Je voudrais du soleil vert
Des dentelles et des théières
Des photos de bord de mer
Dans mon jardin d’hiver…
Je n’ai pas trouvé mieux que ces paroles pour traduire mon état d’esprit du moment, à deux jours d’élections peu réjouissantes, et alors que la guerre entre Israël et le Hamas rentre dans son 9è mois ce 7 juillet. Le temps d’une grossesse, le temps d’une naissance…celle d’une réalité à laquelle on aimerait pouvoir échapper.
Quand l’avenir est sombre, on replonge avec délectation dans la nostalgie d’un passé perdu, qui nous semble, à postériori bien plus séduisant, et plus simple que le présent.
Pour ma part, l’étude de la Torah a aussi cette fonction, elle me permet de me retirer momentanément du monde pour le regarder sous un angle distancié et à défaut de réconfort, de m’apporter quelques arguments à ajouter au débat.
La paracha Kora’h est parsemée de conflits, luttes de pouvoir, ambitions démesurées, combats fratricides qui se déroulent entre le cousin de Moïse, Kora’h et sa clique et Moïse et Aaron. Comme vous voyez toute ressemblance avec des faits réels n’est pas totalement fortuite …
Les versets qu’on vient de lire se déroulent une fois ce conflit résolu, de manière un peu brutale certes, puisqu’une faille s’ouvre devant ceux qui ont fomenté cette révolte ainsi que tous ceux qui les ont soutenus et ils périssent avalés par la terre…
A présent, le récit se concentre sur la répartition des rôles purement religieux, dévolus à la tribu de Lévi. Tribu qui est celle de Moïse d’Aaron et de Myriam, tribu qui se verra confier le leadership politique d’un côté avec Moïse et, religieux de l’autre, avec Aaron, et sa descendance, famille de prêtres. La tribu de Lévi est par conséquent séparée en deux castes : Aaron et ses descendants sont des Cohanim, et tous les autres seront les serviteurs des Cohanim, les Lévites, ce qui en hébreu veut dire accompagnateurs.
Les Cohanim ont ce statut particulier qui leur interdit de s’approcher des morts pour ne pas devenir impurs. Ils ont aussi l’interdiction de tuer car dans le cas contraire, ils perdent l’autorisation de bénir le peuple, ce qui est l’une de leurs plus importantes prérogatives.
A partir de ces deux limitations halakhiques, certains rabbins ont considéré que les Cohanim ne peuvent s’engager dans l’armée et devenir des soldats. Cependant lorsque l’ancien grand rabbin d’Angleterre Joseph H. Hertz se voit poser la question par le gouvernement britannique à propos de la conscription des Cohanim britanniques en 1916, en pleine 1ère guerre mondiale, il répond positivement : oui ils peuvent et doivent devenir des soldats britanniques et défendre leur patrie.[1] Commence alors un débat très vif entre le grand rabbin Hertz et le rabbin en chef du Beit Din de Leeds au nord de l’Angleterre qui maintenait que les Cohanim doivent être exemptés de la guerre, pour les raisons citées plus haut. Alors quels étaient les arguments du Grand Rabbin Hertz ?
D’une part, il a rappelé qu’un Cohen peut se rendre impur en inhumant un mort qui n’a personne pour l’enterrer, acte qui s’appelle un met mitsva. Par conséquent, il peut devenir impur pendant la guerre et en plus potentiellement sauver des vies ! D’autre part, les Hasmonéens étaient des Prêtres qui ont mené une guerre victorieuse contre les Séleucides dans les années 167 à 140 avant notre ère, guerre relatée dans le livre des Maccabées et célébrée à Hanoucca. Dans le talmud Yeroushalmi (Nazir 7:1), il est mentionné que R. Hyyia qui était un Cohen s’est rendu impur pour honorer le roi de l’époque et servir l’armée du roi. Enfin, dans le Deutéronome, il est mentionné trois cas où un homme est exempté d’aller à la guerre : s’il vient de construire une nouvelle maison, s’il vient de planter une vigne ou s’il vient d’épouser une femme, les personnes qui sont dans ces trois cas de figure sont exemptées pendant un an de l’armée. Aucune mention d’exemption n’est indiquée pour les Cohanim.
