Rabbin Daniela Touati

Pirke Avot 5:16 : "Tout amour qui dépend de son objet, si l’objet disparaît, l’amour disparaît, Mais s’il ne dépend d’aucun objet, il ne cessera jamais."

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Paracha Térouma, hommage à Robert Badinter z’’l  –  KEREN OR, 16 février 2024

J’ai eu la chance de rencontrer Robert Badinter à plusieurs reprises, parfois de loin – ors d’occasions officielles, et une fois de près. Il venait tous les ans pour la commémoration de la rafle de la rue Ste Catherine le 2e dimanche de février, là où son père avait été raflé, et où lui-même avait échappé de peu à un destin fatal.

Il était aussi présent à la commémoration organisée par les FFDJ (Fils et Filles des Déportés Juifs de France) et la Bnai Brith au lycée Ampère, son ancien lycée. Ce jour là, on apposait une plaque en souvenir des enfants juifs qui étaient passés par ce lycée et avaient été déportés…il avait eu des mots très forts parlant de sa visite à Auschwitz, en 1956, alors que personne n’y allait à l’époque, lui était parti sur les traces de son père, son oncle et sa grand-mère qui était décédée avant même d’arriver dans ce camp de la mort. Il a raconté dans cette cour de lycée – devant des lycéens comme lui pendant la guerre, leurs professeurs et quelques représentants de la communauté juive de Lyon – le désespoir qui l’avait saisi après cette visite qui s’était déroulée par une belle journée ensoleillée, jusqu’à ce que ses yeux tombent sur cette fleur qui poussait tant bien que mal entre deux pavés de pierre, sur ce sol qui avait absorbé tant de sang et de cendres, il avait eu cette phrase magnifique : j’ai compris là devant cette fleur que la vie est plus forte que la mort.

C’est lors d’une célébration privée que j’ai pu approcher et observer cet homme que j’admirais et qui me fascinait, comme tant de français. C’était la bar mitsva d’un de ses petits neveux, ça se passait à la CJL Quai Jean Moulin, il y a une quinzaine d’années, et Robert Badinter était assis au premier rang et prenait des notes pendant tout l’office…je me demandais s’il allait prendre la parole, mais en fait comme un étudiant, il observait cette vie juive rituelle, qui lui était un peut étrangère, car il avait été élevé de manière résolument athée. Je me souviens qu’il m’avait même posé quelques questions à la fin de l’office, surpris par les liens qu’il faisait entre ses convictions qui l’avaient habité sa vie durant et les échos qu’il en percevait pendant cette cérémonie.

Cet homme qui avait été élevé à bonne distance de tout cela, comprenait que toutes les valeurs humanistes et éthiques qu’il portait étaient résolument ancrées dans le judaïsme de ses ancêtres.

Depuis une semaine, sa disparition a été l’occasion de moult hommages et de prises de paroles publiques. Tous concordent à louer son engagement sans faille pour la justice, une justice qui n’est pas tranchante à la manière d’une guillotine, mais au contraire, qui laisse une place prépondérante à l’humain, à l’espoir que chaque être, quelle que soit sa faute, peut s’amender et devenir meilleur. Une justice empreinte d’une grande compassion, qui n’abuse jamais de ses prérogatives, ce pouvoir des juges, et qui ne transforme jamais le juge en bourreau.

Eduqué dans l’amour de la France et surtout de la philosophie des Lumières, il ne s’en est jamais départi et comme disait son confrère Richard Malka, il mouillait sa chemise à chaque plaidoirie et prise de parole pour défendre sa conception de la justice, quitte à y laisser sa santé.

D’aucuns se sont émus qu’il soit décédé un 9 février, jour où son père avait été raflé, 81 ans plus tôt. Il est aussi parti la veille du chabbat Michpatim, les lois ou jugements, lois qui ont été au centre de toute sa vie… était-ce une coïncidence ou un signe du ciel laissé à un grand Homme et à nous tous ? Cet homme sera bientôt panthéonisé comme il le mérite, aux cotés de Simone Veil et d’autres grands hommes et femmes, auxquels la patrie reste à jamais reconnaissante.

La paracha Michpatim laisse la place à Térouma cette semaine, ces deux sidrot accolées comme pour nous faire un clin d’œil aussi : d’un côté une liste de 53 lois qui forment un cadre légal pour le peuple hébreu, juxtaposée à la térouma, la contribution du peuple à la construction du Tabernacle, l’ancêtre du Temple que Salomon construira quelques siècles plus tard.

D’un coté, des lois éthiques, à la fois justes et sévères, où figure en bonne place le commandement concernant l’accueil de l’étranger et le traitement plein d’égards qui doit lui être réservé. De l’autre, l’exigence de générosité faite au peuple et la participation de chacun selon ses moyens à la construction d’un Temple portatif, coeur spirituel du peuple juif rassemblant en son sein les deux principaux attributs divins: le midat hadin l’attribut de jugement et le midat ha rahamim l’attribut de compassion.

Jugement et compassion, , côte à côte, comme le double plateau de la balance de la Justice qui ne laissaient pas en paix Robert Badinter, en constante recherche d’un juste équilibre et qui lui ont valu tant d’attaques parfois ad hominem, de la frange la plus conservatrice du pays. Il nous laisse cet héritage de très grande exigence.

Que la complexité, l’intelligence et la finesse de sa pensée nous guident longtemps en ces temps où il semble si aisé de céder à la bêtise d’un raisonnement binaire…

Que son souvenir soit une source de bénédiction pour son épouse Elizabeth, ses enfants et petits enfants et pour la famille Del Vecchio. Que son âme soit liée au faisceau des âmes des générations présentes et à venir !

Ken Yhié ratzon, Chabbat shalom !

Drasha Yitro – Keren Or, 2 février 2023

Le 22 janvier dernier, j’étais invitée par le maire de Villeurbanne à une réunion où étaient conviés des collègues, responsables religieux de la ville. C’était une première pour ce maire socialiste, qui avait fortement hésité à l’organiser, craignant les réactions de sa majorité municipale aux couleurs Nupes, qui risquaient de voir en cette soirée une entorse à la laïcité (sic)…

Cette initiative, j’en étais un peu à l’origine, et l’avais demandé à son Directeur de Cabinet, car, comme nous tous, je voyais les effets délétères du massacre du 7 octobre en Israël sur les relations entre les différents groupes (pour ne pas dire communautés) qui composent notre ville. Lors du tour de table qui a débuté la réunion, chacun y est allé de son constat de la situation et des questions auxquels il se heurtait avec les membres de son Eglise mais aussi avec ses voisins, en général et en particulier, depuis ce détonateur qu’a été la guerre entre Israël et Gaza. J’étais bien sûr, la seule femme, en dehors de la première adjointe à avoir été conviée à cette réunion. Quel n’a pas été mon étonnement d’entendre de la bouche d’un prêtre que la devise ‘Liberté Egalité Fraternité’ ne faisait plus vibrer personne et n’était plus un projet de société…que cela manquait d’âme !

De l’autre, la première adjointe au maire se plaignait du chahut, pour ne pas dire gros désordre et irrespect, qu’elle constatait, à chaque fois qu’elle célébrait un mariage civil de familles très traditionnalistes, quelle que soit leur obédience religieuse. En plus de l’agacement que cela produisait sur elle et ses collègues, officiers d’état civil, ce constat qui était loin d’être anecdotique, l’avait alertée.

Ces deux réactions, entre autres, avaient un point commun : le rapport à la loi républicaine semblait pour le moins chahuté et ces phénomènes, mais aussi les discours qui l’accompagnent étaient les témoins d’un mal qui s’était développé insidieusement, à bas bruit et qui sautait à présent au visage de tous les acteurs présents qui voulaient bien le voir.

Quand mon tour est venu, je me suis fait la championne de la République et de la laïcité, et en ai profité pour rappeler aux personnes présentes, à quel point la devise républicaine, et la laïcité avaient été des principes essentiels à l’intégration juifs en tant que citoyens leur permettant de trouver enfin leur place dans la société française. N’oublions pas que cette devise et cette laïcité ont contribué, certes après des luttes acharnées, à la paix sociale. Je ne voyais pour ma part aucune opposition entre le fait d’être rabbin, en charge d’une communauté religieuse, et la défense de la laïcité !

