Le premier et plus grand rabbin du peuple juif tire sa révérence cette semaine entre Roch Hachana et Yom Kippour, Moshé rabbeinou, Moïse notre rabbin. Ce rabbin là a connu la tourmente d’être décrié, contesté, et chahuté tout au long de sa longue existence, 120 ans selon la tradition. Il a été mis à mal par un peuple assez immature pour croire que, une fois sortis d’Egypte, la vie serait un long fleuve tranquille. 40 ans dans le désert ne l’ont pas franchement aidé à murir, et cette génération y compris son leader ont été condamnés à finir ensevelis dans le sable…
Autant Moïse a été malmené de son vivant, autant les générations suivantes et en premier lieu nos Sages l’ont porté aux nues et l’ont érigé en modèle de chef spirituel et politique meata vead olam. C’est souvent le sort réservé aux personnalités publiques, d’être enfin reconnues pour leurs qualités et leur legs une fois passés de vie à trépas.
Même au seuil de la mort, Moïse ne perd pas sa faconde et ses mots sont parfois incisifs à l’égard des générations à venir, qui vont comme nous tous, trébucher, commettre des erreurs, parfois légères et parfois bien plus graves, pour lesquelles ils sont prévenus : la punition sera redoutable.
La toute dernière paracha des 5 livres de Moïse, Vezot Habrakha – ‘et ceci est la bénédiction’ nous la lirons à Simhat Torah, juste avant de recommencer la lecture par Béréchit. Paracha apocryphe, dont on ne connait pas l’auteur, selon la lecture scientifique de la Bible, …
On aura lu beaucoup de malédictions en cette fin d’année et on peut dire nous aussi que la coupe est pleine…Pour nous consoler un peu, on relit alors ce conte hassidique du rabbin de Berditchev à la veille de Kippour dans son village aux confins de la Pologne et de l’Ukraine.
Un jour, un tailleur s’est adressé à Rabbi Levi Yitzchak de Berdichev et lui a avoué qu’il avait commis de nombreuses transgressions au cours de sa vie. Cependant, il n’était pas sûr de savoir comment demander le pardon. Il dit au rabbin : « Rabbi, j’ai un livre dans lequel je note toutes mes fautes, et je les inscris devant Dieu. Je reconnais mes fautes, mais j’ai aussi un deuxième livre ».
Curieux, Rabbi Lévi Yits’hak demande : « Qu’y a-t-il dans ce deuxième livre ?
Le tailleur explique : « Dans le deuxième livre, j’écris toutes les fautes de Dieu. Quand je souffre de pauvreté, quand des proches souffrent d’un grave maladie ou une lourde épreuve, quand le monde est très injuste – je note ces choses comme les fautes de Dieu ».
Le rabbin est étonné mais écoute attentivement.
Le tailleur poursuit : « Ensuite, je dis à Dieu : « Nous avons tous les deux commis des fautes, Toi et moi. Je te pardonne tes fautes et /si tu me pardonnes les miennes ».
En entendant cela, Rabbi Lévi Yits’hak sourit et dit : « C’est ainsi que tu parles à Dieu ? Puisse tes paroles apporter la paix dans le monde ! Tu as fait preuve d’une incroyable houtzpah (audace) mais aussi d’une foi profonde, confiante dans la compassion divine et dans le fait qu’en fin de compte, tout est question de pardon et de compréhension ».
On a une longue liste nous aussi cette année à Lui faire lire : Où était il cette année lorsque des enfants ont été assassinés, des femmes violées, des vieillards amenés en captivité ? Ou était il lorsque la bande de Gaza a été transformée en tas de ruines ? où là aussi des femmes et des enfants ont été ensevelis sous les décombres Que Fait-il pour empêcher ces guerres et ces destructions ? On est en droit, nous aussi, de le mettre sur le grill de la techouva…est ce que ces questions sont naïves ? Est-ce que ce serait se comporter comme des enfants face à des parents qui n’ont pas su protéger leurs enfants des malheurs du monde et nous dédouaner de nos propres responsabilités ?
