J’ai eu la chance de rencontrer Robert Badinter à plusieurs reprises, parfois de loin – ors d’occasions officielles, et une fois de près. Il venait tous les ans pour la commémoration de la rafle de la rue Ste Catherine le 2e dimanche de février, là où son père avait été raflé, et où lui-même avait échappé de peu à un destin fatal.
Il était aussi présent à la commémoration organisée par les FFDJ (Fils et Filles des Déportés Juifs de France) et la Bnai Brith au lycée Ampère, son ancien lycée. Ce jour là, on apposait une plaque en souvenir des enfants juifs qui étaient passés par ce lycée et avaient été déportés…il avait eu des mots très forts parlant de sa visite à Auschwitz, en 1956, alors que personne n’y allait à l’époque, lui était parti sur les traces de son père, son oncle et sa grand-mère qui était décédée avant même d’arriver dans ce camp de la mort. Il a raconté dans cette cour de lycée – devant des lycéens comme lui pendant la guerre, leurs professeurs et quelques représentants de la communauté juive de Lyon – le désespoir qui l’avait saisi après cette visite qui s’était déroulée par une belle journée ensoleillée, jusqu’à ce que ses yeux tombent sur cette fleur qui poussait tant bien que mal entre deux pavés de pierre, sur ce sol qui avait absorbé tant de sang et de cendres, il avait eu cette phrase magnifique : j’ai compris là devant cette fleur que la vie est plus forte que la mort.
C’est lors d’une célébration privée que j’ai pu approcher et observer cet homme que j’admirais et qui me fascinait, comme tant de français. C’était la bar mitsva d’un de ses petits neveux, ça se passait à la CJL Quai Jean Moulin, il y a une quinzaine d’années, et Robert Badinter était assis au premier rang et prenait des notes pendant tout l’office…je me demandais s’il allait prendre la parole, mais en fait comme un étudiant, il observait cette vie juive rituelle, qui lui était un peut étrangère, car il avait été élevé de manière résolument athée. Je me souviens qu’il m’avait même posé quelques questions à la fin de l’office, surpris par les liens qu’il faisait entre ses convictions qui l’avaient habité sa vie durant et les échos qu’il en percevait pendant cette cérémonie.
Cet homme qui avait été élevé à bonne distance de tout cela, comprenait que toutes les valeurs humanistes et éthiques qu’il portait étaient résolument ancrées dans le judaïsme de ses ancêtres.
Depuis une semaine, sa disparition a été l’occasion de moult hommages et de prises de paroles publiques. Tous concordent à louer son engagement sans faille pour la justice, une justice qui n’est pas tranchante à la manière d’une guillotine, mais au contraire, qui laisse une place prépondérante à l’humain, à l’espoir que chaque être, quelle que soit sa faute, peut s’amender et devenir meilleur. Une justice empreinte d’une grande compassion, qui n’abuse jamais de ses prérogatives, ce pouvoir des juges, et qui ne transforme jamais le juge en bourreau.
Eduqué dans l’amour de la France et surtout de la philosophie des Lumières, il ne s’en est jamais départi et comme disait son confrère Richard Malka, il mouillait sa chemise à chaque plaidoirie et prise de parole pour défendre sa conception de la justice, quitte à y laisser sa santé.
D’aucuns se sont émus qu’il soit décédé un 9 février, jour où son père avait été raflé, 81 ans plus tôt. Il est aussi parti la veille du chabbat Michpatim, les lois ou jugements, lois qui ont été au centre de toute sa vie… était-ce une coïncidence ou un signe du ciel laissé à un grand Homme et à nous tous ? Cet homme sera bientôt panthéonisé comme il le mérite, aux cotés de Simone Veil et d’autres grands hommes et femmes, auxquels la patrie reste à jamais reconnaissante.
La paracha Michpatim laisse la place à Térouma cette semaine, ces deux sidrot accolées comme pour nous faire un clin d’œil aussi : d’un côté une liste de 53 lois qui forment un cadre légal pour le peuple hébreu, juxtaposée à la térouma, la contribution du peuple à la construction du Tabernacle, l’ancêtre du Temple que Salomon construira quelques siècles plus tard.