Lors de cette table ronde s’était manifestée la lutte intestine entre la défense des particularismes et celle de l’universalisme. La contestation de l’universalisme fait des dégâts assez conséquents dans trop de pays occidentaux et en particulier aux Etats Unis ces dernières années.

Ce rapport entre universel et particulier est à l’œuvre dans la paracha Yitro qui contient en son cœur les 10 commandements. D’un côté, un peuple particulier en train de se constituer, va recevoir les Tables de la Loi. Les 10 commandements considérés comme universels car ils constituent un socle pour vivre en société, un minimum vital pour qu’un groupe humain puisse perdurer ensemble.

De l’autre, un étranger à ce peuple, en la personne de Yitro le beau-père de Moïse qui lui donne moult conseils pour exercer son rôle de juge auprès du peuple. Ce n’est pas un hasard si les deux récits figurent dans une même paracha, qui, juxtaposés sont probablement là pour nous rappeler que nous ne pouvons nous épanouir et vivre en tant que peuple, que si nous réglons pacifiquement et harmonieusement notre rapport au monde qui nous entoure.

Les 10 commandements font partie d’une succession de codes de loi qui figurent dans la Torah écrite. Les 7 lois Noahides sont les plus universelles, mais il y a aussi des lois plus particularistes, notamment lorsqu’on évoque les sacrifices ou les fêtes juives par exemple. Ces codes toraïques seront analysés, discutés, parfois corrigés dans le talmud, puis compilés dans le Michné Torah de Maïmonides et le choukhan aroukh de Josef Karo au 16è siècle. En parallèle et jusqu’à nos jours ont été édités des collections de responsa (réponses rabbiniques) qui actualisent et comblent des vides dans la loi juive.

A partir du 19è siècle, les communautés non-orthodoxes ; qu’elles soient massorties ou libérales opèrent une certaine rupture dans cette linéarité des codes, car elles mettent l’accent sur l’universel quitte à réformer certaines lois qui allaient à l’encontre d’un code éthique moderne, tel que défini par Kant par exemple. Ces réformes qui se poursuivent sont indispensables pour s’adapter à chaque époque et vivre harmonieusement en tant que citoyens au sein d’une société majoritairement laïque.

Aujourd’hui, les adeptes de la synthèse identitaire, ainsi que les nomment Yascha Munk dans son livre ‘Le piège de l’Identité’ considèrent que les individus doivent d’abord s’identifier par ce qui les caractérise de manière étroite : leur couleur de peau, leur ‘race’, religion, genre et orientation sexuelle. Et ce afin de vivre entre soi, dans ce groupe qui partage ce particularisme, afin de renforcer cette identité, pour éventuellement se confronter ensuite au monde et aux autres. Les valeurs universalistes sont ainsi remises en cause, non seulement par des groupes religieux fondamentalistes, mais, à présent, des universitaires et chercheurs au plus haut niveau. Ce que l’on croyait jusqu’à récemment une vérité absolue et un acquis de la philosophie des lumières est remis en question par ces nouveaux idéologues, qui voient le monde comme hostile et ceux qui ne font pas partie de leur groupe identitaire comme de dangereux racistes. L’identité devient un piège mortifère où chaque être se limite à une étroite partie de lui-même et perd ainsi sa liberté de se déployer dans toute sa complexité.

Il n’est pas étonnant que ‘Le piège de l’Identité’ ait été écrit par un universitaire d’origine juive, qui perçoit tous les dangers de cette assignation identitaire. Défendre les minorités est un commandement du judaïsme, défense devenue universelle, afin que chaque minorité puisse vivre non pas séparée mais mêlée aux autres !

Ken yhié ratzon, chabbat shalom !

Drasha Vaera – 12 janvier 2024, KEREN OR Piégé par les plaies

« Que le mal ne soit plus, que ceux qui sont dans l’erreur reviennent vers Toi et que la cruauté disparaisse bientôt et de nos jours, Béni Sois Tu Eternel qui écartes le règne de la cruauté » c’est ainsi qu’est formulée en français la douzième bénédiction de la Amida de semaine…

Cette formulation est bien différente de celle que l’on trouve dans les siddourim traditionnels :

Et que les calomniateurs n’aient aucun espoir et que la méchanceté disparaisse en un instant, que les ennemis de Ton peuple soient anéantis, Puisse – Tu promptement déraciner, écraser, abattre et humilier les arrogants, promptement et de nos jours, Béni sois Tu Eternel qui détruit  et humilie les arrogants !’

D’un coté on cherche à éradiquer le mal, de l’autre ceux qui le commettent sans aucune retenue, cela fait toute la différence. Cette question prend une tout autre dimension en ce temps de guerre, guerre aussi bien en Ukraine, qu’en Israël, deux guerres qui font les unes de l’actualité depuis des mois, où sont disséqués les actes de chaque camp.

Depuis deux jours, la Cour Pénale Internationale examine de près, à la demande du gouvernement d’Afrique du Sud, la manière dont Israël mène la guerre contre le Hamas à Gaza. L’Afrique du Sud a déposé une requête contre Israël l’accusant de commettre un génocide…le mot terrible a été lâché, ce qu’aucun d’entre nous n’aurait imaginé entendre de son vivant, surtout après l’attaque barbare du 7 octobre, mettre un signe d’égalité entre Israël et un mot tabou : génocide…je ne peux imaginer la douleur des Israéliens ces jours-ci et leur colère, alors qu’ils sont à la fois abattus par le deuil collectif qui les frappe et mobilisés sur deux fronts concomitants. La guerre n’est pas finie, loin de là et les voilà déjà sur le banc des accusés ! La plupart ne comprend pas pourquoi le Hamas n’est pas sur ce banc, eux qui ont été les premiers à commettre des actes barbares, des crimes de guerre facilement assimilables à un génocide ?

Et pourtant, ce sont deux juristes d’origine juive : Hersh Lauterpacht et Raphael Lemkin qui ont inventé puis créé un cadre légal pour les concepts de ‘crime contre l’humanité’ et de ‘génocide’, deux concepts qui datent de 1948 ? Lemkin a même laissé son nom à la postérité : ‘la loi Lemkin’. Né en territoire polonais, voici comment il a défini le génocide composé du mot grec genos (race, tribu), et du mot latin cide (tuer) :[1]

De nouvelles conceptions supposent l’adoption de nouveaux termes. Par « génocide », nous entendons la destruction d’une nation ou d’un groupe ethnique.[…] En règle générale, le génocide ne signifie pas nécessairement la destruction immédiate d’une nation, sauf lorsqu’il est réalisé par des meurtres en masse de tous les membres d’une nation. Il entend plutôt signifier un plan coordonné de différentes actions visant à la destruction de fondements essentiels de la vie de groupes nationaux, dans le but d’exterminer les groupes eux-mêmes. Un tel plan aurait pour objectifs la désintégration des institutions politiques et sociales, de la culture, de la langue, des sentiments nationaux, de la religion et de la vie économique de groupes nationaux, ainsi que la suppression de la sécurité personnelle, de la liberté, de la santé, de la dignité, voire de la vie des personnes appartenant à ces groupes. Le génocide vise le groupe national en tant qu’entité, et les actions en question sont dirigées contre des individus, non pas ès qualité, mais en tant que membre du groupe national.

Voilà de quoi nous faire réfléchir…Bien sur les chiffres de morts civiles, en particulier d’enfants seront étudiés de près, mais ce qui prendra le pas sur ce décompte cruel (s’il est fiable) est la notion d’intention d’éradiquer un groupe ethnique. Et de ce point de vue, la CPI examinera de près les discours des ministres israéliens, en premier lieu du premier ministre ainsi que des chefs militaires de Tzahal aux commandes ces derniers mois. Ce n’est pas la même chose de dire qu’on souhaite mettre hors d’état de nuire un groupe terroriste comme le Hamas, et qu’on souhaite se débarrasser de la population de la bande de Gaza.

