Rabbin Daniela Touati

Pirke Avot 5:16 : "Tout amour qui dépend de son objet, si l’objet disparaît, l’amour disparaît, Mais s’il ne dépend d’aucun objet, il ne cessera jamais."

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Drasha Roch Hachana 5784 – 15 septembre 2023

Certains épisodes de l’enfance laissent des traces indélébiles sur nos vies, qu’ils soient heureux ou plus sombres, ce sont comme des briques qui contribuent à nous construire ou au contraire à laisser des fissures douloureuses …L’épisode de la ligature d’Isaac que nous lisons tous les ans à Roch Hachana raconte une de ces brèches. Un récit initiatique auquel on ne peut rester indifférent.e, certains mots peuvent même nous donner des frissons, tant la puissance dramatique de la scène, dont on connait pourtant l’épilogue, nous émeut. Ce récit répété tous les ans parle d’un père âgé et de son fils, plus tout jeune, un enfant très désiré. Tous deux sont attachés l’un à l’autre, voire entremêlés sans possibilité de dénouer leurs destins.

Le nœud de ce récit semble être leur soumission à une volonté supérieure, Abraham à Dieu et Isaac à son père. Selon la tradition, on attribue le comportement d’Abraham à une foi aveugle qui est encensée par les sages.

Le récit pose la question de la responsabilité du père (et de nos jours des parents en général), du droit « illimité » du parent sur l’enfant, de l’obéissance et de la désobéissance, de la soumission et de l’application littérale de la loi religieuse, du sacrifice, au sens propre comme figuré et j’en passe. La première question qui se pose est toute simple et nous concerne tous qu’on soit parent ou enfant : que veut dire aimer son enfant ? et jusqu’où peut-on aller par amour ?

Meïr Shalev za’l, un grand romancier israélien qui nous a quittés en avril dernier a consacré trois livres à l’exégèse biblique. Issu d’une famille de haloutzim – premiers fondateurs de l’état d’Israël, originaires de Russie et vivant dans un moshav, il se déclarait athée et étudiait ces textes sous leur versant littéraire. Dans son livre « Commencements : Réflexions sur les premières intrigues de la Bible »[1], il s’intéressait aux premières fois dans la Bible : le premier amour, le premier rêve, les premiers pleurs, le premier rire etc. En ce qui concerne l’amour, il note que la première occurrence de la racine aleph heï bet ahav – ‘amour’ figure au chapitre 22 de la Genèse :

וַיֹּ֡אמֶר קַח־נָ֠א אֶת־בִּנְךָ֨ אֶת־יְחִֽידְךָ֤ אֲשֶׁר־אָהַ֙בְתָּ֙ אֶת־יִצְחָ֔ק 

Et Il lui dit : prends je te prie ton fils, ton fils unique que tu as aimé, Isaac.

Il ne s’agit pas d’un amour romantique, mais d’un amour filial. De plus, ce n’est pas Abraham qui fait une déclaration à son fils mais Dieu qui lui explique ce qu’il éprouve pour son fils. L’Eternel qui a donné un nom à chaque espèce et chaque chose, nomme aussi ce sentiment qui unit un père à son fils. On se serait attendu à ce qu’on parle d’amour à propos d’Adam et Eve, mais ce n’est pas le cas. Et de plus, la question de la réciprocité de cet amour entre d’Isaac envers son père, reste mystérieuse.

Cet amour est pour le moins singulier, puisque l’objet de l’amour – Isaac – peut être sacrifié donc détruit en un instant, sous prétexte d’un test divin, une sorte de jeu. Le prix à payer pour cet amour est exorbitant, mais il ne trouble pas le héros de notre histoire, qui ne remet pas la parole divine (ou ce qu’il croit entendre)en cause et ne négocie pas. Abraham est prêt à sacrifier son deuxième fils, comme il a quasi-sacrifié le premier : Ishmaël peu de temps auparavant. C’est Sarah qui avait demandé ce sacrifice-là à son mari et avait obtenu l’assentiment divin. Abraham n’a pas discuté là non plus, et a renvoyé sa servante Hagar, la mère et son fils ainé Ishmaël dans le désert. Un désert où à moins d’un miracle, ils étaient promis à une mort certaine…mais le miracle c’est-à-dire l’intervention divine s’est produite, et les a sauvés.

L’amour que porte Abraham à son fils Isaac est un amour à mort, un amour qui possède l’autre – ‘ka’h na’ ‘prends je te prie’ – ici son enfant jusqu’à l’annihiler.

