelle, à nouveau, ce sera au pontife d’évaluer l’évolution de son état et décider de sa réintégration.
Comme tous les ans, en relisant ces pratiques qui nous semblent pour le moins curieuses à nous juifs du 21è siècle, j’ai cherché quel sens leur donner, sans tomber dans la caricature ou en les évacuant du revers d’une main parce que désuètes. Que veut dire ce bannissement hors du camp ? est-ce par peur de la contagion ? de quelle contagion parle t on dans le cas d’une parturiente alors? Ou bien est-ce une façon de protéger ces personnes considérées comme vulnérables ?
Et puis j’ai pensé à ces deux dernières années, sous la menace constante d’une contagion réelle par un virus mortel, qui nous a obligé pendant des périodes répétées à vivre à l’écart des autres, ces versets prenaient une autre coloration, si je peux dire. Le rituel biblique a des similitudes avec ce que l’on a vécu : les tests et la sempiternelle question, je l’ai ou je ne l’ai pas ? l’attente, l’inconnu… la vie à l’écart des autres, et les changements que cela à produit en chacun de nous.
Car le virus qui nous a frappés a été une expérience in vivo, de ce qu’est l’isolement forcé. Par la même, cela a été un accélérateur de certaines tendances, déjà perceptibles avant qu’il ne frappe, notamment la juxtaposition de nos modes de vies, le mode virtuel avec le mode réel. Un isolement qui n’était pas total, puisque à tout moment, il était possible de se réunir par écran interposé.
Ainsi depuis deux ans, au sein même de cette synagogue cohabitent deux communautés, celle qui est derrière l’écran et celle qui se regroupe dans la synagogue. Ce qui, à l’origine, a été imposé, non pas par des Cohanim, mais par l’état et les conseillers scientifiques est devenu depuis peu, le choix d’un certain nombre de nos membres qui ont continué à s’isoler volontairement, alors même que la loi les autorisait à se regrouper dans une synagogue. Cette décision de s’auto-isoler, qu’elle soit dictée par la maladie, le confort, les contraintes matérielles, bouleverse totalement nos modes de vie.
Il me semble que jusqu’à présent, on n’a pas assez mesuré la métamorphose produite par la pandémie en termes d’interactions humaines. Je sais, tout cela n’est pas fini, le virus continue à circuler, et on doit rester prudent, conserver certaines précautions. Mais le fait est que des écrans se sont dressés entre nous, et cela n’est pas près de changer.
Alors que nous nous apprêtons à nous réunir pour notre 3e assemblée générale hybride, ces questions m’interpellent, car c’est l’avenir de notre communauté qui est en jeu. Et ce, alors que de nouveaux bouleversements bien plus radicaux sont déjà à l’œuvre de l’autre côté de l’océan, avec des mynianims virtuels et des avatars de rabbins.
Ainsi au moins deux expériences sont en cours aux Etats Unis dans le monde progressiste et chez les Habad. La communauté reform américaine Am Shalom est la première communauté dans le metaverse…le rabbin Lowenstein, 60 ans a été mis au défi par l’un de ses membres de créer une synagogue 3D. Depuis novembre dernier sa synagogue réelle a dépensé 10000$ de bitcoin pour acheter une parcelle de terrain sur ‘l’ile de la pénurie’ dans le monde virtuel du Cryptovoxel. Son projet est de créer une synagogue virtuelle pour Pessah et tous ceux qui ont un avatar pourront l’expérimenter.
Pas en reste, les Loubavitch ont acquis un ‘terrain’ pour 6000 Manna, ce qui équivaut à 14000$ et le rabbin Wilhelm et ses acolytes ont créé à Pessah dernier le Mana Habad center pour mener à bien ce projet, aucune date d’ouverture n’est encore précisée…mais le rabbin Wilhelm précise que ce centre fonctionnera avec du personnel virtuel sur le modèle de n’importe quel centre Habad et sera ouvert 24/6 hors shabbat par conséquent…Les deux rabbins voient dans cette diversification une manière de capter une population juive plus jeune et branchée ![2]
Ces expérimentations très sérieuses bouleversent notre pratique et nos croyances, elles redéfinissent totalement l’espace et les relations humaines, pour le meilleur ou pour le pire. Mynian réel ou virtuel, le monde se transforme sous nos yeux ébahis et on aurait tort d’attendre d’être de simples spectateurs, plutôt que de réfléchir sérieusement à ces questions et à nos positions sur le sujet. Il est largement temps de se demander si l’espace virtuel est un espace rituellement pur ‘tahor’ fréquentable et inclusif ? ou impur ‘tamé’, dans le sens énoncé par le rabbin Bornstein : s’il va nous enfermer, et nous rendre stupides ? Les catégories ne sont plus ce qu’elles étaient et c’est à nous de les redéfinir dans notre monde réel.
Ken Yhié ratzon, Hodesh tov! shabbat shalom!
[1] Philosopohie et Bible, Catherine Chalier, 2018, https://journals.openedition.org/rsr/4221
[2] https://forward.com/culture/484274/chabad-lubavitch-reform-am-shalom-virtual-judaism-metaverse-jewish/