Peut-on vraiment aujourd’hui comparer ce qu’il se passe au cours de cette guerre aux autres peuples/groupes éthniques qui ont commis les pires horreurs, et pour lesquelles ils ont été mis sur les bancs des accusés du CPI ? Que ce soient les Serbes, ou les Tutsis et même récemment les Russes ! Et, quelle est l’autorité de ce tribunal à part celui d’exercer une force morale ? ce qui est déjà beaucoup.

Alors que nous lisons, parfois amusés, le récit des 10 plaies d’Egypte, on a vraiment la fâcheuse impression que les accusateurs cherchent des poux dans la tête des israéliens et les accablent d’une plaie supplémentaire…

Arrêtons-nous un instant pour voir les points communs entre cette punition collective infligée par Dieu à un tyran de l’acabit de Pharaon, et réfléchissons aux leçons que nous pouvons en tirer pour ce moment. La tradition nous enseigne que la montée en puissance de ces plaies contre Pharaon et tous les Egyptiens avaient pour but de leur faire connaitre Dieu, à eux, mais surtout aux hébreux, afin de les convaincre de suivre Moïse et son projet de libération. D’autres commentateurs du Moyen Age nous diront sans sourciller qu’il était normal d’infliger une punition collective aux Egyptiens car ils s’étaient réjoui des décrets de Pharaon à l’encontre des hébreux, y compris les plus malheureux d’entre eux, qui croupissaient dans ses geôles ![2]

Naphtali Zvi Yehouda Berlin au 19è siècle soutient que l’on ne peut être puni pour avoir tué des non-combattants en cas de guerre, et en cas d’une guerre juste, il est possible d’attaquer sans distinguer entre les innocents et les coupables.

Bien sûr, il était plus facile d’émettre des responsa rabbiniques de manière théorique alors que l’état d’Israël n’était qu’une lointaine utopie … Depuis la création d’Israël, les lois civiles se sont bien sur substituées aux lois rabbiniques, mais elles s’en inspirent.

On ne peut, non plus, lire une paracha de la torah de manière anachronique, et se méfier à minima, de toute lecture messianique qui verrait dans le conflit israélo-palestinien un nouveau Gog contre Magog, où Israël interviendrait au nom d’une justice divine, où Tsahal serait le bras étendu de Dieu éradiquant les méchants de la surface de la terre ! L’étude de nos textes est là, à contrario pour modérer nos ardeurs guerrières, comme un aiguillon moral, qui met en doute certaines de nos certitudes, même dans les moments les plus douloureux. Ken yhié ratzon, Chabbat shalom !


[1] https://www.cairn.info/revue-d-histoire-de-la-shoah-2008-2-page-511.htm

[2] Tanhouma Bo 7

Dvar Torah paracha Chemot – Bar Mitsva Nathan , 5 janvier 2024

L’année civile commence par un nouveau livre, celui de l’Exode qui s’appelle en hébreu Chemot, les deux termes n’ont rien à voir, puisque Chemot veut dire Les Noms. Comme le veut la tradition biblique, le premier mot d’un livre et d’une paracha donne le nom au livre ou à la paracha de la semaine.

Et de noms il est question tout au long de cette paracha. Elle commence par une énumération des noms des douze tribus descendues en Egypte. Les douze tribus qui ont gardé leurs noms et leurs traditions pendant les 200 ans qui séparent Joseph et son Pharaon, de Moïse et son Pharaon. Un nouveau Pharaon règne en Egypte qui a oublié les bienfaits apportés par Joseph et qui n’est pas tendre avec le peuple hébreu. Au contraire c’est un tyran, et un parangon parmi les tyrans, un tyran qui se prend pour Dieu et qui s’oppose à Lui !

Face à ce Pharaon, l’histoire se met en marche et nous présente celui qui pourrait s’apparenter à un hébreu moyen, né d’un couple moyen de la tribu de Lévi. Un hébreu moyen qui deviendra le héros des 5 livres dits de Moïse ! Et dans ces premiers chapitres du livre de Chemot, on fait sa connaissance, on suit son histoire et on entend ses premiers mots.

Le début est plus que difficile, puisqu’il est promis à une mort certaine, soumis au décret royal de génocide, comme tous ses frères. Mais une main providentielle, non seulement le sauve, mais le place directement dans « la gueule du loup » si on peut dire : la Cour de Pharaon ! Son nom Moshé, intraduisible bien que la Torah en donne une explication, lui est donné par la fille de Pharaon. Il sera élevé dans ce monde étranger mais ses origines hébreux restent profondément ancrées dans son inconscient. Cette double appartenance lui donnera des compétences particulières, celles d’être un pont entre deux civilisations, entre ses frères hébreux et les Égyptiens. Il sera celui qui parle les deux langues et non un double langage et ce bien qu’étant peu habile avec les mots…tant de paradoxes en un seul personnage !

Appelé de l’intérieur d’un buisson, il répond Hineni me voici, comme son ancêtre Abraham et pourtant il est à des années lumières de cet ancêtre. André Neher nous dit qu’il est le premier qui éprouve « la souffrance de la vocation prophétique »[1]. Cette souffrance transparait dans sa négociation avec Dieu, ses premiers mots expriment ce rejet de sa mission et son argument est qu’il a langue lourde, la parole lente (peut être aussi l’esprit ?). Rashi commentant ce verset en déduit qu’il bégaye, mais peut-être qu’il n’a pas cette vivacité d’esprit nécessaire à un bon meneur d’hommes, qu’il manque d’à-propos et de répondant ?

Rashi nous dit encore qu’il a fallu une semaine entière à Dieu pour convaincre Moïse d’accepter sa mission…qu’il se serait assis à ses côtés et aurait argumenté longuement, jusqu’à perdre patience et s’énerver en disant : Et יהוה lui dit : « Qui donne la parole aux hommes ? Qui les rend muets ou sourds, voyants ou aveugles ? N’est-ce pas moi, יהוה ?

Paradoxalement, Moïse est un homme de mots lorsqu’il négocie avec YHWH, là il ne bégaye pas, bien au contraire…Toute cette argumentation démontre ses doutes, c’est un prophète du doute, contrairement à Abraham et c’est un prophète qui se révolte.

Alors YHWH lui concède un adjoint en la personne de son frère Aharon, qui parlera pour lui, ainsi deux intermédiaires seront nécessaires pour s’adresser au peuple d’un côté, et à Pharaon de l’autre.

Mem shin hé- Moshé et Hashemhey shin mem son palindrome se parlent face à face pendant 40 ans. Celui ou Celle qui n’a pas de nom, l’imprononçable, l’indescriptible, l’inatteignable aura ce dialogue ininterrompu avec son prophète favori Moïse. Lorsque Moïse voudra connaitre son nom, ce nom lui échappera, et la réponse de l’Eternel prendra la forme d’une pirouette : ‘Ehyé Asher Ehyé’[2] ‘Je suis ce que je suis’, ou encore ‘je serai ce que je serai’.

D’après les commentateurs, Ehyé Asher Ehyé est une exégèse, une explication du tétragramme, Yod Hey Vav Hey qui peut se traduire par‘Celui qui met en existence, qui cause la vie’.

Dérivé d’une racine qui est une variante de celle du verbe être, hey vav hey, YHWH est en devenir, selon Erich Fromm[3] en cela il est comme l’être humain, mais reste totalement insaisissable par notre finitude d’être humain. Et par conséquent la seule manière d’appréhender Dieu est d’être attentif à ce qu’Il produit dans nos vies, et, si nous avons de la chance, de ressentir sa présence à nos côtés, à la manière de la promesse faite à Moise : ehyé yimakh, je serai avec toi…

Ce nom il est interdit de le prononcer et à la place nous disons Adonaï. Mais lorsqu’on le découpe en Yod-inspiration, Hey – expiration, Vav – inspiration et de nouveau Hey – expiration, nous entendons et ressentons la vie soufflée quotidiennement par l’Eternel dans nos narines.

Ce souffle a conduit Nathan à vivre ce moment, au moment opportun, le moment où il a pu dire ‘hineni’ me voici et se présenter devant nous tous !

