Rabbin Daniela Touati

Pirke Avot 5:16 : "Tout amour qui dépend de son objet, si l’objet disparaît, l’amour disparaît, Mais s’il ne dépend d’aucun objet, il ne cessera jamais."

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Drasha Vayetzé 2 décembre 2022 coup de foudre autour d’un puits – KEREN OR

Vayshak Yaakov et Rakhel, vayssa et kolo vayevk’ « Et Jacob embrassa Rachel et leva la voix et pleura». Genèse 29 :11. Ces 6 mots d’une intensité terrible plantent le décor. Voila comment commence le premier coup de foudre de la Torah, une histoire qui a la particularité d’éclore avant le mariage. …

Cela se passe autour d’un puits, comme pour Isaac… Jacob dans un même mouvement dégage la pierre du puits, pour que Rachel puisse abreuver son bétail, l’embrasse et sous le choc d’une émotion qui le submerge, éclate en sanglots. C’est une histoire sans paroles en deux versets.

Et pourtant, ce n’est pas à cela qu’on s’attend lors d’une première rencontre romantique entre un homme et une femme : d’abord une certaine pudeur retient d’habitude l’homme de sauter au cou d’une femme inconnue, pour l’embrasser. Ensuite il n’est pas censé s’épancher de cette façon. Un homme ne pleure pas !

Mais notre patriarche n’est pas un homme comme les autres. Il vient de vivre une expérience spirituelle intense, dont il ne s’est pas encore remis. D’ailleurs le verset qui parle de son départ de Bet El, après son rêve de l’échelle utilise le verbe « nassa » qui est inhabituel dans ce type de description. « Vayssa Yaakov raglaiv » « et Jacob leva ses jambes » comme s’il marchait en apesanteur. Et le midrash nous dit ‘Dès que Jacob a reçu l’annonce exaltante de la part de l’Eternel concernant sa descendance, son cœur leva ses jambes, le mettant rapidement en mouvement’ en mouvement pour accomplir son destin.

Et le voilà à nouveau soumis à une vive émotion. L’élan amoureux envers Rachel est aussi intense que sa rencontre en rêve avec Dieu. Son cœur est mis à l’épreuve à deux reprises en l’espace de quelques heures. Mais ce cœur est entaché par sa double imposture : celle commise envers son père et celle envers son frère en qui il s’était travesti.

Et comme par un juste retour des choses, son histoire d’amour avec Rachel sera semée d’obstacles et souillée par la ruse et le mensonge, cette fois de son beau-père et oncle, Laban, envers lui. Le parallélisme entre les deux histoires est frappant : on ne peut épouser la cadette, Rachel, alors que l’ainée, Léa, n’est pas encore mariée, on ne peut tricher une deuxième fois.

Tout le long de cette paracha, la langue hébraïque est pleine de non-dits qui  sont mis en lumière par de magnifiques midrashim :

L’accolade et le baiser un peu trop appuyés de Laban, le futur beau-père, seraient annonciateurs de sa tromperie, car il aurait été déçu par l’arrivée de ce parent pauvre qui n’a même pas de dot à offrir à sa fille !

Nous avons d’un côté, la vérité d’un regard et d’un visage vu en plein jour, celui de Rachel, qui provoque l’amour et qui est fait de surprises, de mystères et de beauté. Jacob travaille 7 ans pour Laban pour obtenir le droit d’épouser Rachel. Après le coup de foudre, il est prêt à tous les sacrifices et s’engage totalement pour sa bien-aimée. Car comme le dit le psychanalyste Erich Fromm : « aimer quelqu’un ce n’est pas juste éprouver un sentiment puissant – c’est une décision et une promesse. Si l’amour n’était qu’un sentiment, la promesse d’aimer quelqu’un pour toujours n’aurait aucune base. Un sentiment vient et peut s’en aller.  Comment puis-je m’assurer qu’il va durer pour toujours si je n’agis pas avec discernement et je ne me décide pas à m’engager ? » Après l’arrêt sur image du coup de foudre, la lumière de la raison prend le dessus.

Nous avons de l’autre côté, le mensonge, la tromperie, la ruse qui ont besoin de la pénombre pour se déployer. La relation entre Jacob et Laban est pleine de laideur même si elle a probablement une fonction : celle de faire prendre conscience à Jacob de ses propres actes. Laban convie tout le monde à une fête de mariage la nuit, quand on ne peut distinguer les visages et il ruse en inversant les deux sœurs. Le jeu de cache-cache aura des conséquences dramatiques pour les générations suivantes et ce type de manipulation va se répéter entre Dina, Joseph et leurs frères. 

Un des plus grands crimes d’un homme envers son prochain selon le talmud c’est de l’offenser le tromper voire l’humilier par des mots, cela s’appelle la onaat devarim. D’après le talmud, lorsqu’on dupe l’autre, on est par définition seul à connaitre notre intention. Est-ce que c’était un acte volontaire ou a-t-on agi par inadvertance ? Cela se situe dans notre cœur et seul l’Eternel y a accès.

Le modèle de l’imposteur est ici Laban, ses filles Léa et Rachel sont, selon les midrashim, celles qui réparent les forfaits de leur père…Rachel en particulier est décrite dans un midrash comme seule capable de capter l’oreille de Dieu, après la destruction du Temple et l’exil de son peuple : elle plaide la cause d’Israël, en disant que par son seul mérite tout le peuple devrait être racheté…et quel est ce mérite ? les rabbins l’imaginent capable d’un acte particulièrement généreux : Rachel aurait été au courant du projet de son père de lui substituer sa sœur. Elle en informe Jacob et lui donne des signes pour la reconnaitre lors de sa nuit de noces…elle en informe aussi Léa, et se couche sous leur lit de noces pour parler à sa place afin que Jacob entende la voix de sa bienaimée Rachel ! Elle sauve ainsi l’honneur de Léa…et le midrash se conclue par les mots de Rachel : « Et si moi, simple mortelle, poussière et cendre, j’ai surmonté mon envie et n’ai pas exposé ma sœur (Léa) à la honte, pourquoi Toi, Roi de compassion, serais-tu jaloux de l’idolâtrie qui n’a pas de substance et exilerais-tu mes enfants pour qu’ils soient mis à mort par l’épée et deviennent la proie de leurs ennemis ?  Aussitôt la compassion de l’Eternel s’éveilla et il dit : Pour toi, Rachel, je ferai revenir Israël à sa place. Car il a été dit : « Une voix se fit entendre à Rama… ».”[1]

Rachel, aimée et confiante est capable d’une grande générosité et dépasse la jalousie et la mesquinerie qui va avec. Elle contribue à réaliser un véritable ‘Tikkoun’ une réparation, ce que peut et devrait être une véritable fraternité ou, ici, la sororité…puissions-nous aussi en être inspirés !

Ken yhié ratzon, Chabbat shalom !


[1] Lamentations Rabbah proem 24

Drasha Toledot tel père tel fils -BM Daphnée Boublil, KEREN OR – 25 novembre 2022

Itzhak a marché dans les pas de son père, il a tellement bien marché qu’il n’a fait que reproduire ce que son père Abraham avait fait avant lui, une sortie de copie conforme en quelque sorte.

Peut-être aussi, comme l’ont interprété les rabbins dans le midrash, pour lever les doutes concernant sa filiation. Dans le midrash une scène décrit le visage d’Abraham se surimposant sur celui d’Itzhak à la naissance pour bien confirmer sa paternité. Itzhak ce grand conformiste semble nous dire tout au long de son destin : regardez je suis son fils, puisque je reproduis à l’identique tout ce que mon père a déjà fait… comme lui, j’ai reçu les mêmes mots de bénédiction, j’ai vécu une famine, comme lui, j’ai présenté ma femme au roi des Philistins en étant ma sœur, comme lui, je suis devenu riche et puissant à rendre jaloux mes voisins, comme lui, j’ai vécu à Gherar, comme lui, j’ai creusé des puits et leur ai donné les mêmes noms que mon père !’ Et en dépit de tout ça, j’ai envie d’ajouter, il ne sera pas considéré à sa hauteur, il ne reste que sa pâle copie…

Demain matin, nous lirons le chapitre 26 de la Genèse qui se situe au milieu de la paracha Toledot – les engendrements en français. Ce chapitre est pris en sandwich entre deux récits bien plus célèbres : d’abord la naissance après moult attente, des faux jumeaux d’Itzhak et Rebecca : Esaü et Jacob ainsi que le rachat du droit d’ainesse par Jacob à son frère Esaü. Et la fin de la paracha qui décrit la bénédiction paternelle réservée à l’ainé, dont bénéficiera après un subterfuge, Jacob au détriment d’Esaü suivi de sa fuite du domicile paternel.