Et que peut faire un rabbin par rapport à tous ces malheurs ? Comme le tailleur, il consigne tout cela dans un carnet, une sorte de livre de comptes et parfois de contes, des mots qu’il garde pour lui et d’autres qu’il/elle partage aves ceux et celles qui veulent bien l’écouter, pour faire résonner une voie, qu’il espère sage et apaisée, des mots mis bout à bout, qui sont en réalité d’éternelles questions, parfois lues entre les lignes ou tues, semaine après semaine, des mots pour lutter contre tous les maux de notre société.
Des mots qu’il ou elle transmet à la génération suivante en faisant le vœu que chaque génération apprenne des fautes de la précédente, et que Dieu se repente aussi des malheurs qu’Il , à minima, laissé faire…des mots qui entretiennent le fil d’un dialogue ininterrompu entre nous humains et entre Dieu et ses brebis égarées.
Je remercie ce soir le rabbin Michael Williams qui m’a soufflé sans le savoir ces paroles, à la lecture de son livre de sermons : ‘Un rabbin heureux quand même !’ Il a été le premier rabbin libéral, et rabbin tout court qui a su m’inspirer. Et, qui sait ? Poser la première pierre de ma vocation rabbinique !
Chabbat shalom, g’mar hatima tova !
Drasha Choftim – KEREN OR, 6 septembre 2024
de Daniela Touati
On 8 septembre 2024
dans Commentaires de la semaine
Les Israéliens et nous tous avons été particulièrement choqués et éprouvés par la semaine écoulée après l’annonce de l’assassinat de 6 jeunes otages israéliens par le Hamas, juste avant leur libération par l’armée israélienne. S’en sont suivies des manifestations monstres et une grève générale à l’appel du principal syndicat du pays : la histadrout, ce qui en soi a constitué une première. La société civile et en son centre les familles d’otages demandent inlassablement un accord permettant la libération de leurs proches et à défaut la démission du gouvernement. Mais, depuis des mois déjà, le gouvernement reste sourd à ces demandes répétées, manquant totalement d’empathie et de vision stratégique et ce quel que soit le nombre de manifestants.
Il apparait de plus en plus clairement que plusieurs blocs s’affrontent dans une milhemet ahim une guerre entre frères au sein même de la société israélienne. Certains analystes n’hésitent pas à mettre de l’huile sur le feu … ainsi Dov Maimon directeur de recherche au JPPI, un think tank basé à Jérusalem, très influent en matière de réflexion et planification en Israël lui-même prévisionniste et conférencier international écrit cette semaine de manière provocante :
C’est une lutte pour l’hégémonie culturelle qui se joue en Israël aujourd’hui, et elle est bien plus profonde que ce que les médias nous montrent.
Cette bataille idéologique oppose deux visions d’Israël, deux blocs historiques en formation :
D’un côté, nous avons l’élite sioniste qui a construit le pays. Laïque, progressiste en apparence, souvent d’origine ashkénaze, elle a longtemps défini ce qu’était l’israélité. Ses bastions ? Les tribunaux, les universités, les médias, les syndicats, l’armée de l’air, l’intelligence militaire, la high-tech. Elle craint la levantinisation et pense que sans elle, le pays ne peut pas tenir et ses arguments font sens. Sans être ashkénaze, j’appartiens à cette élite et je partage un grand nombre de ses valeurs libérales.
De l’autre, émerge un « Nouvel Israël ». Plus religieux, plus traditionaliste, composé de Sépharades, de Russes, d’immigrants, d’orthodoxes. Longtemps marginalisé, ce groupe s’affirme désormais. Il est majoritaire dans l’armée de terre, dans les zones périphériques. Il revendique une autre vision de l’identité israélienne.
J’ai frémi en lisant ces mots avec lesquels je me sens en total désaccord…Cette analyse simpliste des fractures qui traversent la société israélienne où tant de blocs aux intérêts divergents s’affrontent m’a laissée pantoise.
Il y a certes une évolution démographique qui explique la situation politique d’aujourd’hui, mais l’opposition au gouvernement actuel a commencé à propos de la réforme judiciaire et, elle avait et a, des bases éthiques et non de préservation hégémonique du pouvoir !