Alors un grand mazal tov, cher Nathan, et chabbat shalom à tous,

Bonne et heureuse année, une année que je vous souhaite à tous pleine de souffle, pour vivre pleinement les nouvelles aventures qui vous attendent avec tous ceux et celles que vous aimez !


[1] Prophètes et prophéties, André Neher, p.199, ed. Payot rivages.

[2] Genèse 3:14

[3] « You shall be as Gods » Erich Fromm, 1966

Drasha Vayechev Hanoucca – KEREN OR, 8 décembre 2023

Joseph commence sa vie comme un jeune homme solitaire, il reste dans la maison paternelle pendant que ses frères s’affairent dans les champs et courent après les brebis.

Ce n’est pas franchement le héros musclé qui va au-devant du danger. Bien au contraire… Joseph a un profil qui revient dans les récits bibliques. Profil que les rédacteurs de la Torah semblent priser particulièrement, ce sont des anti-héros, des solitaires et des mal aimés. Ils vivent dans le confort intérieur de la tente et de leur psyché. Les similitudes avec les caractères d’Abel, d’Isaac, et bien sûr, de son père, Jacob sautent aux yeux.

Joseph est naturellement le préféré de son père, car issu de sa femme adorée Rachel. Il le distingue en lui offrant une tunique magnifique…qui ne peut se porter qu’à l’intérieur. Joseph est, contrairement à eux, ce fils qui reste à la maison, qui tient compagnie à leur père et se montre habile avec les mots. C’est un jeune homme qu’on peut qualifier de spirituel… Bien entendu, pour toutes ces raisons, ses frères grognent de jalousie à son égard. Face à cela, grâce à ses rêves notamment, Joseph se tient à distance, un peu détaché de la réalité matérielle. Il est le plus grand rêveur biblique et aussi le plus résilient. Comment ces caractéristiques vont-elles de pair ?

Justement Joseph rêve par paires. Six rêves ponctuent le récit de Joseph, deux qu’il fera lui-même et les 4 suivants qu’il sera amené à interpréter. Ces trois paires de rêves transformeront son destin. 

Ses deux premiers rêves sont faciles à interpréter même pour ses frères un peu simples et brutaux. Ils sont ensemble et confectionnent des gerbes de blé. Et voilà que les gerbes se mettent à danser et les 11 gerbes de ses frères s’inclinent devant la sienne. Puis il rêve de 11 étoiles et la lune et le soleil qui s’inclinent devant lui. Le résultat ne se fait pas attendre : ses deux premiers rêves lui valent d’être jeté dans un puits et vendu comme esclave.

Il vivra quelque temps avec Potiphar et sa femme qui l’accuse faussement d’avoir tenté de la posséder. Pour cela, il sera jeté en prison et c’est ce moment de son histoire qui est relaté dans l’extrait de la paracha que nous lirons demain matin. Là, à nouveau, les rêves sont par paires : celui de l’échanson puis celui du panetier, ses voisins de cellule. Joseph arrive à point nommé pour les aider à les comprendre. Le talmud nous dit d’ailleurs qu’« un rêve non interprété est comme une lettre non lue ? »[1] et Joseph dit avoir ce pouvoir divin…rien de moins. Pour l’échanson l’issue promise sera positive et il sera restauré dans sa fonction auprès de Pharaon mais pour le panetier ce sera la peine de mort…On ne connait pas la faute qui les a jetés en prison. C’est un midrash qui vient combler ce vide. L’échanson, qui est le chef des sommeliers en quelque sorte aurait laissé servir une coupe de vin dans laquelle une mouche serait tombée, alors que le chef boulanger aurait servi un pain avec un caillou à l’intérieur. L’échanson n’est pas responsable d’une mouche qui vole, mais le pannetier est pleinement responsable d’offrir un pain préparé par ses boulangers qui contient un caillou…

Grâce à cette interprétation, des années après, l’échanson, va se souvenir enfin de son voisin de cellule et présenter Joseph, qui croupit toujours en prison, à Pharaon. Joseph va solutionner les deux rêves de Pharaon. Ses rêves par paires sont là pour apporter de l’emphase et démontrent sa capacité de connexion au divin. Dans un de ces rêves, comme par hasard, il y aura de nouveau des gerbes de blés…La boucle sera bouclée et la vie de Joseph sera non seulement sauvée, mais une véritable success story pourra commencer, dont plus tard, il fera aussi bénéficier toute sa famille. …

Dans l’antiquité les rêves ne sont pas interprétés comme des messages de notre inconscient, ainsi que Freud le théorisera en son temps. Mais plutôt comme des messages divins, quelque peu prophétiques. Ils sont évalués selon leur viabilité : qui est le rêveur et dans quel moment historique ce rêve a lieu ? Puis on juge leur véracité, en fonction de leur récurrence. Ensuite un rêve doit être ‘importé’ : c’est à dire interprété par minimum 3 ‘professionnels’. Enfin, on évaluera leur caractère divin s’ils s’accomplissent[2]. Le talmud ne dit-il pas que : « le feu constitue un soixantième du purgatoire ; le miel, un soixantième de la manne ; le shabbat, un soixantième du monde à venir ; le sommeil, un soixantième de la mort, et le rêve, un soixantième de la prophétie »[3].

Joseph, ce grand rêveur continue à nous faire rêver jusqu’à ce jour car les rêves sont notre nourriture spirituelle. L’anagramme de halom rêve en hébreu, est soit lehem le pain, soit melah, le sel. Les rêves sont comme le pain et le sel de notre vie, aussi indispensables que l’air que l’on respire et la lumière qui nous éclaire. Rêver est vital pour notre santé mentale et permet de nous projeter au-delà d’un moment présent particulièrement anxiogène.

Alors en ce deuxième jour de Hanoukka, profitons pleinement de ces lumignons pour nous laisser aller à nos rêveries qui, sait-on jamais, peuvent être porteuses de messages divins ?

Ken yhié ratzon,

Hag samea’h et chabbat shalom !


[1] Berakhot 55a

[2] Professeur Jack Sasson, https://www.thetorah.com/article/joseph-and-the-dreams-of-many-colors

[3] TB Berakhot 57b

Drasha Vayétzé, KEREN OR 24 novembre 2023

Mercredi soir, j’ai eu la chance de dialoguer avec Anne Soupa et un certain nombre de catholiques de l’association Baptisées du Grand Paris, en présence de membres de KEREN OR. Le thème de la rencontre était ‘de la guerre aux conditions de la paix’.

L’intérêt de cette « tournée » des associations inter-religieuses, entamée depuis 15 jours est, en cette période de crise, de nous rapprocher, pouvoir exprimer idées et ressenti mais aussi de prendre la température et entendre ce que l’Autre pense des juifs que nous-sommes. Comment résiste notre amitié judéo-chrétienne à la pression médiatique, à nos désaccords concernant l’analyse de ce qu’il se passe au Proche Orient ?

L’intérêt de ces rencontres réside aussi dans l’observation de leur organisation et déroulement. Ce que l’hôte veut bien que l’on dise et ce qui doit être tu. La crainte sous-jacente d’offenser, ou que l’échange déborde. Le besoin coté catholique d’éviter à tout prix un éventuel antagonisme en donnant la priorité à la prière plutôt qu’au débat. En réalité, lorsque ces rencontres ont lieu, chaque groupe a déjà des idées assez arrêtées sur les questions qui vont être abordées, et l’écoute de l’intervenant se fait avec ces filtres de présupposés. De mon coté, j’avais préparé une présentation de la pensée rabbinique classique à propos de la guerre et de la paix.

Pour Anne Soupa, les conditions de la paix impliquent un travail sur soi en profondeur, une désappropriation de soi, d’aimer ses ennemis comme le demande Jésus « Eh bien ! moi je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour vos persécuteurs, afin de devenir fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes » Parole qu’elle-même considère comme impossible à entendre en période de guerre…certes on fait la paix avec ses ennemis, mais de là à les aimer ? on souhaiterait juste les tenir à distance et qu’ils nous laissent en paix, ce serait déjà une grande et bonne chose.