Alors de quoi parle le chapitre 26 ? Le seul protagoniste de ce chapitre c’est Itzhak, il est à l’honneur et prend toute la place cette fois. Mais là aussi, on reste un peu sur sa faim et son caractère continue à être un mystère.

C’est surement par ce qui le distingue de son père Abraham, qu’on peut mieux l’appréhender. Itzhak sera sédentaire toute sa vie, il ne ‘descendra’ pas en Egypte comme l’Eternel le lui a ordonné, alors qu’il y a la famine dans le pays, il ne répondra pas aux provocations des Philistins, il s’en écartera et trouvera un autre territoire, il préservera la paix.

Une autre différence m’a frappée en relisant cette semaine la paracha : elle commence par la naissance des enfants d’Itzhak puis revient à son histoire d’adulte (célibataire ?) en tout cas femme et enfants disparaissent de l’histoire… Est-ce que ce récit qui ne prend pas en compte l’ordre chronologique a été inséré là par hasard ? Est-ce que ce travelling arrière est volontaire ? Quel message veut-il nous transmettre ? La tradition nous enseigne qu’il n’y a pas d’avant ni d’après dans la Torah, ce qui veut dire qu’on n’a pas à chercher de chronologie dans les récits. Cependant, elle existe en particulier dans un récit dont le thème principal est les engendrements…autrement dit la suite des générations. Cette insertion n’est elle pas là pour nous dévoiler le rapport que notre patriarche a avec le temps justement ? Est-ce que Itzhak n’avance pas toute sa vie en marche arrière ? Les épisodes qu’a vécu son père et qu’il revit à son tour, est ce un manque d’affirmation de sa part ? de la nostalgie ? Est-ce pour réparer une relation manquée avec son père ? Est-ce pour mieux le comprendre et mieux se comprendre ?

Comme sur cette jolie horloge de la synagogue, qui reproduit celle de la vieille synagogue de Prague, l’horloge d’Itzhak semble indiquer l’heure à l’envers et marcher à reculons. Le temps d’Itzhak est un éternel retour, et recommencement, il ne voit pas l’avenir mais seulement le passé. Et ce passé contient son lot de tragique.

Cette tentation d’avancer à reculons a été superbement décrite par le philosophe Walter Benjamin, je le cite :

« Il existe un tableau de Klee qui s’intitule Angelus novus. Il représente un ange qui semble vouloir s’éloigner de ce à quoi son regard semble rivé. Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte, ses ailes déployées. Tel est l’aspect que doit avoir nécessairement l’ange de l’histoire. Il a le visage tourné vers le passé. Où paraît devant nous une suite d’événements, il ne voit qu’une seule et unique catastrophe, qui ne cesse d’amonceler ruines sur ruines et les jette à ses pieds. Il voudrait bien s’attarder, réveiller les morts et rassembler les vaincus. Mais du paradis souffle une tempête qui s’est prise dans ses ailes, si forte que l’ange ne peut plus les refermer. Cette tempête le pousse incessamment vers l’avenir auquel il tourne le dos, cependant que jusqu’au ciel devant lui s’accumulent les ruines. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès.[1] »

Ce texte écrit en 1940 était prémonitoire de la catastrophe qui a suivi…comme le récit biblique, cette vision du monde nous inscrit dans un paradigme dont il est difficile de sortir. On est un peuple tourné vers le passé, en perpétuelle recherche d’indices d’une histoire qui se répète. On avance à reculons, à tel point que cela est inscrit dans la langue hébraïque, où la racine Kedem fait référence à l’Orient et au passé, mais aussi à l’avenir avec Kedma ou kadima.

Lorsque nous refermons l’arche à la fin de l’office de la Torah, nous demandons à l’Eternel dans une prière emplie de nostalgie ‘Hadech yameïnou kekedem’ [2]– renouvelle nos jours comme au temps jadis. Est-ce que le temps était mieux jadis ? rien n’est moins sûr, mais nous étions jeunes et vigoureux et ce temps a déjà état vécu, il n’y a pas de surprises et c’est déjà pas si mal !  Est-ce tout cela qu’exprime cette prière ?

Ce soir une de nos jeunes du Talmud Torah, Daphnée ici présente a atteint ce seuil dans le temps qu’elle va traverser avec grâce : le temps de la bat-mitsva, le temps des responsabilités elle n’est plus tout à fait une enfant et pas encore une adulte, à 13 ans tout juste, car c’est ton anniversaire aujourd’hui, on n’a pas ce regard nostalgique qui vient avec l’âge justement…alors je te souhaite chère Daphnée de regarder résolument vers l’avenir, de marcher dans les traces de celles et ceux qui t’ont précédée, tout en marquant le monde de ta trace particulière avec un regard plein d’optimisme. Un grand mazal tov à toi, tes parents et toute ta famille !

Shabbat shalom !


[1] Walter Benjamin, Thèses sur la philosophie de l’histoire

[2] Lamentations 5:21

Drasha paracha Lekh lekha – KEREN OR 4 novembre 2022

Parlez-moi d’moi, y’a qu’ça qui m’intéresse
Parlez-moi d’moi, y’a qu’ça qui m’donne d’l’émoi
De mes amours, mes humeurs, mes tendresses
De mes retours, mes fureurs, mes faiblesses
Parlez-moi d’moi, parfois avec rudesse
Mais parlez-moi, parlez-moi d’moi

Cette jolie chanson de Béart pourrait servir d’introduction à l’épisode de la Genèse appelé ‘Brit bein habetarim’ – ‘l’alliance des morceaux’. Abram est en émoi, que va-t-il lui arriver ? Cela fait déjà plusieurs années, une dizaine ? que l’Eternel lui promet une terre et une descendance, il vieillit et rien ne se passe…lui qui a été choisi, que l’Eternel a appelé par ce fameux Vas pour toi…autrement dit : vas et accomplis ton destin ne voit rien venir. Son destin tarde à se manifester, c’est le moins que l’on puisse dire, car jusqu’à présent, il a dû fuir la famine, sauver son turbulent neveu Lot de la main de 4 royaumes, pas moins, alors on peut comprendre qu’il s’impatiente, on peut même entendre entre les lignes, ‘et moi alors, quand est-ce que mon tour viendra ?’

Sa confiance s’effrite, il cherche des preuves, et des garanties, à deux reprises il s’adresse à l’Eternel : « que me donneras tu ? car je marche sans descendance »[1], et après que l’Eternel lui montre les étoiles dans le ciel en lui renouvelant sa promesse d’une descendance nombreuse, Abram lui redemande avec insistance à propos de la terre promise : « comment saurai-je que je vais en hériter ? ».[2]

C’est dans ce contexte qu’intervient ce pacte particulier, l’alliance des morceaux : Abram doit apporter trois animaux : une génisse, une chèvre et un bélier, tous âgés de trois ans qu’il devra découper en deux morceaux. Ainsi qu’une tourterelle et une colombe qui, elles, ne seront pas découpées.

Dans le commentaire de la Bible Oxford, il est précisé que ce type de rituel était fréquent en Mésopotamie, et qu’il représente une sorte d’avertissement de ce qu’il pourrait arriver à ceux qui s’aventureraient à marcher parmi ces morceaux. C’est aussi un pacte sans contrepartie pour Abram, contrairement aux alliances qui suivront, rien ne lui est demandé en retour. Contrairement aux promesses que l’Eternel lui a faites précédemment, cette fois il lui fait voir aussi, dans un rêve prophétique, les malheurs qui s’abattront sur le peuple hébreu dans quatre générations et leur asservissement en Egypte pendant 400 ans. Mais Abram ne sera pas témoin de cette période tragique dont le peuple sera finalement sauvé…

Comme un prophète, Abram, par l’entremise divine est un homme qui se projette dans un futur lointain et est capable de voir au-delà de sa vie ici et maintenant. Ceci pour lui faire prendre conscience que sa vie s’inscrit dans un plan qui le dépasse, il n’en est pas une simple marionnette, mais un sujet. Le Lekh Lekha, bien qu’à l’impératif, laisse à Abram, qui deviendra bientôt Abraham, à chaque étape, le choix de dire oui ou non, et de négocier la suite de son parcours de vie. Ce chemin qui lui est proposé, certes balisé par Dieu, reste un chemin de liberté, ne serait-ce que par sa prise de conscience du sens de sa vie et de sa responsabilité. Ce pacte des morceaux serait une récompense pour la confiance qu’Abram a mise dans l’Eternel et aussi pour son comportement envers Lot, qui, bien que fragile, voire peu scrupuleux reste un membre de sa famille, comme un fils qu’il faut secourir.

