Le temps s’est arrêté hier tard dans la nuit. Il s’est arrêté pour Maurice, mais aussi pour Danny, pour Catherine et Frédéric, pour Benjamin, Hannah, Jonathan et Léa. Par vagues successives la nouvelle nous a tous atteints, celles et ceux qui l’ont connu et aimé à la CJL, UJL, KEREN OR, lorsqu’il était simple membre puis trésorier. Celles et ceux qui l’ont cotoyé au Bnai Brith où il a présidé la loge Guggenheim. Tous ceux et celles qui se sont laisser toucher par Maurice et ont écouté cet homme empreint de charisme et d’énergie.
La frénésie d’une vie menée tambour battant s’est arrêtée, même si ces dernières années à cause de sa maladie, cette vie s’était limitée à la maison, sa maison qu’il aimait tant et surtout à ceux et celles qu’il aimait encore plus : en premier lieu sa femme Danny, ses enfants Catherine et Frederic, ses 4 petits enfants Jonathan et Léa, Benjamin et Hannah, et ses 7 arrière-petits-enfants : Suzanne, Rosalie, Noé, Albertine, Philomène, Raily et Jammi. Une descendance dont Maurice et Danny pouvaient être fiers !
La vie de Maurice commence il y a 88 ans sur les genoux de son père, et dans la synagogue de la rue Montesquieu. Il y passait beaucoup de temps, car son père Elia z’’l en était le shamash. Malheureusement, ce père qui l’a tant inspiré ne verra pas son fils Maurice -Moshé faire sa Bar mitsva. A 13 ans, Maurice était déjà orphelin, son père ayant été victime d’une fusillade en pleine rue à Lyon. Leur mère veut protéger ses enfants et part à la campagne à Yzeron. Cette période de la guerre marquera sa vie ainsi que celle de sa fratrie dont il est le troisième dans l’ordre : Juliette, Becky, Maurice, Marinette et Jacky.
Lorsqu’il rencontre sa femme Danny à un concert de Jacques Brel, c’est le coup de foudre et pourtant, leur histoire a failli s’arrêter net car Maurice arrive en retard au rendez-vous et Danny était sur le point de partir…Plus de cinquante ans de vie commune témoignent d’un grand attachement et tout simplement d’un grand amour. Qui mieux que Danny pouvait prendre soin de tous les besoins même non-exprimés d’un mari si cruellement touché par cette maladie dégénérative qui faisait flancher sa mémoire ?
Dire que Maurice aimait la vie en communauté est un euphémisme. Il a d’abord fait partie des EI, son engagement auprès d’organisations sionistes, puis au Bnai Brith où il est devenu président de loge, car il ne s’engageait pas à moitié. Et enfin au sein de la communauté libérale de Lyon, dont il a été un des parnassim : un des membres dirigeants qui veillait avec beaucoup d’attention sur les finances et la pérennité en général.
Une vie qu’il a construite entouré d’amis et de personnes partageant les mêmes convictions et parfois utopies.
Sa vie professionnelle de Responsable des achats chez un grossiste en bonneterie et linge de maison accaparait beaucoup de son temps, mais son esprit était occupé et préoccupé par son engagement associatif et la vie communautaire au sens noble du terme !
Maurice entretenait aussi des violons d’Ingres, dont il aurait pu faire son métier comme le cinéma et le chant. Il avait une grande ouverture sur le monde, une curiosité où la rigueur des chiffres, qu’on lui a bien connue à la communauté libérale, ne l’empêchait pas de rêver et d’être parfois très sentimental…
A Keren Or, nous perdons un ami, un ami que j’aimais particulièrement, même lorsqu’il me et nous poussait avec insistance à être plus ambitieux, et plus professionnels. Ce n’était pas toujours facile d’entendre ses critiques, parfois ses coups de colère, mais je le savais à l’époque comme je le sais maintenant : c’était toujours fait ‘leshem shamaim’ au nom du Ciel comme on dit, ou pour le bien commun et jamais par intérêt personnel.