Les conditions de la paix, selon la tradition juive nécessitent bien évidemment des compromis. Des compromis entre justice et paix, comme on peut lire dans le traité Sanhédrin :

Rabbi Yehochoua ben Kora dit : C’est une mitzva de servir de médiateur dans un conflit, comme il est dit : « Exécute le jugement de la vérité et de la paix dans tes portes » (Zacharie 8:16). N’est-ce pas que là où il y a un jugement sévère, il n’y a pas de paix véritable, et que là où il y a une paix véritable, il n’y a pas de jugement sévère ? Mais quel est le jugement qui porte en lui la paix ? Vous devez dire : C’est une médiation, car les deux parties sont satisfaites du résultat.

Dans la Torah nous avons le modèle de Moise qui est plutôt du coté de la justice et de la vérité, parfois avec sévérité. ‘Que la loi transperce la montagne’ nous dit Moise dans Sanhedrin, et de l’autre son frère Aharon est un rodef shalom, le poursuivant de la paix…parfois à tout prix, quitte à laisser faire le veau d’or.

Dans la Genèse, on a plusieurs exemples de compromis menant vers la paix entre nos patriarches et leurs voisins. Cela commence avec Abraham et Avimélekh se poursuit avec Isaac et le même Avimelekh…

La paracha Vayétzé aborde la vie du 3e patriarche Jacob et il s’agit d’un conflit intra-familial qu’il faut régler. Ce conflit concerne Laban et son beau-fils Jacob. Laban est le petit fils de Nahor, frère d’Abraham et il est aussi le frère de Rebecca, donc l’oncle de Jacob. C’est un personnage très retors qui toute sa vie va chercher à manipuler à la fois ses filles et son beau-fils. Face à lui, Jacob a un passif à se faire pardonner, lui qui a fui la maison paternelle, après avoir menti à son père et son frère, reçoit une leçon de son beau-père, qui lui renvoie comme un miroir son propre comportement. Jacob, au cours des 20 années de sa vie d’adulte, jusqu’à la scène dramatique de notre paracha accomplit une véritable révolution intérieure, pour échapper au mensonge et devenir un pater familias fiable, sur lequel une tribu toute entière peut se reposer.

Son explosion de colère dans le chapitre 31 renvoie Laban – le blanc, qui est plutôt bien gris, à ses mensonges successifs, à son exploitation de son propre beau-fils dont il a changé 10 fois le salaire et auquel il dénie tout patrimoine après 20 ans de loyaux services !

Le verbe גנב est répété à 6 reprises dans ce chapitre, d’abord à propos de Rachel qui subtilise les idoles de son père, puis de Jacob dont il est dit qu’il a volé le cœur de Laban [1]ויגנב יעקב את לב לבן, autrement dit qu’il l’a trompé. Puis c’est Laban lui-même qui le répète à trois reprises à propos des idoles que Rachel lui a soustrait.

Il n’y a clairement aucune justice ni vérité entre Laban et Jacob et pourtant après que Jacob ait pu dire tout ce qu’il avait sur le cœur à Laban, et lui ayant rappelé leurs liens familiaux, il arrive à toucher une corde sensible. Laban propose enfin une alliance de paix. Une paix froide, où un monceau de pierres marque la limite du territoire de chacun, la frontière indépassable.

Ces derniers versets sont sources d’espoir, la colère contenue de Jacob avançant des arguments entendables, même par un beau-père foncièrement mauvais, ont porté leurs fruits. Rencontrer l’autre implique de se dire des vérités, d’aller dans la profondeur des désaccords, de parler avec de son ressenti, d’utiliser le ‘je’ plutôt que le ‘tu’ qui tue, comme l’a fait Jacob dans ces versets.

Sans vérité, pas de paix, mais pour aboutir à la paix, cette vérité ne doit pas « transpercer la montagne »…Trop de vérité conduit au bris des tablettes, et trop de paix à la construction du veau d’or, nous dit le Rabbin Jay Kelman, trouver le bon compromis est une véritable gageure parfois. Les médiateurs porteurs du rouakh hakodesh – l’esprit de saintenté qui est indispensable pour qu’une situation inextricable aboutisse à un dénouement heureux. Espérons que cela sera le cas entre les belligérants actuels. Pour le plus grand bonheur des familles meurtries et de nous tous…

Ken yhié ratzon, chabbat shalom!


[1] Genèse 31 :20

Drasha Hayyé Sarah, 10 novembre 2023 – KEREN OR

Israël et les juifs du monde entier se sont recueillis et ont commémoré les chlochim les 30 jours depuis le pogrom perpétré par le Hamas, où 1400 civils israéliens ont péri. A cette occasion, on a pu à nouveau écouter des témoignages poignants de familles ayant perdu un des leurs, enfant ou parent, frère ou sœur, des familles décimées qui font vivre leurs chers disparus à travers ces récits de vie, souvent héroïques. Un mois plus tard, d’autres familles n’ont même pas la chance, si on peut dire, de pouvoir porter le deuil de proches qui ont été pris en otage par ces mêmes barbares du Hamas et dont il est à craindre que les plus fragiles aient depuis longtemps quitté ce monde.

A nouveau, les juifs paient un lourd tribut pour tout simplement exister en tant que peuple sur cette terre. Et en diaspora, ‘notrecœur est en Orient alors que nous sommes à l’extrême occident…’, pour paraphraser le poème de Yehouda Halévi.

Cette capacité d’empathie avec nos frères et sœurs en Israël suscite trop souvent l’incompréhension, comment se fait-il qu’on se sente si concerné par ce qu’il se passe là-bas ? Ne sommes-nous pas nous-mêmes à la source de l’importation de ce conflit en France ? N’est-ce pas la faute des juifs et de leur sacro-sainte unité face aux ennemis extérieurs, s’il se crée ce hiatus national ? Voilà les questions que posent nos concitoyens et qui creusent le fossé d’incompréhension.

Puis, très vite suit un autre discours éculé : n’est-ce pas aussi notre faute si à cause de notre solidarité atavique, face à nous se dresse aussitôt un mur, où cohabite sans l’once d’une contradiction, la haine des sionistes et une empathie toute aussi viscérale envers les Palestiniens ? Alors que chacun sait que ce peuple est davantage victime de ses propres dirigeants que du conflit israélo-palestinien ?

Enfermés dans le triangle infernal ‘victime, sauveur, bourreau’ les acteurs de ce drame et leurs supporters s’entredéchirent, et rivalisent afin de s’attacher le peu d’empathie disponible. Pas étonnant que, face à une communication qui nécessite pour les néophytes, une solide connaissance historique et géopolitique, c’est le chaos qui s’installe. Alors nombreux parmi nos concitoyens aimeraient qu’on leur fiche la paix, et qu’on aille démêler nos polémiques ailleurs, la France en a plus qu’assez.

Dans un engrenage irrésistible s’ouvre la séquence suivante, celle d’une montée inexorable de l’antisémitisme, de paroles et d’actes ignobles qu’on croyait d’un autre temps. Des paroles et des actes qui rebattent les cartes et nous obligent à faire le tri entre vrais et faux amis. Des paroles et des actes qui eux ont bien lieu sur le sol français…alors que faire ? Culpabilisés encore par l’ombre bien pâlichonne de la Shoah qui plane derrière les politiques, qui en font pour la énième fois une cause nationale : il faut faire quelque chose ! Mais le ver est depuis bien trop longtemps dans le fruit et même la lutte contre l’antisémitisme polarise et divise les plus hautes instances de ce pays… et là, nous juifs avons avec raison l’impression de passer par pertes et profits, car devant la manipulation grossière des valeurs qui constituent le socle de notre République, on a atteint le fond de l’abjection.