Abram est le premier d’une longue série de personnages bibliques dont le chemin alternant obstacles, chaos et moments de grâce éclaire également notre chemin. Qui n’a pas connu la peur et le doute face à des décisions difficiles ?  Qui n’a pas été tenté de baisser les bras, confronté aux crises de l’existence ? qui n’a pas perdu patience et éprouvé l’incapacité à se projeter au-delà du moment présent ? C’est probablement à nos propres freins et empêchements que nous invite à réfléchir cet épisode biblique.

Shmuel Klitzner professeur de la Yeshiva Lindenbaum, dans une très riche analyse littéraire comparant l’épisode de l’alliance des morceaux avec l’histoire de Yehouda et Tamar au chapitre 38 de la Genèse, met en exergue une clé de lecture très intéressante pour ce texte. Celui de notre rapport au temps : entre présent et avenir. Ce récit interroge notre capacité à faire confiance à la vie, et à s’inscrire dans le temps long, par opposition au temps présent aux frustrations que nous ressentons. Le contraste entre ces deux récits est comme une mise en garde contre les conséquences de la satisfaction immédiate de nos désirs.

Les réactions collectives ne sont qu’une somme de réactions individuelles. La frustration et l’impatience générales se mesurent en ce moment lors des passages dans l’isoloir des citoyens français, suédois, italiens, brésiliens et…Israéliens. Un point commun entre tous ces pays est la remontée vertigineuse des extrêmes, résultat pèle mêle de la peur, du mécontentement, de la colère… et de l’impatience face à la l’aggravation des problèmes de tous ordres.

Israël n’a pas échappé à la règle, contrairement à la France, sa population s’est exprimée en masse (70% de taux de participation, qui bat tous les records), ce qui donne une assise encore plus solide à la représentativité démocratique des députés élus.

En ce 4 novembre jour resté tristement célèbre dans la mémoire collective, car en ce jour, il y a 27 ans le premier ministre Yitshak Rabin était assassiné, écoutons la sirène qui sonne comme le glas, pour nous rappeler que la malédiction peut venir de l’intérieur et il n’est pas nécessaire de chercher des ennemis extérieurs pour assassiner un processus de paix en même temps qu’un homme. Plus d’une génération après, que reste-t-il de cette fenêtre d’espoir ? combien de générations faudra t il encore attendre pour que cette terre soit un lieu où s’accomplit la promesse prophétique faite à Abraham ? Quand réunirons-nous tous ces morceaux de plus en plus épars pour construire ensemble une communauté de destin dans la paix ? Comme Abraham il nous faut nous mettre résolument en marche vers cet objectif transformons le Lekh Lekha en Nelekh lanou !  Ken Yhié ratzon, chabbat shalom !


[1] Genèse 15:2

[2] Genèse 15:8

Drasha Hayyé Sarah faire couple…tout un programme !– KEREN OR 18 novembre 2022

Depuis quand n’avez-vous pas ressenti cette excitation, cette joie d’être pleinement vivant et l’intuition de vivre un tournant dans votre vie ? Un tournant romantique…car oui on va parler d’amour ou plutôt de mariage ce soir, pour changer un peu 😊

Rebecca notre matriarche numéro deux rentre en scène dans la paracha Hayyé Sarah, cette excitation c’est ce qu’elle a ressenti à la vue d’Eliezer, le serviteur d’Abraham venu chercher une compagne au fils de son maître Isaac…Eliezer est sur ses gardes et un peu nerveux car il est en mission et doit absolument trouver cette perle rare, à Haran, pays d’origine de son maitre Abraham.

La scène se passe autour d’un puits, car c’est là, en fin de journée, que les jeunes filles se rassemblent, pour puiser l’eau, afin d’abreuver les bêtes et la maisonnée. C’est la tradition dans l’Antiquité, c’est leur rôle et l’ordre des choses. Ainsi Eliezer se positionne au bord de ce puits, pour faire boire ses dix chameaux. Il prie que Dieu lui fasse signe et lui indique la jeune fille qui convient. Ses critères sont simples, a priori, mais aussi très spécifiques. Il la reconnaitra non seulement parce qu’elle répondra à sa demande et le fera boire, mais aussi parce qu’elle donnera à boire à ses chameaux. Ainsi, elle fera preuve de hessed, de cette générosité et préoccupation pour l’autre, ressemblant ainsi trait pour trait à son futur beau-père Abraham, qui a couru accueillir ses 3 visiteurs, par la même oubliant sa convalescence et ses douleurs post brit mila, totalement à l’écoute des besoins de ces étrangers de passage.

Et la providence le met face à Rebecca : elle arrive, lui donne à boire ainsi qu’à ses chameaux. Eliezer est convaincu que Dieu a répondu à sa prière, il est tout vivifié. Rebecca aussi est satisfaite d’avoir accompli cette bonne action, et ce d’autant plus qu’elle comprend qu’elle a en face d’elle le serviteur d’un membre de sa famille ! Jeune fille sans peur et sans reproche, elle se montre prête à vivre cette nouvelle aventure. La voilà qui lui propose de venir se reposer et dormir chez son père. Après ce moment initiatique, le reste du récit se déroule sans accrocs.

Cette scène présente le premier chidoukh : le premier mariage arrangé selon la tradition par un intermédiaire. Comme vous le voyez, le mariage est endogame, même plus -presque consanguin – Rébecca étant une cousine d’Isaac – on ne prend aucun risque, car « faire des couples » zoug  זוגen hébreu, est une affaire sérieuse, rien n’est laissé au hasard. Comme l’évoque ce midrash :

Rabbi Lévi commence son discours sur le verset « Car Dieu est juge » comme ceci : une matrone romaine demanda un jour à Rabbi José ben Halafta : « En combien de jours Dieu a-t-Il créé son monde ?» Il répondit : «en six jours » Elle demanda ensuite «  Depuis ce temps, comment l’Eternel occupe son temps ? » Il répondit : «  Il  forme des couples, en disant : la fille de cette personne devra  être l’épouse de cette personne » La matrone dit : «  C’est tout ? moi aussi je peux faire de même ; J’ai beaucoup de serviteurs et de servantes, et je peux en faire des couples en moins d’une heure » ; Rabbi José lui fit cette remarque : « Tu penses peut-être que c’est facile, mais l’Eternel trouve cela aussi difficile que de séparer la Mer Rouge », et sur ce, il prit congé. Que fit la matrone ? Elle fit venir ses mille serviteurs et ses mille servantes, les aligna sur deux rangées et les réunit en couples pour la nuit. Le matin venu, ils allèrent à elle, un avec le crâne défoncé, un avec les yeux sortis de leurs orbites, un troisième avec un coude cassé. Ils ont tous dit : « Je ne veux pas de cette femme pour épouse ». Elle fit venir Rabbi José et lui dit : « Rabbi, ta Torah est vraie, tout ce que tu as dit est juste ».

Ainsi il n’est pas donné à tout le monde de faire des couples, et la tradition nous enseigne qu’ils sont créés au ciel, et voilà ce qu’en dit le talmud : 40 jours avant la formation d’un enfant, une voix céleste s’élève et proclame : la fille de telle personne est pour telle personne ; la maison de telle personne est pour telle personne ; le champ de telle personne est pour telle personne.[1] …le fameux « bechert » destiné, ou le « mazal » le sort, serait unique et presque un défi à trouver… par conséquent il faut un peu aider la providence pour aboutir à un résultat satisfaisant.