Quel système judiciaire doit avoir Israël pour respecter ses minorités ? Quel avenir veut-on pour ce pays composé de tant de groupes ethniques, religieux, laïcs, juifs, chrétiens et arabes, comment chacun d’entre eux peut trouver sa place, être respecté, traité de manière juste et égalitaire ? Peut-on laisser sans broncher Israël tomber aux mains d’un dirigeant et sa clique d’ambitieux malveillants et égoïstes qui le transforment en un état autoritaire voire une dictature ?
Ce sont les préoccupations de ce groupe ‘libéral’ très divers, contrairement à ce qu’en dit Dov Maïmon, où des traditionnalistes, côtoient des libéraux, des hilonim, des intellectuels, comme des professeurs ou des employés, tous attachés aux valeurs qui ont fondé ce pays dans sa Déclaration d’Indépendance… C’est pour préserver cela que le peuple a commencé à manifester dès janvier 2023.
La polarisation de la société israélienne dure depuis des années, elle s’est exacerbée encore plus ces derniers mois, ce qui l’a affaiblie. A cela s’est ajouté une coalition au pouvoir qui sert les intérêts d’une frange de la population, au détriment de l’intérêt général. Ainsi, les décisions prises avant le 7 octobre concernant la sécurité des citoyens ont été désastreuses.
La paracha Choftim -les Juges, commence par déclarer qu’il faut nommer des juges et des policiers impartiaux, condition préalable, nous dit la Torah, à l’établissement durable du peuple sur la terre promise. La paracha poursuit sur cette voie de la justice, en rappelant que lorsque le peuple décidera d’appointer un roi, ce dernier ne devra posséder ni trop d’or, ni trop de chevaux, ni trop de femmes, et devra étudier tous les jours et écrire un sefer Torah au cours de sa vie, afin de rester humble et acquérir la sagesse nécessaire à la prise de décisions parfois très délicates !
Lorsqu’une guerre sera déclarée contre une ville, l’armée devra prendre toutes les mesures pour l’éviter et appeler d’abord la ville à la paix. Une fois une guerre engagée elle doit l’être avec le plus de compassion possible !
Isaac Arama (1420-1494) théologien espagnol et philosophe écrit :
« [il faut d’abord faire] Des supplications et des demandes formulées de la manière la plus conciliante possible, afin de tourner leurs cœurs (…) car cela découle nécessairement de la sagesse humaine de [vouloir] la paix, et de la volonté divine (…) ainsi nous trouvons qu’Il a ordonné « tu ne dois cependant pas en détruire les arbres en portant sur eux la cognée: » [Deut. 20:19], à plus forte raison devons-nous veiller à ne pas causer de dommages et de destructions aux êtres humains. »[1]
Si toutes les discussions diplomatiques sont épuisées, alors seulement les hébreux devront partir en guerre.
Une émotion m’étreint à la lecture de ces lois de la guerre, tant elles résonnent avec l’actualité immédiate ! 11 mois se sont écoulés sans aboutir à aucun accord de cessez le feu ni de libération de ces pauvres otages. Qui est responsable de ce qu’on peut appeler un désastre ? alors que la priorité déclarée de Netanyahou en octobre dernier était que tous les otages rentrent à la maison ? Il est évident que négocier avec un groupe terroriste aussi fourbe et sanguinaire n’est pas une sinécure, mais des proches du pouvoir et des négociateurs sont très critiques envers le premier ministre et sa coalition qui ont délibérément fait capoter plusieurs rounds de négociation.
Un pays aussi fragile qu’Israël, un pays en guerre depuis sa création, doit encore plus que d’autres démocraties veiller à se choisir des dirigeants moralement irréprochables, des gardiens du socle sur lequel ce pays a été bâti qui soient aussi des visionnaires.
Cette trempe de dirigeants est rare à dénicher, mais à défaut, on peut au moins espérer qu’ils fassent preuve d’une mesure de rahamim – de compassion, tant envers les familles désespérées de retrouver leurs proches, qu’envers tout un pays endeuillé.
Espérons que la dernière tragédie en date et la pression du peuple fera basculer l’état d’esprit de ses gouvernants vers davantage de justice et de compassion,
Ken yhié ratzon,
Chabbat shalom !
[1] commentaire sur la torah trad. Eliahou Munk