Alors mis à l’écart comme des lépreux, comment faire pour que notre parole soit écoutée ? Comment argumenter face aux chantres décoloniaux, qui amalgament les causes et les sujets ? Comment faire comprendre à ceux qui sont moins sensibles à la cause, que la lutte contre l’islamisme est mondiale ? que l’état d’Israël doit se défendre car il est aux avant-postes de cette bataille devenue une guerre obligatoire. Déjà au 12è siècle Maimonide définissait dans son code Mishné Torah ce qu’est une guerre obligatoire, milhemet mitsva : 

… Qu’est-ce qui est considéré comme une milhemet mitzvah ? La guerre contre les sept nations qui occupaient Eretz Yisrael, la guerre contre Amalek, et une guerre menée pour défendre Israël contre un ennemi qui l’attaque.

Cette guerre n’est pas et n’a jamais été une guerre de vengeance aveugle et encore moins d’occupation. Tzahal est soumis à un code éthique considéré comme exceptionnel par toutes les armées occidentales, alors que le Hamas se sert de sa population comme d’un bouclier humain depuis plus de 15 ans, comme l’a dit encore cette semaine un de ses dirigeants Ismail Haniye : ‘nous avons besoin du sang des femmes, des enfants, des personnes âgées afin d’éveiller notre esprit révolutionnaire.’

Jamais nous ne partagerons cette vision mortifère de « l’esprit révolutionnaire ». Elle est aux antipodes de la culture juive qui ne se réjouit pas de la mort même de ses pires ennemis, et on la garde en mémoire, même à chaque fête, comme lors du seder où les gouttes de vin otées du verre à la récitation de chaque plaie symbolisent notre empathie envers nos ennemis, qui ont souffert aussi…

Pour nous purifier un peu de toute cette haine, la paracha et la haftara de cette semaine parlent d’amour, de l’amour consolateur de Rebecca pour Isaac, lui qui est sorti traumatisé par le geste quasi-sacrificateur de son père, et qui pleure ensuite sa mère. Et de l’amour protecteur du fils de Saul, Jonathan, pour David, futur roi des Israélites, pourchassé par le roi Saul qui veut le mettre à mort par jalousie, après la victoire de David sur Goliath, le philistin…

Les Philistins forment ce peuple avec lequel, à l’instar des Amalécites, les Israélites sont en perpétuelle guerre dans la Torah. Descendants de Ham, le fils de Noé, les Philistins occupent la bande côtière au Sud de Canaan exactement à la place actuelle de Gaza…  Des millénaires plus tard, nous devons faire à ces mêmes ennemis et une même cruauté. Comme le disait Georges Bensoussan un esprit pervers s’est emparé de toute une frange de la population par le monde, qui cherche à nazifier Israël pour transformer les victimes en bourreaux et se déculpabiliser. Le Hamas surfe sur cette vague.

Consolation et sécurité voilà ce dont les juifs ont cruellement besoin depuis ce chabbat noir du 7 octobre, les deux nous sont déniés qu’on soit là-bas ou ici. Ce besoin vital, il faut l’exprimer auprès de ceux et celles qui nous montrent des signes de solidarité et d’amitié car ils sont plus nombreux qu’on ne le pense…

Ken yhié ratzon,

Chabbat shalom !

Paracha Noa’h – bat mitsva Rivkha, KEREN OR 20/21 Octobre 2023

La tradition juive a cette belle coutume de déposer une pierre lors de la visite d’une tombe. Plusieurs interprétations existent : l’une, très prosaïque, nous dit que c’est ainsi qu’on marquait les lieux où on enterrait ses morts dans les champs, ou le désert, afin que l’on ne les piétine pas. Une autre interprétation rabbinique décompose le mot pierre, even en hébreu, en ces 2 parties : av et ben, l’association d’un père et son fils, ou d’un parent et d’un enfant se consolide dans la pierre qui lie à l’infini la chaînedes générations. Parent et enfant construisent une pierre symbolique et se passent le flambeau. On marque de cette façon son respect et son appréciation de ce qui nous a été légué.

Notre paracha parle d’une construction d’une autre nature, un ouvrage gigantesque la Tour de Babel, qui a pour ambition de « grater le ciel »…Le 3e verset de ce récit nous dit :

וַיֹּאמְר֞וּ אִ֣ישׁ אֶל־רֵעֵ֗הוּ הָ֚בָה נִלְבְּנָ֣ה לְבֵנִ֔ים וְנִשְׂרְפָ֖ה לִשְׂרֵפָ֑ה וַתְּהִ֨י לָהֶ֤ם הַלְּבֵנָה֙ לְאָ֔בֶן וְהַ֣חֵמָ֔ר הָיָ֥ה לָהֶ֖ם לַחֹֽמֶר׃

Ils se dirent l’un à l’autre : « Venez, faisons des briques et brûlons-les à la flamme » ; la brique leur servait de pierre, et le bitume leur servait de mortier.

Dans ce récit, la construction est faite à partir de briques, mélange d’argile qui est brulé à une certaine température. Les briques, matériau primitif, utilisées faute de pierres, car la région en est dépourvue…

Le récit du projet de la Tour de Babel échoue et est considéré par certains commentateurs comme une tentative de ridiculiser la civilisation babylonienne, dont l’orgueil sans limite se traduisait par des constructions pharaoniques, comme l’indique un verset d’Isaïe:

Un jour, tu as pensé dans ton cœur, « Je monterai au ciel ; Plus haut que les étoiles de Dieu

Je placerai mon trône. Je m’assiérai sur la montagne de l’assemblée (divine), Sur le sommet de Zaphon[1]:

Cette critique à peine voilée de Babylone se retrouve dans le nom même de la tour : Bavel qui veut dire Babylone en hébreu.

Ce très court texte dénonce la manière autoritariste et inhumaine de Babylone de diriger ces travaux d’envergure. L’entêtement et la bêtise de leur leadership, qui ont le savoir-faire technique des bâtisseurs, comme ceux des pyramides, mais dont le dessein plein d’arrogance et de suffisance ne peut qu’être voué à l’échec.

On ne peut s’empêcher de voir aussi dans cette tentative, le désir fou de l’humanité à travers les âges, de laisser une trace de son passage, voire de devenir immortels. Cela est commun dans toutes les cultures de l’Antiquité : en Egypte, en Babylone ou en Grèce, et plus près de nous, en Occident les constructions ininterrompues de gratte-ciels, et ce, y compris ces dernières années dans la péninsule arabique sont comme un clin d’œil à la tour de Babel.

Leo Baeck dans son livre l’Essence du Judaïsme compare et oppose les aspirations de la civilisation grecque et ses héritiers occidentaux avec celles du peuple juif. La construction de monuments ou d’œuvres d’art spectaculaires a pour motivation le désir de figer le temps, et les canons esthétiques, par essence éphémère. Selon la philosophie grecque, la perfection représentée par ces œuvres humaines est une tentative de se rapprocher du Dieu de la Création.

Pour cette même raison, le judaïsme se méfie de ce qui est statufié et va jusqu’à le condamner définitivement : c’est l’origine de l’interdit de l’idolâtrie. A cela, il préfère l’idée d’une création continue, d’une évolution, il reconnait l’imperfection et travaille à la réparer tout en sachant que la perfection est un objectif hors d’atteinte, sauf à vivre dans le temps messianique.

Plutôt que de chercher à s’élever jusqu’au ciel et de rivaliser avec Dieu, d’une manière désespérée, le judaïsme met en avant l’humilité, et le retrait.

L’être humain ne peut cependant s’empêcher d’être fasciné par ces constructions gigantesques et de les admirer, même en ruines il en reste quelque chose et ainsi dans un midrash Rabbi Ḥiyya bar Abba commente : La tour qu’ils ont construite, un tiers a été brûlé, un tiers s’est enfoncé [dans le sol], et un tiers existe encore.[2]

Ce tiers qui existe encore nous rappelle qu’on ne réussit jamais à totalement éradiquer le mal représenté au début du récit biblique, par le triptyque de la jalousie (Cain et Abel) la débauche (Noé) et l’orgueil (Bavel) ainsi que le commente Catherine Chalier.[3] Ce mal, sous une forme ou une autre peut renaître de ses cendres à chaque génération.

La pierre qui sert à bâtir et unir les générations et à humaniser la société peut être utilisée au contraire à la fragmenter et l’enlaidir au travers d’un dessein totalitaire.