Les parents sont mis aussi à contribution, le talmud encore donne 4 obligations au père envers son enfant (fils) : lui enseigner la Torah, lui apprendre un métier, l’amener sous la houppa, et pour certains, lui apprendre à nager.[2] Peut on vraiment s’immiscer ainsi pour faire le bonheur de ses enfants ? ‘Peut-on faire le bonheur de ses enfants ?’ le demande Pauline Bebe dans son livre. [3] Qu’est-ce que le bonheur ? Est-ce juste un moment furtif ? y a-t-il des personnes plus douées que d’autres pour le bonheur ?

Dans le cas de Rébecca, cela suppose d’avoir les yeux et oreilles bien ouverts, et saisir la chance dans l’instant, afin de vivre un tournant de vie. Mais que se passe t il ensuite ? un couple heureux qu’est ce que c’est ? Le hessed, cette qualité difficile à mettre en oeuvre est centrale. Cette capacité à prendre soin de l’autre, à l’écouter, à être attentif, attentionné, disponible, à bien communiquer, voilà quelques tuyaux pour que cela dure… Mais aussi, être capable d’apprendre de l’autre et de faire en sorte de devenir un être un peu meilleur à son contact. Faire couple : zivoug en hébreu fait référence au partenariat, être des partenaires de vie, et non pas un couple fusionnel, se tenir face à face plutôt qu‘emmêlés et indistincts. Toute une vie d’apprentissage de la vie à deux, de compromis et non de compromissions pour paraphraser Pauline Bebe sont nécessaires pour tenter d’y aboutir.

Rivkah et Itzhak connaitront des tourments, ils seront loin d’être un couple parfait, mais ils constituent un maillon primordial de la chaine de transmission hébraïque, qui nous met face à nous-mêmes, pour interroger l’amour, le couple et la vie en général. Puissent ces questionnements nous enrichir et nous permettre de devenir de meilleurs partenaires de vie !

Ken yhi ratzon,

Chabbat shalom !


[1] TB Sotah 2a

[2] TB Kiddoushin 29a

[3] ‘Peut-on faire le bonheur de ses enfants ?’ Pauline Bebe, Caroline Eliacheff, Pierre Lassus, 2003, ed de l’Atelier,.

Drasha Berechit en l’honneur du rabbin Régina Jonas z »l et de Ann-Gaëlle Attias 6ème femme rabbin en France – KEREN OR, 21 Octobre 2022

Après le commencement d’une nouvelle année, nous voilà prêts à re-commencer la lecture du Pentateuque, demain nous lirons à nouveau Béréchit A un commencement…ou en premier lieu

Béréchit est probablement la plus connue des parachot de la Torah, chacun.e d’entre vous sait de quoi on parle, et, elle ouvre pour chacun.e une sorte de livre des questions[1]. Bien qu’étant surement la plus commentée, Béréchit représente le paradigme d’une paracha qui appelle à l’infini du commentaire. Humbles et attentifs, on doit la lire et l’écouter pour entamer prudemment un dialogue avec ce texte plein de promesses. On peut reprendre cette conversation là où on l’a laissée l’an dernier…ou pas.

Et si on tentait cette année de sortir de nos habitudes ? D’années de lecture automatique où le récit est présenté classiquement comme celui d’une faute originelle, commise par la femme sous influence d’un serpent tentateur, et auquel l’homme, un peu lâche, veut se soustraire ? Vous savez, la faute de la dégustation du fruit interdit, le fruit qui a donné accès à la connaissance du bien et du mal.

Relire contre le texte, se confronter à lui comme nous le dit le traité Berakhot « laassok b’divréï torah » est aussi dans l’air du temps du lexique politico-médiatique un acte de résistance voire de désobéissance pour aboutir à une forme de liberté ?

Se libérer c’est aussi ne plus être sous l’influence des lectures et commentaires de ceux qui nous ont précédés, ces vénérables rabbins qui ont appliqué à leur compréhension de ce texte, le filtre de leur époque et de leur culture. J’espère que vous n’y verrez pas un acte d’immodestie de ma part, d’anachronisme et encore moins d’effacement du passé, une sorte de tabula rasa, mais juste une manière de se réapproprier la lecture d’un épisode bien connu avec un regard et un cœur nouveau, comme on dit. Je vous propose de tenter d’appliquer un regard libérateur à la re-lecture de ce texte magnifique de Genèse 3.

C’est une femme qui m’a inspirée cette re-lecture elle s’appelle Noam Dan, éducatrice et responsable de la formation Bina, qui consiste en 6 mois de préparation civique de futurs soldats avant leur entrée dans l’armée.

Le nœud du chapitre 3 de la Genèse,je vais vous le re lire : « La femme vit que l’arbre était bon comme nourriture et qu’il est désirable aux yeux et agréable cet arbre pour l’intelligence. Et elle prit de son fruit et elle en mangea et elle en donna à son homme, qui est avec elle et il en mangea. »

Le premier acte de désobéissance est ainsi consommé par les deux protagonistes : la femme d’abord, l’homme ensuite. Pour cette raison ou plutôt pour toute une arborescence de raisons le premier couple fut expulsé du jardin d’Eden.

Et si on voyait dans cet acte d’insoumission un acte de libération plutôt ? une manière d’ouvrir les yeux pour tester les possibilités humaines, pour rendre la vie plus intéressante, bien que plus complexe voire tragique, en devenant conscient et responsable ? Et surtout ? si on portait un regard positif sur cette femme Hava, dont le nom signifie mère de toute vie.  Hava à l’origine de la vie biologique est aussi à l’origine de la vie spirituelle, de l’intelligence et du raisonnement – au lieu de lui reprocher un soi-disant pêché originel de génération en génération – n’est elle pas, au contraire, celle qu’on doit remercier pour ce réveil ? pour cette ouverture à la vie ? Ne doit-on pas lui être éternellement reconnaissants pour ce choix qu’elle a fait, le choix d’écouter – non pas un désir coupable – mais plutôt la voix de son inconscient – personnifiée par le serpent – celui qui chuchote à l’oreille ? Cette voix qui lui a permis, après hésitation, d’émettre sa propre opinion, de devenir actrice de son destin, en mettant en doute la parole qui lui a été transmise par son époux et en émettant l’hypothèse que ni elle ni son compagnon ne mourront après avoir gouté au fruit défendu ?

Depuis Hava, à chaque génération, des femmes qui ont soif de connaissances, le désir d’ouvrir des portes et de s’émanciper se lèvent… C’était le cas de Régina Jonas, la première femme ordonnée rabbin en 1938 à Berlin et dont c’est le yahrzeit ce chabbat Berechit. A propos des portes du rabbinat féminin qu’elle venait d’ouvrir pour elle et celles qui allaient lui emboiter le pas quelques décennies plus tard, elle disait, je la cite :

 «  si je dois confesser ce qui m’a motivée moi, une femme à devenir rabbin, deux choses me viennent en mémoire. Ma croyance dans l’appel de Dieu et mon amour des êtres humains. Dieu implante en nous des dons sans se préoccuper de notre genre. C’est pourquoi il est de notre devoir, femmes et hommes de la même façon, de travailler et créer en fonction des compétences reçues de Dieu. ».

Ce sera le cas ce dimanche de ma 6ème collègue Anne Gaelle Attias à laquelle je souhaite mazal tov et beaucoup de bonheur dans l’exercice de sa nouvelle fonction à Toulouse !

C’est également le cas de manière plus dramatique de ces femmes iraniennes qui ôtent leur voile en signe de résistance et de désobéissance. Leur protestation fait écho à ce mot hébreu à double sens לפרוע qui veut dire à la fois découvrir ses cheveux et se rebeller…comme un clin d’œil à cette actualité brulante.

En ce chabbat de re-commencement du cycle de la lecture de la Torah, je vous propose d’implanter en nous les graines de cette résistance et de cette liberté, le courage de pousser les portes , escalader les murs, enjamber les obstacles et viser des horizons sans limite !

Ken Yhié ratzon, chabbat shalom !


[1] Allusion au ‘Livre des questions’ d’Edmond Jabès

Drasha Kol Nidré – KEREN OR, le 4 octobre 2022, trouver sa place ?

Y a-t-il quelque chose de plus embarrassant que de se retrouver dans une salle comble, au milieu d’inconnus, dans un endroit nouveau, sans savoir où est SA place ? Et si on va trouver une place ? Un peu comme ce soir, je suis sure que certain.e.s d’entre vous ressentent ce léger malaise, même si ce n’est pas la première fois que vous franchissez ces portes…et même si la salle n’est pas comble.