La question vient percuter une actualité brulante qui divise Israël depuis des décennies et en particulier depuis la réforme judiciaire soutenue par Netanyahou et sa coalition. Les Cohanim des textes bibliques et talmudiques sont les archétypes de cette caste qui dédie sa vie à la religion et plus précisément à l’étude de la Torah, c’est-à-dire les haredim modernes. Ils bénéficient depuis 1949 d’une exemption du service militaire, allouée par le premier ministre Ben Gourion à l’époque comme un compromis pour les rallier au projet de création de l’état. A l’époque, ils ne représentaient que quelques centaines alors qu’ils représentent selon le recensement de 2019 69% des jeunes hommes en âge de faire l’armée et 59% des femmes ! Cette exemption n’est pas une loi mais est mise en œuvre par une directive de l’armée. Elle a été sujette à de nombreuses controverses au cours des décennies. L’arrangement appelé Torato Omanouto la torah est son occupation est au départ un principe qui permet de retarder l’âge de la conscription, mais en réalité, les jeunes quittent leur étude de la torah à 30 ans n’ont aucun risque d’être appelés à l’armée. En 1998, la Cour Suprême s’est attaquée à ce principe considérant que cela crée une discrimination insupportable entre les citoyens israéliens. En 2014 une nouvelle loi devait permettre l’enrôlement progressif des haredim dans l’armée et après 3 ans ils devraient payer une amende pour non-engagement dans l’armée. Les coalitions qui ont suivi ont vu les haredim s’allier avec Netanyahou, le status quo a par conséquent été prorogé
Depuis le début de la guerre, la donne a changé et au contraire, un nouveau projet de loi datant de février de cette année indiquait qu’il fallait proroger la durée du service obligatoire pour les conscrits et les réservistes et aussi de mettre fin à l’exemption de service militaire pour les haredim. 63000 étudiants de yeshivot devaient en principe rejoindre l’armée depuis le 1 avril, et le budget alloué aux yeshivot était gelé jusqu’à ce que ces jeunes rejoignent Tzahal. En réalité, rien n’ayant bougé depuis, la cour suprême a été saisie et la majorité absolue des juges s’est prononcée le 25 juin dernier en faveur de l’obligation de conscription des jeunes haredim.
Il est particulièrement choquant de voir le pays divisé sur une question d’égalité de traitement qui sacrifie certains citoyens au détriment des autres…On peut se demander où est passée l’application de la loi juive pour cette frange de la population qui se réclame de sa stricte observance ?
Mathieu, toi qui célèbre ta bar mitsva ce chabbat et vis dans un pays en paix, je te souhaite de ne jamais connaitre de guerre au cours de ta vie, mais aussi de garder un sens aigu de la justice, de l’égalité, de la fraternité et de la liberté pour réfléchir aux sujets importants de notre société, et de grandir dans ta conscience politique, comme tu l’as fait pendant la préparation de ta bar mitsva. un grand mazal tov à toi et toute ta famille !
Ken yhié ratzon, chabbat shalom !
Drasha Choftim – KEREN OR, 6 septembre 2024
de Daniela Touati
On 8 septembre 2024
dans Commentaires de la semaine
Les Israéliens et nous tous avons été particulièrement choqués et éprouvés par la semaine écoulée après l’annonce de l’assassinat de 6 jeunes otages israéliens par le Hamas, juste avant leur libération par l’armée israélienne. S’en sont suivies des manifestations monstres et une grève générale à l’appel du principal syndicat du pays : la histadrout, ce qui en soi a constitué une première. La société civile et en son centre les familles d’otages demandent inlassablement un accord permettant la libération de leurs proches et à défaut la démission du gouvernement. Mais, depuis des mois déjà, le gouvernement reste sourd à ces demandes répétées, manquant totalement d’empathie et de vision stratégique et ce quel que soit le nombre de manifestants.
Il apparait de plus en plus clairement que plusieurs blocs s’affrontent dans une milhemet ahim une guerre entre frères au sein même de la société israélienne. Certains analystes n’hésitent pas à mettre de l’huile sur le feu … ainsi Dov Maimon directeur de recherche au JPPI, un think tank basé à Jérusalem, très influent en matière de réflexion et planification en Israël lui-même prévisionniste et conférencier international écrit cette semaine de manière provocante :
C’est une lutte pour l’hégémonie culturelle qui se joue en Israël aujourd’hui, et elle est bien plus profonde que ce que les médias nous montrent.
Cette bataille idéologique oppose deux visions d’Israël, deux blocs historiques en formation :
D’un côté, nous avons l’élite sioniste qui a construit le pays. Laïque, progressiste en apparence, souvent d’origine ashkénaze, elle a longtemps défini ce qu’était l’israélité. Ses bastions ? Les tribunaux, les universités, les médias, les syndicats, l’armée de l’air, l’intelligence militaire, la high-tech. Elle craint la levantinisation et pense que sans elle, le pays ne peut pas tenir et ses arguments font sens. Sans être ashkénaze, j’appartiens à cette élite et je partage un grand nombre de ses valeurs libérales.
De l’autre, émerge un « Nouvel Israël ». Plus religieux, plus traditionaliste, composé de Sépharades, de Russes, d’immigrants, d’orthodoxes. Longtemps marginalisé, ce groupe s’affirme désormais. Il est majoritaire dans l’armée de terre, dans les zones périphériques. Il revendique une autre vision de l’identité israélienne.