Notre modèle est et restera Jacob, notre patriarche, lorsqu’il se couche et repose sa tête sur des pierres, sources de rêves d’avenir, rêves qui le font aussi renouer avec le divin, car c’est un travail commun comme on peut lire dans un psaume :

Si l’Eternel ne bâtit pas une maison, c’est en vain que peinent ceux qui la construisent ; si l’Eternel ne garde pas une ville, c’est en vain que la sentinelle veille avec soin.[4]

Chère Rivkha en ce jour où tu célèbres ta bat mitsva, où on te passe le flambeau de notre belle tradition juive, tu fais preuve d’un engagement sans faille : un grand mazal tov à toi et ta famille ! Puisses tu continuer à rire, rêver et faire ton chemin dans un monde en paix ! Et puissent tes parents te guider et t’accompagner car tu es une de nos pierres précieuses sur lesquelles repose aussi l’avenir de notre humanité !

Ken yhié ratzon, chabbat shalom !


[1] Demeure divine

[2] Midrash berechit rabbah 38:8

[3] https://youtu.be/EOfZHLTqa_0?si=Kjy1dlnmAMr53Gz0

[4] Psaume 127:1

Drasha Béréchit – BM Vadim Mattout 13 Octobre 2023 KEREN OR

Comment prendre la parole aujourd’hui devant vous après la tragédie que nous vivons collectivement depuis le 7 octobre ? il y a une semaine à peine, j’invoquais la joie qui déborde et qui se cumule sans fin, alors qu’on célébrait la bat mitsva d’une jeune israélo-américaine, dès le lendemain un crime contre l’humanité était perpétré à 4000km de nous, dans ces villages et kibboutzim paisibles du Sud d’Israël. La joie se transformait en un instant en sidération, et un chagrin infini assiégeait nos cœurs meurtris.

L’histoire nous a malheureusement habitués de passer de la joie à la peine en s’identifiant à nos frères et sœurs juifs frappés par des actes antisémites et terroristes, ou par la guerre, à se sentir immédiatement en totale communion avec eux, comme il en est aussi pour eux envers nous, où que l’on soit dans le monde.

Être juif c’est être le sismographe des malheurs du monde : on ressent à distance les grosses secousses comme les lointains battements d’ailes de papillons.

Notre éducation, et notre héritage pointent dans la direction des textes de sagesse transmis de génération en génération :

Ouvimkom chéein anachim, tichtadel lihiot ich[1] : dans un lieu où il n’y a plus d’humains, fais l’effort d’être un humain ! Ce sont les paroles  d’Hillel l’ancien vieilles de 2000 ans qui n’ont pas pris une ride.

On a fait notre cette maxime, comme on veut croire encore à l’un des versets de la création que nous lisons ce chabbat : vaIvra Elohim et haadam betzalmo, betzelem Elohim bara oto. Et Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa.

Cette notion de Tzelem Elohim, est répétée à 3 reprises dans la paracha, ici, puis à deux reprises au chapitre 5 de la Genèse, à propos d’Adam créé bidmout Elohim, à la ressemblance divine. Et enfin, dans le même chapitre, à propos de Chet le troisième fils d’Adam, frère d’Abel et Caïn, né après le premier meurtre biblique, d’Abel par son frère Cain. Ce fils Chet qui vient « réparer » l’acte commis par son frère, et il est dit qu’il est né ‘bidmuto k’tzlamo’ ‘dans sa ressemblance, à son image’.

L’homme créé betzelem Elohim porte en lui une valeur éthique fondamentale pour les juifs et pour l’humanité. Rentrée dans le langage courant du judaïsme, l’expression a été raccourcie en ‘betzelem’. C’est une sorte de boussole de chaque être humain, celle de ses comportements éthiques. En se rapprochant d’un idéal divin, on se rapproche davantage de notre humanité.

Selon le rabbin David Kimhi (1160-1235, appelé aussi Radak), exégète de la Bible et philosophe médieval français, le terme demout fait référence à une ressemblance physique ou matérielle avec le reste de la création ! Un être humain se compose par conséquent de ces deux ressemblances, physique à tous les humains et morale à la divinité.

Mais que veut dire pour l’être humain d’avoir été créé b’tzelem Elohim ?

Le Rabbin Haim Sabato[2], linguiste et sioniste religieux, récipiendaire de plusieurs prix prestigieux[3], liste 5 caractéristiques qui définissent l’homme créé b’tzelem Elohim :

1/il est capable d’exercer une domination sur la nature, (mais avec le risque de l’épuiser et la détruire),

2/ il est doté d’inventivité et de créativité,

3/ il est libre et fait preuve de discernement,

4/ il fait preuve de libre arbitre,

5/ il est capable d’amour fraternel – hessed et de solidarité envers son prochain.

Avoir été créé à l’image divine comporte des risques, l’un d’entre eux est d’oublier sa place dans la Création et de pécher par excès d’orgueil. Rashi dans son commentaire sur la première occurrence de Tzelem Elohim met en garde contre cette propension de l’homme à manquer d’humilité, et il lit dans le verbe v’irdou– ils descendront, une menace qui pèse sur lui, de dégringoler dans la chaîne de la Création.

De la création d’Adam jusqu’à nos jours des êtres humains se sont transformés en barbares et ont perdu leur humanité, ils se sont transformés en ces monstres bibliques appelés ‘nefilim’ issus de mariages contre nature entre les dieux et les filles de l’homme, ceux qui ont effrayé les hébreux lors de leur exploration de la terre de Canaan, dans l’épisode des explorateurs, ceux qui, à chaque génération ont tenté de détruire leurs frères et sœurs humains ou humilier et voler leur humanité.

De nos jours, un nouvel axe se dessine trop clairement, un axe qui réunit en son sein les dirigeants et les complices, sorte d’héritiers naturels des monstrueux nefilim. Cet axe prend racine à l’extrême Est de la planète et passe par la Russie, l’Iran, le Qatar, la Syrie. Ces dirigeants manipulent à distance les marionnettes du Hezbola au Nord et du Hamas au Sud, en tentant sans succès de serrer dans leurs griffes crochues Israël…afin de le détruire.

Que faire à notre niveau face à cet axe déboussolé qui a perdu tout sens de l’humain ? Le plus important me semble t il est de ne pas sombrer dans la nekama la vengeance, car comme disait l’un de mes amis israéliens Milhama ze lo nekama, la guerre ce n’est pas la vengeance.

Beaucoup d’entre vous ressentent de l’impuissance en ces heures sombres et pourtant chacun peut agir à son niveau, le soutien peut se manifester par la lutte contre la désinformation, par les gestes de solidarité, par votre engagement auprès des associations qui vous sollicitent et même par votre simple présence ici à la synagogue. Il nous incombe de former axe du hessed d’amour fraternel, en se préoccupant les uns des autres, sans se laisser dérober ce que l’on a de plus précieux : notre humanité, c’est cela notre acte de résistance ! Vadim devient bar mitsva ce chabbat, il est fils du commandement c’est à dire porteur de ces mêmes valeurs de hessed et d’humanisme, transmises par ses parents, sa famille et les madrikhim de KEREN OR depuis tant d’années. Mazal tov à toi Vadim, puisses tu être à ton tour, le digne dépositaire de cette lumière dont on a tant besoin, chabbat shalom !


[1] Pirke avot 2:5

[2] https://www.929.org.il/page/5/post/122

[3] Sapir et Ytzhak Sade

Drasha Yom Kippour – Kol Nidré 24 septembre 2023

En 1946, Aharon Appelfeld était un adolescent rescapé des camps de la mort, orphelin et décharné il raconte dans un de ses livres autobiographiques ‘le garçon qui voulait dormir’ son errance dans une Europe en ruines, jusqu’à son arrivée en Palestine/Israël. C’est un témoignage à la première personne de ce qu’était l’Israël des réfugiés de l’Alya beth, dont a fait partie l’écrivain, et qui s’est étendue de 1933 à 1948.’ Alya illégale’ selon le ‘livre blanc’ élaboré par les Britanniques qui occupaient la région.