Être à sa place, ou pas, voilà une question qui peut nous titiller par moments, voire nous préoccuper toute une existence, et ce d’autant plus qu’on a la conviction de ne pas être né à la bonne place, au bon moment, dans la bonne famille, la bonne religion, le bon corps etc. Il est possible qu’on ait changé « de case » en cours de route, fut-elle géographique, sociale, voire biologique, et alors on doit se réadapter, être à nouveau accepté, reconnu, adoubé…J’avoue que je fais partie de ces personnes qui se sont posé des questions à propos de leur place, leur identité et parfois leur légitimité. Alors j’ai cherché, trébuché, me suis trompée et recommencé.

Chercher une place, sa place n’est pas une question univoque bien au contraire, quand on se penche sur le sujet, on ouvre une boite de pandore à questions. Pour certains, enfermés dans leur routine, leur place ressemble à un piège, où ils se sentent à l’étroit. Ou alors ils ressentent un inconfort à cause de la place qui leur a été assignée dès l’enfance, dans leur famille, place dont ils n’arrivent pas à se défaire surtout lorsqu’ils retrouvent le ‘clan’ lors de réunions de famille. D’autres, se raccrochent à la place gagnée de haute lutte, comme si cela avait été une revanche, ou une réparation. D’autres encore, bataillent pour la place qu’ils n’osent pas prendre et se posent à la marge, faute de se sentir légitime. Et puis, il y a notre genre qui nous assigne à une certaine place, qui, parfois ne convient pas et on peut en éprouver une douleur tenace. Ne pas se sentir à sa place, cela arrive souvent, quand on n’est pas écouté, notre voix est mise en sourdine, voire tue, et on l’accepte pour ne pas déranger. Toutes ces histoires de place et bien d’autres sont abordées dans le récent livre de la philosophe Claire Marin ‘Etre à sa Place’ qui s’appuie sur la littérature où ce sujet est un leitmotiv. A propos de la voix par exemple, elle nous dit :

« On perd sa voix pour trouver une place, on abandonne un mode d’expression de soi dans l’espoir d’être entendu ! » et évidemment cela ne fonctionne pas…car on renonce à soi. « Être à sa place commence peut-être par cette libération d’une voix propre… »

A force de chercher sa place et d’essayer de faire plaisir aux uns et aux autres, on court le risque de se perdre soi !

Paradoxalement, si vous êtes venus à cette place si nombreux ce soir, quitte à vous sentir un peu fébriles, gauches, ou mal à l’aise, c’est justement pour essayer de trouver VOTRE place, et vous rapprocher de La Place, Hamakom !

 Hamakom est aussi l’un des 70 noms bibliques par lesquels on tente de nommer celui/celle qui n’en a pas…Une incongruité n’est-ce pas, d’appeler ainsi l’Omniprésent qui a toute sa place mais aucune place déterminée. Aujourd’hui en cette place, comme chaque année, on cherchera à se rapprocher de ce quelque chose qui nous dépasse, quelle que soit la forme/la signification/la place qu’on lui donne.

Hamakom sans plus de précision est un lieu où, emplis de révérence, on pense furtivement se trouver en Sa présence !

Comme notre ancêtre Jacob dans son fameux rêve de l’échelle, où les anges montaient et descendaient et lui faisaient dire : « Akhen yech Adonaï bamakom hazé véani lo yadati…Sans doute, l’Eternel se trouvait en cette place et je ne le savais pas ».

Cet épisode dont Jacob est le héros nous donne quelques indices sur ce à quoi Hamakom peut faire référence dans la Torah : un lieu entre rêve et réalité.  Et comme dans un rêve, c’est un moment où on lâche prise, et cette rencontre nous prend par surprise, au moment où on s’y attend le moins. On Le trouve lorsqu’on ne La cherche pas…

Le récit de Jacob commence par le mot Vayétzé – ‘il sortit’, il raconte d’abord la fuite de Jacob de sa maison paternelle, c’est dans ce moment de détresse, de profonde insécurité lorsque Jacob est dé-placé qu’il fait ce rêve et a cette révélation. Changer de place est aussi pour lui une façon de faire tourner sa roue de la fortune…Meshané makom meshané mazal – celui qui change de place, change sa providence – nous dit la tradition, c’était clairement le cas pour Jacob !

Les rabbins – dont le plus célèbre d’entre eux Rachi – ont cherché à savoir quel était ce lieu qui n’est pas désigné par un nom ? et comme Hamakom apparait une première fois lors du récit de la Akeda – la ligature d’Isaac, les rabbins en ont conclu qu’il s’agit du Mont Moriah, là où a eu lieu cette ligature, c’est-à-dire là où seront construits les 2 Temples ! Hamakom se trouve là où la vie d’Isaac a failli s’arrêter, dans cet interstice entre vie et mort, ce moment de bascule, qui le marquera pour toujours…

Hamakom, le prophète Yona l’a trouvé dans le ventre du poisson…ce prophète à double face, qui ne trouve pas sa place, comme son nom hébraïque Yona qui veut dire à la fois colombe, symbole de la paix et affliction/destruction.

Il est lui aussi dans cet interstice et peut basculer vers la création et la vie ou vers la destruction et la mort.

Révolté  contre un Dieu qu’il estime trop compatissant envers la population de Ninive, dont la population a été trop vite pardonnée, il est en colère puis tombe dans une profonde dépression, et en perte de repères, il s’endort sous un arbre  :le Kikayon…l’arbre à ricin, comme un clin d’œil à l’amertume qu’il éprouve au fond de son coeur. A son réveil, le Kikayon est mort, et Jonas n’a plus goût à rien, il demande à nouveau à mourir. Il ne comprend plus ce que Dieu attend de lui et se montre plus intransigeant que l’Eternel lui-même. …Et l’Eternel lui fait la leçon : comment se fait-il qu’il n’a aucune compassion pour Ninive et sa population alors qu’il pleure l’arbre mort ? Yona a erré, Yona s’est égaré à plusieurs reprises. Mais il a finalement attrapé métaphoriquement la main tendue…

Comme pour Yona et d’autres prophètes, entre Hamakom -La Place et notre Makom – notre place, il y a comme un gouffre, qu’on tente tant bien que mal de combler. Cela est le cas lorsqu’on perd le goût pour la vie, et qu’on ne sait plus comment trouver sa place.

Pour les 25 heures à venir je vous propose de laisser la place à ce qui est incertain, à cet espace liminal, à cette présence-absence, qui est au fond de nos cœurs. Car en chacun de nous, il y a ce petit diamant brut, qui ne demande qu’à être légèrement poli pour briller.

Ouvakharta vahaim ! choisis la vie, nous dit la Torah, cet impératif est un cri, un cri au secours, la vie nous appelle à être présent à nous-mêmes, et aux autres, à être prêt à se laisser surprendre par La rencontre, spécialement à cet endroit et en ce jour particulier, où il n’est question que de présence ! alors soyez prêt et réservez à cette présence la place qu’il/elle mérite !

Ken Yhié ratzon, Chana tova, soyez inscrits dans le livre de Votre vie et puissiez vous la vivre en grand !

Drasha Vayelekh – chabbat Chouva 1 Octobre 2022

Les jours redoutables dans lesquels nous nous trouvons, le deviennent d’autant plus qu’ils sont emplis de mauvaises nouvelles. Un véritable chaos se déroule sous nos yeux, enfin les yeux qui veulent bien regarder la réalité qui se passe à l’extrême Est du continent européen. Loin de se calmer, la guerre a pris une tournure bien plus dramatique depuis quelques semaines, pourtant la résistance ukrainienne nous a donné quelque espoir. C’était avant la récente décision du dictateur russe de mobiliser 300 000 soldats pour aller au bout de son projet de destruction massive.

L’auteur et traducteur d’origine russe André Markowicz cite ce vers de Pouchkine dans son court pamphlet ‘et si l’Ukraine sauvait la Russie’:

Ainsi, le marteau pesant, Fracassant le verre, forge l’acier.[1]

Le verre fait référence dans la culture russe, à la fragilité de ce qui est créé par l’homme symbole de son humanité même. En Russie, l’humanité a continuellement été soumise aux massacres, à la violence de tous les régimes autoritaires qui se sont succédé et lui ont imposé un véritable martyre.