D’un coté, des lois éthiques, à la fois justes et sévères, où figure en bonne place le commandement concernant l’accueil de l’étranger et le traitement plein d’égards qui doit lui être réservé. De l’autre, l’exigence de générosité faite au peuple et la participation de chacun selon ses moyens à la construction d’un Temple portatif, coeur spirituel du peuple juif rassemblant en son sein les deux principaux attributs divins: le midat hadin l’attribut de jugement et le midat ha rahamim l’attribut de compassion.
Jugement et compassion, , côte à côte, comme le double plateau de la balance de la Justice qui ne laissaient pas en paix Robert Badinter, en constante recherche d’un juste équilibre et qui lui ont valu tant d’attaques parfois ad hominem, de la frange la plus conservatrice du pays. Il nous laisse cet héritage de très grande exigence.
Que la complexité, l’intelligence et la finesse de sa pensée nous guident longtemps en ces temps où il semble si aisé de céder à la bêtise d’un raisonnement binaire…
Que son souvenir soit une source de bénédiction pour son épouse Elizabeth, ses enfants et petits enfants et pour la famille Del Vecchio. Que son âme soit liée au faisceau des âmes des générations présentes et à venir !
Ken Yhié ratzon, Chabbat shalom !
Drasha Vayakhel – shabbat shekalim, 8 mars 2024, Journée des droits des femmes
de Daniela Touati
On 14 mars 2024
dans Commentaires de la semaine
Ce chabbat compte à plusieurs titres : il compte car c’est le shabbat où on se souvient du premier recensement et du paiement du demi-shekel par tête d’homme de plus de 20 ans. Il compte car nous sommes le 8 mars – Journée internationale des droits de femmes, et il compte car cela fait 5 mois et 1 jours que plus de 1200 israéliens : enfants, femmes et hommes ont été torturés et massacrés et 130 supplémentaires, morts ou vifs, restent captifs du Hamas.
A ce jour 9 enfants sont détenus à Gaza, combien d’entre eux sont encore vivants ? Seul Dieu le sait …Sur les 19 femmes otages, 5 ont été assassinées le 7 octobre mais les terroristes avaient emporté leurs corps ; on attend leurs dépouilles pour pouvoir leur offrir un dernier hommage et leur rendre leur dignité. Nous avons énuméré leurs noms tout à l’heure.
Et bien sûr, on n’oublie pas la centaine d’hommes, en grande majorité civils, également en captivité depuis 154 jours.
Face à ces horreurs, on a ressenti le besoin urgent d’agir, et de nombreux collectifs ont vu le jour, tous mobilisés pour alerter le public et pour que ces hommes, femmes et enfants otages ne tombent pas dans l’oubli. La plupart de ces collectifs ont la particularité d’avoir été initiés par des femmes juives. Je vais en énumérer quelques-uns car leur nombre, en France notamment est significatif et témoigne de ce moment particulier que nous vivons : Nous vivrons, Collectif 7 octobre, Bring them light, Guerrières pour la Paix.
La majorité de ces collectifs différents ont vu le jour pour défendre une même cause. Pourquoi pour la plupart d’entre eux ce sont des femmes qui sont à la tête de ces collectifs ? Est-ce l’empathie qui a été le premier moteur de ces mobilisations ? Est-ce d’avoir réalisé que ces actes barbares ont frappé en priorité des femmes ? Qu’il constitue, comme l’a qualifié l’association ‘Paroles de Femmes’ et sa présidente Sarah Cattan dès le mois de novembre ‘un féminicide masse’ ? Cela semblait évident…
Et pourtant il a fallu attendre 5 longs mois et un rapport de l’Onu paru ce lundi pour que cette organisation mondiale, censée défendre à égalité les droits humains de tous, dise dans un rapport très documenté : « il existe de bonnes raisons de croire que des violences sexuelles liées au conflit se sont produites en plusieurs endroits de la périphérie de Gaza, y compris sous la forme de viols et de viols en réunion, au cours des attaques du 7 octobre 2023 ».[1] et la je cite Libération qui a mis en Une le 6 mars dernier le titre « Le viol comme arme de guerre ».