A cette époque, les responsables du Yishouv avaient un projet très clair : donner naissance à un peuple tout neuf en Palestine. Il fallait se réinventer de fond en comble comme on dit aujourd’hui. Erwin a dû changer son prénom en Aharon, et s’atteler à apprendre une nouvelle langue, ainsi que s’entrainer à devenir un soldat musclé et bronzé, prêt à se battre pour la nouvelle patrie, comme tous ses camarades.

La renaissance de l’état d’Israël était perçue, par ceux qu’on appelait les ‘sherit hapleta’ les restants de la catastrophe, comme l’ultime Yeshoua et Guéoula sauvetage et libération tant attendus. Cela rappelait confusément l’intervention divine pour sauver et sortir les Bneï Israel de l’esclavage en Egypte.

Le récit d’Aharon Appelfeld est pourtant beaucoup moins glorieux, et il raconte son lent rétablissement, son corps anesthésié qui reprend doucement goût à la vie, secouru par des mains patientes, délicates, pleines d’humanité. Il a fallu plusieurs années, parfois une vie entière, pour se relever d’un tel traumatisme.

En 1957, Aharon Appelfeld retrouve son père qui aura survécu également, et entre temps il aura fait des études et exercé le métier de professeur de littérature. Devenu un célèbre écrivain de langue hébraïque multi primé, il a fait partie de cette génération de bâtisseurs de l’état d’Israël, de survivants, qui ne cherchaient pas une revanche mais un havre de paix. Leur seule ambition était de bâtir un pays comme nul autre, encré dans les paroles prophétiques d’Isaïe, en résumé : un modèle pour les nations.

Trois générations plus tard, que reste-t-il de cet idéal fondateur ? La douleur et la honte m’étreignent lorsque je découvre une vidéo tiktok, où le fils du ministre en charge de la sécurité intérieure Ittamar Ben Gvir, interviewé par son fils de 17 ans, promu depuis peu responsable comm. de son père, fait l’apologie du port d’armes et se félicitant de l’augmentation des ventes d’armes en Israël, prônant, en toute impunité, le ‘nettoyage ethnique’ et le séparatisme[1]

En février dernier, au cours d’un énième attentat meurtrier, 2 israéliens ont été assassinés par un terroriste palestinien, alors qu’ils circulaient en voiture à Hawara,. En représailles, des bandes de militants d’extrême droite juifs israéliens ont incendié des maisons, des voitures et d’autres biens, et ont blessé des dizaines de Palestiniens, sans que les forces de sécurité israéliennes ne fassent grand-chose pour protéger les habitants palestiniens. Youval Harari raconte son expérience face à une poignée de militants qui, des mois après cet attentat et cette expédition punitive scandait dans les rues et par hautparleur un chant devenu populaire[2] :

Qui va finir dans les flammes maintenant ? – Hawara !

Des maisons et des voitures ! – Hawara !

Ils évacuent les vieilles dames, les femmes et les jeunes filles, ça brûle toute la nuit ! – Hawara !

Brûlez leurs camions ! – Hawara !

Brûlez les routes et les voitures ! – Hawara !

Voilà le nouveau visage d’une partie d’Israël, une sorte de far West, où on se fait justice soi-même en appliquant stupidement la devise ‘œil pour œil dent pour dent’ me fait frémir.

Ce sont deux exemples, parmi d’autres, du racisme et de l’incitation à la violence prônée par une frange non négligeable de la population israélienne sensible à ces propos…

Une brèche, que dis-je, un fossé se creuse sous nos yeux entre ceux et celles qui restent fidèles aux valeurs démocratiques et inclusives des origines et celles et ceux qui les pervertissent.

Dans ses hilkhot techouva lois de la Techouva, Maïmonde écrit :

Chaque personne devrait se considérer pendant toute l’année comme si ses mérites et ses fautes étaient également équilibrés, et considérer le monde entier comme s’il était à moitié innocent et à moitié coupable ; or, si une personne commet une seule faute de plus, par cette seule faute elle fait prévaloir la balance de la culpabilité, tant à son égard qu’à l’égard du monde entier, et, par conséquent, elle le détruit ; Par contre, si une personne accomplit un seul commandement de plus, par cette seule bonne action, elle fait basculer la balance des actes positifs vers elle-même et vers le monde entier, et par conséquent elle apporte le salut et la délivrance à la fois à elle-même et au monde[3].

L’éléphant dans la pièce, comme disent les anglo-saxons, ou le caillou dans la chaussure suscite une souffrance à la limite du supportable et on se doit de lancer cette discussion, surtout en cette période qui invite à l’examen de conscience, et à la techouva.

La cocotte a déjà explosé et des feux s’allument dans le pays. Des pans entiers de la population israélienne sont en opposition frontale avec la réforme judiciaire du gouvernement et ses positions extrêmes en général. Ils manifestent et font grève avec leurs moyens et ne veulent plus participer ni à sa vie économique, ni à son effort militaire, certains quittent déjà le pays. Encore plus grave pour l’avenir d’Israël est l’initiative prise par 200 jeunes bacheliers qui ont signé une lettre déclarant refuser de rejoindre Tzahal et effectuer le service militaire obligatoire.  

Déjà des voix de candidats aux primaires américaines, pas seulement démocrates s’élèvent pour supprimer toutes les aides militaires à l’état hébreu (soit 3,8 mds de $ par an), et ce, mêmes si ces aides bénéficient, par effet boomerang, à l’état américain. La raison invoquée est ‘qu’Israël ne partage pas ou plus les valeurs démocratiques des Etats Unis’, selon Dan Kurtzer, ancien ambassadeur des Etats-Unis en Israël entre 2001 et 2005 …[4]

Depuis fin août, une pétition signée par plus de 2000 professeurs d’université israéliens et américains, rabbins et personnalités, à grande majorité juive, circule et traite l’état d’Israel de terre d’apartheid…du jamais vu depuis sa création, ce terme et ce qu’il véhicule ayant toujours été considéré comme tabou et réservé aux ennemis d’Israël…

L’état hébreu se referme sur sa coquille, où les drames causés par les actes terroristes palestiniens, quasi quotidiens, ne font que s’ajouter à la ‘milhemet ahim’  la guerre entre frères et sœurs, qui fait rage dans le pays.

De quoi sera fait l’avenir ? comment faire pour que les différentes ‘tribus’ qui composent le kaléidoscope israélien se tournent de nouveau les unes vers les autres pour tenter de se comprendre, communiquer, rechercher le dialogue, et la réconciliation ? Comment retrouver ce lien entre nous et en même temps, la fidélité aux pères fondateurs ? Ce sont des questions existentielles pour la survie et la pérennité de l’état hébreu. Aller de l’avant c’est continuer à bâtir Israël en prenant en compte ces fondamentaux, à l’opposé d’une vision passéiste de son Histoire.

Il y a tant de vœux à formuler, de tout notre cœur, pour nos frères et sœurs israéliens en cette année 5784. En premier lieu, puisse l’Eternel détourner ses citoyens de l’adoration de tous les veaux d’or qui ont fleuri sur son sol et en premier lieu, celui du fantasme de la pureté ethnique, à l’exclusion de tout ce qui est ‘autre’. Puisse chacun de ses habitants faire pencher la balance vers le bien, et que l’Eternel accorde à tous ses citoyens la paix et la sérénité propice au dialogue, ainsi que le retour vers l’Israël figurant dans notre liturgie. L’Israël qui fait référence à un peuple unifié, auquel a été confié une mission et un projet qui le dépasse.

Ken yhié ratzon, hatima tova et tzom kal !


[1] Israel’s TikTok Extremists (jewishcurrents.org)

[2] https://www.haaretz.com/israel-news/2023-07-13/ty-article-magazine/can-judaism-survive-a-messianic-dictatorship-in-israel/00000189-5049-de0f-afbb-7c6d75a40000

[3] lois de la Techouva 3 : 4

[4] https://www.haaretz.com/israel-news/2023-08-06/ty-article/.highlight/once-taboo-discussing-ending-u-s-military-aid-to-israel-has-become-increasingly-popular/00000189-c752-ddac-a3cd-e77363d00000

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