L’escalade de la guerre semble inéluctable, on y assiste impuissants d’autant plus qu’on connait le jusqu’auboutisme de son dirigeant encore soutenu par une poignée d’oligarques et militaires. A quelques jours de son 70ème anniversaire, Poutine tient son pays d’une main de fer depuis plus de vingt ans, et n’apporte que calvaire et désolation à son peuple, à l’Ukraine, et, en cercles concentriques au monde entier.

On semble embarqué malgré nous, pour une guerre totale, une guerre terrible, si personne ne met fin de l’intérieur cette surenchère…

Dans le discours de Moise que nous lisons cette semaine, on parle aussi de guerre. Il revient sur un épisode répété à plusieurs reprises, comme une mise en garde,, celui de la bataille livrée jusqu’à bout et sans merci à l’encontre des rois Amoréens Og et Sihon.

Et l’Eternel les traitera comme il a traité Sihon et Og qu’il a détruits.[2]

Mais qu’ont-ils fait et pourquoi font-ils autant peur à Moise ? Ces deux rois décrits comme frères, Og et Sihon, n’ont pas laissé passer les hébreux par leur territoire et ont attaqué leur ennemi commun : les hébreux.  Og et Sihon décrits par les rabbins comme deux géants descendants des nephilim, sortes de demi dieux qui s’accouplaient avec les humains et produisaient des êtres monstrueux. Dieu lui-même doit intervenir pour les détruire, car ils font obstacle au peuple hébreu sur la route vers la terre promise et au-delà à tout le projet éthique de la Torah. Ils sont comme une montagne dressée face aux hébreux.

Ainsi on peut lire dans le traité Berakhot[3], le récit suivant :

« En ce qui concerne le rocher qu’Og, roi de Bashan, a voulu jeter sur Israël, il n’y a pas de référence biblique, mais une tradition a été transmise. ». Il a dit : Quelle est la taille du camp d’Israël ? Trois parasanges (1500 mètres). Je vais aller déraciner une montagne de la taille de trois parasanges, la jeter sur eux et les tuer. Il alla déraciner une montagne de la taille de trois parasanges et la porta sur sa tête. Et le Saint, Béni soit-Il, fit tomber sur elle (la montagne) des sauterelles qui percèrent le sommet de la montagne et elle tomba sur le cou d’Og. Og voulut l’enlever de sa tête ; ses dents étaient étendues d’un côté et de l’autre de sa tête et il ne put l’enlever. »

Dans un autre midrash, Og est décrit comme un géant qui cache le soleil et Moise se trouve dans le noir, de quoi être totalement paralysé par la peur…l’Eternel intervient pour le secourir et lui redonner force et courage.

Il y a des guerres inévitables, qu’il faut mener jusqu’au bout, en mettant notre confiance dans l’Eternel Tzebaot, le Dieu des armées, et en étant convaincu de la justesse de sa cause. Il s’agit d’une guerre de civilisations, une guerre lancée par ces Og et Sihon modernes, qu’on subit, une guerre contre notre civilisation et nos valeurs de liberté et de fraternité, de justice aussi.

Les files de voitures qui s’accumulent aux frontières depuis plusieurs jours, portent à leur bord des hommes qui ne veulent pas devenir les soldats d’une guerre qui n’est pas la leur, qu’ils savent injuste et mortifère, ils se retrouvent embarqués contre leur gré du mauvais coté de la frontière. Ils sont des héros malgré eux, d’un scénario catastrophique, et ont besoin de notre soutien !

Le verre brisé de Pouchkine, nous l’espérons, ne forgera pas l’acier. Notre humanité doit être préservée.

Au seuil de leur entrée en terre de Canaan, alors que les hébreux ont déjà vaincu Og et Sihon,  à trois reprises est répétée cette fameuse expression, fondement de la résilience juive : Hazak v’ematz , sois fort et courageux ! Car ce qui attend les hébreux après l’entrée en terre promise n’est pas une partie de plaisir non plus, d’autres guerres devront être menées, et ils ont besoin de ces encouragements répétés.

Un peu comme chacun de nous, alors que nous entamons l’année 5783, nous nous sentons comme des enfants dans un désert attendant d’être abreuvés de courage et réconfort, car l’année qui vient nous mettra au défi, c’est un euphémisme de le dire. Nous avons besoin individuellement et collectivement de ce hizouk, cette consolidation pour nous sentir plus forts, pour ne pas perdre pied et sombrer dans le désespoir.

La force de se tenir debout, d’écouter et être entendu, et le courage d’être patient, de persévérer, d’avoir confiance, d’espérer, et surtout surtout de le faire tous ensemble.

Hizkou v’imtzou !

Chabbat shalom v’gmar hatima tova !


[1] Markowicz, André. Et si l’Ukraine libérait la Russie ? (French Edition) (p. 12). Seuil. Édition du Kindle.

[2] Deutéronome 31:4

[3] TB Berakhot 54a

Drasha Roch Hachana 5783 – KEREN OR 25 Septembre 2022

En pleine canicule, j’ai découvert cet été qu’il existait une coutume pour le moins curieuse dans le judaïsme, celle de bénir le soleil. Coutume, que dis-je mitsva ! Mitzva qui revient de manière cyclique, tous les 28 ans, à une certaine date du mois de Nissan. Tous les 28 ans, selon nos sages, le soleil se retrouve à la même place que le jour où il a été créé selon la tradition, c’est-à-dire le 4è jour de la création !

« Les Sages ont enseigné : Celui qui voit le soleil au début de son cycle, la lune dans sa puissance, les planètes dans leur orbite, ou les signes du zodiaque alignés dans leur ordre récite : Béni…Auteur de la création. » [1]

C’est ainsi que le talmud nous présente la prescription de ce commandement. Puis s’en suit une mahloket dispute talmudique entre rabbi Yehoshua et rabbi Eliezer concernant le mois où a eu lieu la Création du monde, pour r. Yehoshoua c’était au mois de Nissan alors que pour r. Eliezer c’était en Tichri (réf). Comme vous voyez c’est l’opinion de r. Yehoshoua qui a prévalu…probablement parce que les jours rallongent à partir de Nissan alors qu’ils décroissent à partir de Tichri et on met le soleil à l’honneur lorsque sa lumière dure plus longtemps.

Le rite de bénédiction du soleil s’appelle Birkat hahama,[2] la bénédiction de celle qui réchauffe autrement dit du soleil. La dernière fois qu’il a eu lieu était le 8 avril 2009 et la prochaine fois ce sera le 8 avril 2037, lors de l’équinoxe de printemps.

Selon notre longévité sur cette terre, nous aurons la chance de dire cette bénédiction tout au plus 3 fois dans une vie et ce seulement si l’Eternel nous prête une vie suffisamment longue !

Le soleil est appelé tout d’abord dans la Genèse ‘grand luminaire’ hamaor hagadol. Le terme moderne shemesh est assez rare et apparait à 15 reprises dans le Houmash et plus souvent dans le reste du Tanakh et le talmud, et enfin dans le livre de Job apparait le terme heres  – objet en terre, poterie, faisant référence surement à un soleil qui ‘forme’ la terre, à l’orrigine de la Création ?

Ainsi notre tradition entretient une relation quelque peu ambiguë avec le grand astre lumineux : le soleil est à l’origine de toute vie sur terre, sans lui on n’existerait plus, de l’autre côté, nos Sages se méfiaient du soleil qui dans d’autres traditions comme celle mésopotamienne était considéré comme un dieu. C’était surtout le cas chez les Égyptiens. peuple au milieu duquel nos ancêtres ont vécu, il n’est pas étonnant que le culte du soleil ait perduré bien après la sortie d’Egypte parmi les Bnei Israël.  La Torah insiste sur l’interdit de l’idolâtrie à longueur de versets comme ici dans le Deutéronome où la référence aux astres est clairement mentionnée :[3]

S’il se trouve dans ton sein, dans l’une des villes que l’Éternel, ton Dieu, te donnera, un homme ou une femme qui fasse quelque chose de mal aux yeux de l’Éternel, ton Dieu, en violant son alliance; 3 qui soit allé servir d’autres divinités et se prosterner devant elles, ou devant le soleil ou la lune, ou quoi que ce soit de la milice céleste, que je n’aurai pas commandé: 4 et si cela t’est rapporté par ouï-dire, tu feras une enquête approfondie ; et si la chose est avérée, si cette infamie s’est commise en Israël, 5 tu feras conduire aux portes de la ville cet homme ou cette femme, coupable d’un tel crime, l’homme ou la femme! Et tu les lapideras par des pierres, pour qu’ils meurent.