J’ai frémi en lisant ces mots avec lesquels je me sens en total désaccord…Cette analyse simpliste des fractures qui traversent la société israélienne où tant de blocs aux intérêts divergents s’affrontent m’a laissée pantoise.
Il y a certes une évolution démographique qui explique la situation politique d’aujourd’hui, mais l’opposition au gouvernement actuel a commencé à propos de la réforme judiciaire et, elle avait et a, des bases éthiques et non de préservation hégémonique du pouvoir !
Quel système judiciaire doit avoir Israël pour respecter ses minorités ? Quel avenir veut-on pour ce pays composé de tant de groupes ethniques, religieux, laïcs, juifs, chrétiens et arabes, comment chacun d’entre eux peut trouver sa place, être respecté, traité de manière juste et égalitaire ? Peut-on laisser sans broncher Israël tomber aux mains d’un dirigeant et sa clique d’ambitieux malveillants et égoïstes qui le transforment en un état autoritaire voire une dictature ?
Ce sont les préoccupations de ce groupe ‘libéral’ très divers, contrairement à ce qu’en dit Dov Maïmon, où des traditionnalistes, côtoient des libéraux, des hilonim, des intellectuels, comme des professeurs ou des employés, tous attachés aux valeurs qui ont fondé ce pays dans sa Déclaration d’Indépendance… C’est pour préserver cela que le peuple a commencé à manifester dès janvier 2023.
La polarisation de la société israélienne dure depuis des années, elle s’est exacerbée encore plus ces derniers mois, ce qui l’a affaiblie. A cela s’est ajouté une coalition au pouvoir qui sert les intérêts d’une frange de la population, au détriment de l’intérêt général. Ainsi, les décisions prises avant le 7 octobre concernant la sécurité des citoyens ont été désastreuses.
La paracha Choftim -les Juges, commence par déclarer qu’il faut nommer des juges et des policiers impartiaux, condition préalable, nous dit la Torah, à l’établissement durable du peuple sur la terre promise. La paracha poursuit sur cette voie de la justice, en rappelant que lorsque le peuple décidera d’appointer un roi, ce dernier ne devra posséder ni trop d’or, ni trop de chevaux, ni trop de femmes, et devra étudier tous les jours et écrire un sefer Torah au cours de sa vie, afin de rester humble et acquérir la sagesse nécessaire à la prise de décisions parfois très délicates !
Lorsqu’une guerre sera déclarée contre une ville, l’armée devra prendre toutes les mesures pour l’éviter et appeler d’abord la ville à la paix. Une fois une guerre engagée elle doit l’être avec le plus de compassion possible !
Isaac Arama (1420-1494) théologien espagnol et philosophe écrit :
« [il faut d’abord faire] Des supplications et des demandes formulées de la manière la plus conciliante possible, afin de tourner leurs cœurs (…) car cela découle nécessairement de la sagesse humaine de [vouloir] la paix, et de la volonté divine (…) ainsi nous trouvons qu’Il a ordonné « tu ne dois cependant pas en détruire les arbres en portant sur eux la cognée: » [Deut. 20:19], à plus forte raison devons-nous veiller à ne pas causer de dommages et de destructions aux êtres humains. »[1]
Si toutes les discussions diplomatiques sont épuisées, alors seulement les hébreux devront partir en guerre.
Une émotion m’étreint à la lecture de ces lois de la guerre, tant elles résonnent avec l’actualité immédiate ! 11 mois se sont écoulés sans aboutir à aucun accord de cessez le feu ni de libération de ces pauvres otages. Qui est responsable de ce qu’on peut appeler un désastre ? alors que la priorité déclarée de Netanyahou en octobre dernier était que tous les otages rentrent à la maison ? Il est évident que négocier avec un groupe terroriste aussi fourbe et sanguinaire n’est pas une sinécure, mais des proches du pouvoir et des négociateurs sont très critiques envers le premier ministre et sa coalition qui ont délibérément fait capoter plusieurs rounds de négociation.
Un pays aussi fragile qu’Israël, un pays en guerre depuis sa création, doit encore plus que d’autres démocraties veiller à se choisir des dirigeants moralement irréprochables, des gardiens du socle sur lequel ce pays a été bâti qui soient aussi des visionnaires.
Cette trempe de dirigeants est rare à dénicher, mais à défaut, on peut au moins espérer qu’ils fassent preuve d’une mesure de rahamim – de compassion, tant envers les familles désespérées de retrouver leurs proches, qu’envers tout un pays endeuillé.
Espérons que la dernière tragédie en date et la pression du peuple fera basculer l’état d’esprit de ses gouvernants vers davantage de justice et de compassion,
Ken yhié ratzon,
Chabbat shalom !
[1] commentaire sur la torah trad. Eliahou Munk