La lutte féministe en France et dans le monde s’est morcelée autour de ce sujet, en particulier autour de la date du 25 novembre dernier, qui marque tous les ans la Journée Internationale de Lutte Contre les Violences faites aux Femmes. Les femmes Juives ont été laissées de côté, elles n’ont pas été invitées à la marche organisée à Paris et dans plusieurs villes de France. Les collectifs Osons le féminisme et Noustoutes n’ont pas voulu dénoncer ensemble les viols du Hamas. D’autres, comme la féministe Mona Chollet ont écrit dans Libération dès le 8 octobre « Vous êtes au courant qu’il y a des centaines de tués côté palestinien @Libé, des familles entières massacrées ? » quel aveuglement, quelle lutte sélective sous prétexte de convergence de lutte contre la violence coloniale et impérialiste (sic) ?
Tout cela a naturellement abouti à des manifestations séparées et du coté des féministes Juives à des panneaux sur lesquels on pouvait lire ‘#metoo sauf si vous êtes Juive’ ! tristesse et solitude…
En cette journée de Lutte pour les droits des femmes, il est important de le rappeler à nouveau : la lutte pour les droits des Femmes suppose – à minima – une véritable convergence des luttes pour la liberté et l’égalité de TOUTES les femmes. Toutes les femmes comptent et non pas certaines plus que d’autres. Celles qui souffrent sous le joug d’un patriarcat réactionnaire, de l’imposition de la charia, de mauvais traitements, d’homophobie et qui sont depuis 5 mois en première ligne de ce conflit, je veux parler des femmes gazaouies qui doivent être soutenues comme les femmes juives victimes de féminicide et de viol.
Depuis une semaine nous sommes consternés : les images de fourmis filmées par un drone de l’armée israélienne montrant des gazaouis se battant pour quelques grammes de nourriture est insoutenable. Les morts qui s’en sont suivies sont de la responsabilité de l’armée israélienne. Il est irresponsable de continuer à laisser mourir de faim des femmes et des enfants de l’autre coté de la frontière, quelle que soit l’objectif militaire poursuivi, personne au monde ne pourra le pardonner et nous ne pourrons pas nous le pardonner en tant que peuple Juif. Comme le dit l’adage talmudique « Kol Israël arevim zé bazé. » « Tout Israël est responsable l’un de l’autre ».
Pour que ces morts civiles, en majorité de femmes et d’enfants cessent, pour que ces femmes gazaouies et leurs enfants puissent continuer à vivre et ne pas survivre, il faut à présent relâcher les otages et les laisser rentrer à la maison, il faut que cette guerre cesse, que le Hamas soit démantelé avec l’aide de la communauté internationale. Les crimes commis par le Hamas et tous ceux qui le soutiennent méritent d’être punis par une Cour de Justice Internationale.
Chaque vie compte oui, chaque enfant, chaque femme et chaque homme compte, la vie est un cadeau que l’on a reçu et personne n’a le droit de piétiner une vie, ni d’estimer qu’elle n’est pas digne d’être vécue. L’empathie ne peut pas être sélective, nous le savons plus que tout autre peuple, alors mettons toute cette énergie de la compassion pour sauver des vies, toutes les vies. Comptons les uns sur les autres pour converger dans une lutte pour le respect de la dignité humaine, le droit à la liberté, à la sécurité et aussi à l’autodétermination.
Nos prières vont vers la multiplication sans limites des initiatives pour la paix, afin que cette terre puisse contenir deux peuples et qu’ils vivent côte à côte dans des frontières clairement définies, en paix et en sécurité. Comme le dit dans un livre récent destiné aux enfants Yuval Noah Harari, l’injustice et la guerre ont pour origine non pas une lutte pour un territoire ou pour de la nourriture mais un narratif exclusif de l’autre, auquel chaque partie s’accroche obstinément et tant que chacun s’arcboute sur son narratif, en fermant les écoutilles à celui de l’autre, auquel on dénie sa place, l’injustice et la guerre perdureront indéfiniment.
Ken yhié ratzon!
Chabbat shalom,
[1] https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/crimes-sexuels-du-7-octobre-en-israel-lonu-documente-lhorreur-20240305_BG6RY7OMGRCS5KPYVU5WB23JOY/