Ainsi le terme shemesh, vient de shamash, Dieu cananéen, dont les archéologues ont trouvé des traces. Les noms des villes tels que Beit Shemesh – maison du soleil, et Yericho (de Yarea’kh- la lune mais aussi le mois) sont des vestig            0es de ces cultes anciens aux astres. Le talmud nomme les idolâtres Ovdeï Kokhavim les serviteurs des étoiles…

En hébreu shemesh a un sens différent et veut dire ‘serviteur’ (comme le shamash de la synagogue) peut être pour nous signifier que le shemesh n’a qu’à bien se tenir et se soumettre au Dieu des hébreux plutôt que de rentrer en compétition avec l’Eternel ?  

Bénir le soleil serait alors une concession faite aux hébreux puis aux juifs pour reconnaitre l’importance de cet astre, aux cotés de la lune, dans nos vies.

La philosophe Emma Carini a récemment consacré un livre entier au Soleil, à son histoire aux mythes qui l’entourent et à son influence sociale, voire économique…dans un monde boulversé par le réchauffement climatique son livre arrive à point…

Elle rappelle que l’énergie solaire est indispensable pour la vie, on vit tous sous le soleil qui est à l’origine de toutes les énergies, notamment de la découverte du feu qui a permis à l’humanité de sortir des cavernes, et de se sédentariser puis maitriser la technique. Le soleil est une source de lumière et de chaleur, c’est lui qui en premier nous a permis de nous situer dans le temps avec les horloges solaires.

Le talmud commence par cette question Méémataï ? A partir de quand doit on réciter la prière du Shema ? et ce qui répond à la question est la position du soleil à son coucher comme à son lever…

Symbole de gratuité, de don et de ressource inépuisable, c’est un ‘bien non rival’ nous dit Emma Carenini…Le soleil est notre boussole, Hélios est au centre de nos vies qu’on dit héliocentrées,  et influencerait même notre tempérament, voire notre intelligence, une vie proche du soleil méditerranéen était bien plus prisée que celle des contrées du Nord de l’Europe. Chacun cherchait sa place au soleil, dans l’Antiquité comme aujourd’hui.

Le soleil fait vivre comme il fait mourir, et aujourd’hui comme dans l’Antiquité, cette fois sur la base de données scientifiques, on craint qu’un jour il ne s’éteigne. Comme tout astre ou organisme vivant, il est amené à disparaitre…

L’été dernier, le soleil source de toute vie et protecteur s’est transformé en un astre brûlant tout sur son passage, on le fuit, on en a peur et on retournerait bien dans des cavernes bien à l’abri.

Toutefois le réchauffement climatique n’est pas dû au soleil mais plutôt aux terriens qui en ont abusé, jusqu’à dégager dans son atmosphère une telle quantité de carbone que le filtre ne fonctionne plus, nous faisant subir des températures extrêmes.

Le moment de réciter la bénédiction sur le soleil reviendra en 2037, dans quinze ans … est ce qu’entretemps le monde aura fait sa révolution et décidé de modifier sa manière de vivre afin de protéger notre planète terre ? Est-ce qu’on pourra de nouveau s’émerveiller devant les bienfaits du soleil…sans craindre qu’il nous anéantisse ? Chaque Roch Hachana, cet anniversaire symbolique de la création de la vie sur terre, nous rappelle à nos devoirs de gardiens de notre planète, et pour nous souvenir je vous propose de dire ensemble la bénédiction :

Baroukh ata adonaï Eloheinou Melekh haOlam maassé bereshit!

Bénis sois tu Eternel souverain de l’Univers, créateur du monde !

Chana tova oumetouka !


[1] TB Berakhot 59b

[2] TB Berakhot 59b

[3] Deutéronome 17 :3-5

Paracha Rééh – KEREN OR 26 août 2022

Un des ultimes tabous en Israël est l’existence de couples ‘mixtes’, mais pas n’importe lesquels, ceux composés d’un.e juif et d’un.e arabe israélien. Ils sont peu nombreux, souvent discrets, voire cachés, mais les critiques à leur égard sont inversement proportionnelles à leur nombre…

Il y a près de quatre ans, un tel couple est apparu en pleine lumière, lors de la révélation de leur amour, en même temps que de leur mariage tenu secret jusqu’au jour J : il s’agissait de la journaliste arabe israélienne et musulmane, Lucy Aharish, devenue célèbre par ses diatribes en hébreu et anglais très critiques envers les politiques de ce monde. Notamment lors des massacres en Syrie. Elle venait d’épouser en catimini la star juive israélienne du petit écran, qui lui s’est rendu célèbre en jouant dans la série Fauda, je veux parler de Tzakhi Halévy. Et bien sûr les commentaires et conseils ont afflué, les menaces aussi. Certains ont laissé exploser leur colère, alors que d’autres étaient attendris et envoyaient leurs bénédictions à ces nouveaux Roméo et Juliette. Même les plus hauts représentants de l’Etat s’en sont mêlés : le ministre de l’Intérieur israélien, le très conservateur Avi Derhy a considéré que c’était un mauvais exemple pour les juifs israéliens et un modèle d’acculturation dangereux pour l’avenir de l’état et du judaïsme. Lucy Aharish n’avait qu’à se convertir !

Un an plus tard, les deux tourtereaux avaient tenu bon et attendaient même un heureux évènement. Elle, tout ventre dehors et lui la regardant les yeux fondant de tendresse enregistraient ensemble, une très belle chanson, devenue tube, en trois langues : hébreu arabe et anglais… qui s’appelle « seen – vu ».[1]

Car je te vois, et je vois vraiment qui tu es, tu peux te cacher de moi, mais je veux que tu saches que l’on te voit, seuls en ce monde, nous voulons être entendus…n’imagines pas que personne ne sait ce que tu ressens, je veux que tu saches que l’on te voit…je vois tes larmes claires ainsi que toute ton histoire et si tu me tiens la main, même la distance te semblera proche…

Ces paroles, certes un peu fleur bleue m’ont profondément touchée, leur amour crève l’écran, on les voit vraiment, on voit également les freins psychologiques, les obstacles et les quolibets qu’ils ont enduré et leur double notoriété qui a à la fois exacerbé les résistances, mais aussi leur a permis d’affronter les tempêtes médiatiques et peut être de faire évoluer les mentalités ?

L’impératif Rééh-Vois ! donne le coup d’envoi à notre paracha, l’Eternel nous commande de voir la bénédiction et la malédiction. Le bon et le mauvais sont à portée de mains, ils dépendent de notre bon vouloir et surtout de nos actions…N’est ce pas assez étonnant de voir la bénédiction et la malédiction ? Ne doit-on pas plutôt juste écouter et obéir aux commandements ? Comment fait-on pour voir ces deux facettes opposées du monde : la bénédiction ou la malédiction ?

Michael Fishbane dans le commentaire de la Torah Etz Hayim nous dit que les deux verbes voir et entendre apparaissent dans cette sidra pour nous rappeler que chaque Israélite reçoit les enseignements de manière différente, certains sont plus sensibles à la vision et d’autres aux sons et donc à l’écoute. Sur le mont Sinaï, la Torah a été donnée en mettant en éveil tous les sens et se mettent à la portée de chacun.

Nehama Leibowitz cite le commentaire de Malbim, rabbin du 19è siècle, qui nous explique que l’adhésion aux commandements est en soi une bénédiction qui se perçoit, qui se voit en quelque sorte. Même avant de les accomplir, on reçoit une rétribution. Car comme le disent nos Sages, la récompense d’une mitsva ( ici l’acceptation des principes des mitsvot) est déjà une mitsva. Nous nous mettons en chemin et sur ce chemin on nous promet de voir la bénédiction. La malédiction elle étant au conditionnel : ce sera notre lot et la conséquence des actions humaines si et après avoir transgressé.

Ainsi une double alliance est conclue avec le divin reflet de son double nom dans la Torah : Adonaï le Dieu de compassion et Elohim le Dieu qui nous juge. Ces commentaires témoignent de la croyance juive en un Dieu dont la compassion et l’infinie patience l’emportent sur Sa rigueur et Sa sévérité.