Moshé, notre guide, notre patriarche, le troisième que j’accompagne au bout du chemin, tu laisses un trou béant et une place qu’il sera très difficile de combler. Tu laisses aussi énormément de souvenirs, de moments partagés : tristes et joyeux, et surtout tu laisses un héritage à ta famille, comme à chacun et chacune ici présent, qui viennent cet après-midi se réchauffer, encore un peu à l’évocation du mensch que tu as été.
Tov shem mishemen tov nous dit l’Ecclésiaste, la bonne réputation est plus importante qu’une bonne huile. Puisse cette excellente réputation inspirer et guider encore très longtemps les pas de ta chère épouse, de tes enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants, de tes sœurs et ton frère et de tous ceux qui t’ont aimés.
Drasha Ki Tissa – de la colère, 11 mars 2023
de Daniela Touati
On 11 mars 2023
dans Commentaires de la semaine
Nous lisons de nouveau demain cette paracha centrale de la Torah, l’épisode dit du veau d’or, acmée de la faute du peuple hébreu pour laquelle on demande pardon jusqu’à nos jours à chaque Yom Kippour. C’est d’ailleurs deux versets de notre paracha qui servent d’introduction à la demande de pardon de la liturgie des selihot de Kippour :
(ו) וַיַּעֲבֹ֨ר יְהֹוָ֥ה ׀ עַל־פָּנָיו֮ וַיִּקְרָא֒ יְהֹוָ֣ה ׀ יְהֹוָ֔ה אֵ֥ל רַח֖וּם וְחַנּ֑וּן אֶ֥רֶךְ אַפַּ֖יִם וְרַב־חֶ֥סֶד וֶאֱמֶֽת׃ (ז) נֹצֵ֥ר חֶ֙סֶד֙ לָאֲלָפִ֔ים נֹשֵׂ֥א עָוֺ֛ן וָפֶ֖שַׁע וְחַטָּאָ֑ה וְנַקֵּה֙ לֹ֣א יְנַקֶּ֔ה פֹּקֵ֣ד ׀ עֲוֺ֣ן אָב֗וֹת עַל־בָּנִים֙ וְעַל־בְּנֵ֣י בָנִ֔ים עַל־שִׁלֵּשִׁ֖ים וְעַל־רִבֵּעִֽים׃
(6) Et l’Eternel est passé sur son visage et il a appelé Adonaï Adonaï dieu par tes tendresses et ta pitié lent à la colère et grand en bonté et vérité. (7) Il conserve une bonté pour ceux qui viennent en millième, il porte une faute et un crime et un égarement. Et innocenter il ne va pas innocenter, il venge la faute des pères sur les fils et sur les fils des fils, sur ceux qui viennent en troisième et sur ceux qui viennent en quatrième génération.
Ces versets ont été repris tels quels dans les Selihot, à une nuance près, mais de taille…la liturgie nous dit, contrairement au verset de la Torah, que l’Eternel va pardonner et innocenter son peuple. Une sorte de pied de nez des rabbins pour nous rassurer. Et en même temps, pour plus de sécurité, on continue à demander pardon de génération en génération, en se rappelant que le Dieu de la Torah est souvent décrit comme irascible.
C’est le cas dans Ki Tissa, lorsqu’Il voit son peuple se déchaîner et se prosterner devant un veau d’or. L’Eternel prévient Moïse qui est auprès de lui en train de préparer les tables de la loi. Aussitôt YHWH fait le vœu d’anéantir son peuple. En bon leader Moïse intercède et réussit à le calmer. Mais lorsqu’il voit la débauche de son peuple, Moïse lui-même se laisse aller à la colère contre les hébreux et fracasse les deux tables en bas de la montagne.
Eguel le mot hébreu pour veau vient de la même racine que maagal le cercle dans lequel le Eguel nous enferme, une forme de répétition destructrice et morbide. L’épisode du veau d’or représente le paroxysme de la colère du peuple aussi, où pour trouver une échappatoire à son angoisse, on fabrique un masque et on se crée un dieu. L’idolâtrie est au-delà du geste de la prosternation devant des statues, cet enfermement dans un tohu bohu intérieur et cette répétition obsessionnelle : on tourne en rond. Maimonide ne s’y est pas trompé quand il a qualifié celui qui perd le contrôle et s’enferme dans la colère d’idolâtre[1].