Le rabbin massorti Harold Schulweis, de mémoire bénie, apporte un autre éclairage sur cette alliance avec Adonaï Elohim, je le cite : « Elohim est le fondement de l’univers qui a été mis à notre disposition, et Adonaï est l’énergie qui le transforme. … Adonaï Elohim marque la coopération, la transaction, entre l’humain et le divin. »

En cette période de profond questionnement sur l’avenir, où l’on vit une succession de crises plus redoutables les unes que les autres et toutes imputables aux actions irréfléchies, voire volontairement destructrices de l’humanité, il est réconfortant d’envisager le monde comme une perpétuelle transformation, où on pourra voir au-delà !

En ce mois d’Eloul qui commence, nous sommes de nouveau face à une balance : sera t on capable d’apprécier et de multiplier les sources de bénédiction dans nos vies ? mais aussi d’agir lorsque c’est en notre pouvoir, pour inverser celles qui nous entrainent vers la malédiction ?

Et si vous avez besoin d’un peu de baume au coeur : écoutez ce couple d’amoureux, ce couple subversif Tzakhi et Lucy, et voyez leur force rédemptrice…

Ken Yhié Ratzon, Hodesh tov, Shabbat shalom !


[1] https://youtu.be/qILxNEVMJo4

Drasha Kora’h KEREN OR, 24 juin 2022

Kora’h est le principal personnage de la paracha qui porte son nom. Il est le cousin germain de Moïse et Aaron (et Myriam) et décide d’affronter ses cousins en remettant en question leur leadership. Kora’h est le fils de Kehat, frère cadet d’Amram. Kora’h est cependant l’ainé de Kehat et à ce titre l’ainé de Moïse qui est lui le cadet d’Amram …Est ce à ce titre qu’il demande qu’on lui confie des responsabilités supérieures ? est-ce à ce titre qu’il fomente un coup ? c’est une des hypothèses des commentateurs, il y en a beaucoup d’autres, qu’on va essayer de regarder de plus près.

Au départ, l’argument de Kora’h semble recevable, il plaide pour davantage de démocratie, « ça suffit,  nous sommes tous saints » dit-il à Moïse, et en arrière-fond on entend : c’est Dieu lui-même qui l’a dit, vous n’êtes pas plus saints que nous. Pourquoi vous réservez vous tous les honneurs et prérogatives ? On pourrait entendre son argument qui demande davantage d’égalité, s’il était sincère …. Mais est-ce le cas ? l’ensemble des commentaires rabbiniques lui donnent tort, pourquoi un tel consensus ? pourquoi un tel rejet de Kora’h et sa clique ?

Peut être justement par ce qu’il vient devant Moïse avec une clique, une faction qu’il a remontée comme une pendule contre ses cousins. Trois autres amis sont nommés : Dathan, Aviram et On, et puis il y a les 250 têtes chenues, les anciens, les sages qu’il a réussi à convaincre, mais comment ? Leur a-t-il promis des postes prestigieux, comme on dit, des rôles de premier plan dans sa nouvelle république hébraïque ? Clairement c’est une lutte des élites : lévites, rubénites (Dathan et Aviram et On, appartiennent tous à la tribu de Ruben qui a perdu son droit d’aînesse) se sont ligués contre Moïse et son frère. Ils veulent renverser la table, ça suffit comme ça. Et ce, alors que le peuple est en plein désert, confronté à tant de périls et que le rapport négatif à propos de la terre promise de 10 chefs de tribus, la majorité absolue, vient de tomber (si on accepte une chronologie entre shelakh lekha et Kora’h).

Moïse n’a plus la cote, son pouvoir ne tient qu’à un fil. On est en zones de turbulences et la salve de Moïse qui s’étale sur 8 versets comparativement aux 2 courts versets assassins de Kora’h est à la hauteur de l’enjeu. Moïse tient à tout prix à aller au bout du projet divin, non pas par orgueil, ou ambition personnelle, ni parce qu’il a la « nuque raide », bien au contraire, d’après Rachi il cherche d’abord à les amadouer, en leur rappelant leur lien de sang, les responsabilités qui leur ont été confiées, et la confiance dont ils bénéficient. Il leur rappelle aussi que ce n’est pas à leur niveau, entre simples humains, fussent-ils des lévites, que se prennent ces décisions, mais au niveau supérieur, au niveau divin. Et leur révolte est de ce point de vue inacceptable car ils remettent en question la parole et le choix divins …

Moïse est en colère, il a peur, peur que ce peuple à peine formé se disloque, et peur d’aller vers l’échec.

Face à lui, Kora’h nous montre le premier exemple de ce qu’on nommerait aujourd’hui un populiste mais aussi un démagogue. Ces deux termes, souvent mis dans le même sac, notre paracha nous invite à mieux les définir et les distinguer si possible.

Le populisme fait référence au peuple considéré comme homogène, et comme une majorité silencieuse qu’il faut écouter, car elle serait invisibilisée voire maltraitée. Les populistes répondent ainsi à des demandes du peuple non ouvertement exprimées. Ce faisant le populisme s’oppose aux valeurs et idées dites des élites, qui auraient des intérêts qui s’opposent au peuple. L’élite est elle aussi vue comme homogène et aurait pour objectif de s’opposer au peuple. Une autre caractéristique du populisme est d’exclure des minorités (immigrés, LGBT, minorités religieuses, femmes, riches, etc..) et de ce fait ils polarisent et divisent notre société. Originellement les populistes étaient classés à l’extrême droite, plus récemment, on les trouve des deux côtés des extrêmes du spectre politique.

Qu’est-ce qu’un démagogue ? Ce mot grec faisait référence à l’origine à un meneur d’une faction populaire. Dans le langage courant, il a pris une connotation négative : c’est celui qui cherche à flatter le peuple par des paroles, afin d’obtenir ses suffrages et de le dominer. Ainsi un populiste n’est pas forcément démagogue car il va faire ce qu’il a dit, alors qu’un démagogue est souvent populiste. [1]

Revenons à la paracha et aux deux modèles de leadership qui s’y affrontent : d’un côté un Kora’h clairement identifié comme populiste et démagogue, et de l’autre Moïse. Comment pourrait on définir son style de leadership ? Je me suis rappelée d’un livre à succès de Jim Collins qui a eu son heure de gloire dans les années 1990, avec plusieurs best sellers dans le domaine du management. Ce livre qui s’appelle ‘De la performance à l’excellence’ compare 11 entreprises hors du commun à d’autres qui marchent bien, mais ne sont pas exceptionnelles .

Pour atteindre ce niveau d’excellence, nous dit-il, ces entreprises disposent toutes d’un type de leader particulier. Mais quel est-il ? Il classe en 5 niveaux les styles de leadership. Seul le 5ème nous intéresse, qu’il décrit comme unique et rare, pourquoi ? Car de manière totalement contre-intuitive ces patrons n’ont rien d’exceptionnel : ils sont disciplinés, humbles, passionnés, et très ambitieux…pour leur projet et leur équipe. Ils ne cherchent pas à être mis sur un piédestal, ni à devenir des icônes. Ca ne vous rappelle rien ? moi j’ai tout de suite pensé à Moïse … la Torah n’a pas besoin d’un Jim Collins pour apprécier quel type de leader il faut à un peuple aussi difficile à diriger…un homme humble et passionné par sa mission. Un homme qui assume ses échecs, même s’il n’en est pas directement responsable et ne se glorifie pas de ses succès. Un homme qui ne fait pas de compromis sur les valeurs, qui écoute au-delà des mots. Lorsqu’une demande est entendable, il s’enquiert auprès de Dieu pour répondre à ceux qui l’ont formulée, mais lorsqu’une demande est faite par pur orgueil, il ne cède pas d’un pouce et au contraire se mure dans les principes immuables dont il est le garant. La controverse oui, mais seulement si elle est au nom du ciel nous dit les Pirke Avot, Moïse et tous les sages qui lui ont succédés l’ont bien compris, est ce que ce sera le cas de nos dirigeants ?

Ken Yhie ratzon, Shabbat shalom !


[1] Pierre Rosanvalon https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-invite-e-des-matins/populisme-le-mot-du-siecle-7253583

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