Et pourtant, nos sages nous mettent régulièrement en garde contre cette émotion incontrôlable. D’ailleurs, il y a plusieurs termes en hébreu pour exprimer nos exaspérations, avec des nuances qui vont de la frustration, à la colère contenue voire à la rage avec des termes comme kaas, ragaz ou katzaf.
C’est l’expression hara af – la colère brûlante qui sort du nez, comme la moutarde qui est répétée ici pour exprimer le ressenti de Moise et de Dieu – si on peut dire. C’est un souffle court, une inflammation interne, une irritation dévastatrice. A contrario, un des attributs divins est erekh apaïm longueur de narines et exprime, cette capacité à prendre de longues bouffées d‘air et de faire preuve de patience.
Selon le Traité des Pères, il y a « quatre genres de tempérament : facile à irriter et facile à calmer, son inconvénient est compensé par son avantage ; difficile à irriter et difficile à calmer son avantage est perdu par son inconvénient ; difficile à irriter et facile à calmer, c’est un homme intègre (un hassid) ; facile à irriter et difficile à calmer, c’est un injuste un rasha (méchant littéralement). »
L’ancien grand rabbin anglais Jonathan Sacks, dans un de ses commentaires sur la colère cite le livre ‘Orkhot Tzadikim’, du 15e siècle qui enseigne que la colère détruit les relations personnelles. Elle chasse les émotions positives – le pardon, la compassion, l’empathie et la sensibilité. Il en résulte que les personnes irascibles finissent par se sentir seules, rejetées et déçues. Les personnes de mauvaise humeur n’obtiennent rien d’autre que leur mauvaise humeur selon le talmud.[2] Elles perdent tout le reste.
Rabbenou Yona[3] nous dit qu’il est inéluctable d’être irrité et en colère, mais si la personne le fait avec difficulté et lorsqu’elle n’a pas d’alternative, cela reste une preuve de sagesse. Et il ajoute, ‘il est bon de se calmer aussitôt, au sein même de sa colère, sans attendre qu’elle nous ait quittés.’ L’homme intègre, nous dit-il, s’apaise facilement et c’est là une dimension de l’intégrité et de la générosité.
La colère n’est pas toujours mauvaise conseillère, il y a de saines colères, nécessaires et constructives, car canalisées. De celles où on se lève pour redresser une injustice et où la solidarité humaine joue son rôle. Et actuellement, elles sont nombreuses à s’exprimer dans ce sens à travers la planète.
Ce shabbat est tristement marqué par le décès d’un de nos parnassim – de nos anciens, de ceux qui ont été parmi les fondateurs de la communauté libérale à Lyon. De ceux qui l’ont soutenue et ont œuvré sans relâche pour qu’elle existe et se développe. Et un jour obtienne la reconnaissance qu’elle mérite. Maurice Elmalek était connu pour son engagement sans faille, mais aussi pour son caractère un peu colérique. Sa colère était toujours orientée vers le bien commun et non pour ses intérêts personnels. Il nous poussait toujours vers l’avant, pour qu’on puise au fond de nous le meilleur de nous-mêmes. Sa colère ne durait pas et très vite on le retrouvait jovial et égal à lui-même.
Je trouvais toujours ses prises de parole véhémentes très touchantes, je l’écoutais et le rassurais sa demande serait prise en compte. Pour honorer sa mémoire, et pour KEREN OR, prenons modèle sur Maurice, son engagement, son énergie constructive et sa lutte pour davantage de justice ici à Lyon.
Ken Yhie Ratzon,
Shabbat shalom’.
[1] Maimonide, Mishne Torah, Hilchot Deot 2 :3.
[2] Talmud Kiddoushin 40b
[3] De Gerone, 1200-1264.