La formulation même de la demande divine est insidieuse : ton fils unique – non Abraham en a deux – ton préféré – un midrash nous dit pourtant qu’il préférait Ishamël. Et ahav est au passé asher ahavta, celui que tu as aimé, comme s’il n’était déjà plus ? Et que devient alors la promesse divine réitérée à maintes reprises avant cet épisode, d’une descendance aussi nombreuse que les étoiles dans le ciel et les grains de sable ? Totalement contradictoire avec le sacrifice qui est demandé à Abraham. Pourquoi Abraham n’est pas plus à l’écoute de ces signaux d’alerte ? Lui qui est décrit comme parangon de sagesse, un modèle de hessed – d’amour fraternel, connecté jour et nuit au divin ?

Le midrash apporte-t-il une réponse à ces questions ? Dans un midrash célèbre on apprend que Tera’h le père d’Abraham vend des statuettes dans son échoppe et qu’Abraham en a assez et les brises toutes. Pour le punir, son père l’amène devant le roi Nimrod qui décide de jeter Abraham dans les flammes pour le tester.

 Au même moment, le frère d’Abraham, Nahor fait un vœu : si Abraham survit, il fera confiance à ’Abraham et cessera d’être idolâtre, mais s’il meurt, Nahor continuera à être polythéiste, comme le roi Nimrod. Abraham est sauvé miraculeusement et Nahor confirme son vœu. Nimrod, fou de rage jette Nahor dans le feu, devant son père et son frère, qui assistent à sa fin. C’est comme si Abraham répétait une histoire déjà vécu. Presque…puisqu’Isaac ne sera pas sacrifié, selon le récit biblique.

Cette histoire va transformer Isaac et l’amputer, en quelque sorte, d’une partie de lui-même.  Car comment un fils peut-il renouer avec son père après un tel épisode ? Plus aucune parole ne sera échangée entre eux et leurs routes se sépareront. Isaac vivra cependant dans l’ombre de son père, répétant les épisodes vécus par Abraham. Isaac aura vécu une vie écrasée par son père …Sa mère meurt peu après, et l’amour il le connaitra auprès de sa femme Rivkha, qui le consolera de la perte de sa mère.

Erri De Luca dans son livre ‘Grandeur Nature’ se place aussi à hauteur d’enfants devenus adultes, et raconte des histoires de résistance, voire de révolte envers les pères abusifs. Il s’inspire de la ligature d’Isaac pour parler de sa propre relation douloureuse avec son père. Lui a claqué la porte de sa maison paternelle, a rejoint les brigades rouges, fait de la prison, et construit une vie faite d’engagement, de choix radicaux et de recherche de liberté. D’autres récits ponctuent son livre. Tous sont des fils et des filles qui se révoltent, et rompent le fil qui les lient à leur patriarche.

Abraham et Isaac n’ont pas su et pas pu nouer une relation harmonieuse, l’amour n’a pas protégé Isaac. Ils sont restés des étrangers l’un pour l’autre, préférant se taire, se soumettre et obéir à une loi absolue. Cette histoire répétée à chaque Roch Hachana, nous rappelle que d’autres voies sont possibles… Une génération s’en va et une autre arrive, nouer un lien affectif de qualité avec sa descendance est un réel défi auquel chacun et chacune doit s’atteler, car ce lien-là est la fondation qui, de proche en proche, tisse celui d’une société toute entière ! Chana tova oumetouka ! et chabbat shalom.


[1] https://www.amazon.fr/Beginnings-Reflections-Bibles-Intriguing-Firsts/dp/0307717186

Drasha Ki Tavo, KEREN OR 1 Septembre 2023

Une polémique bien de chez nous entache cette rentrée scolaire : fallait-il ou non interdire le port d’un vêtement à connotation religieuse à l’école ? cette règle énoncée par le nouveau ministre Gabriel Attal à la veille de la rentrée aux enseignants n’est pas une loi, mais une directive, car une loi dans ce domaine serait anticonstitutionnelle, car elle s’opposerait à la liberté de chacun de s’habiller comme il ou elle le souhaite.

Et pourtant, la loi du 15 mars 2004 énonce clairement : « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit.« 

A gauche du spectre politique, on s’oppose clairement à cette nouvelle directive et on menace de déposer des recours, à droite on applaudit des deux mains. Et voilà une nouvelle ligne de démarcation, où deux camps s’affrontent sous nos yeux.

Malheureusement, quelle que soit la décision, directive ou absence de directive énoncée, on est piégé par ceux et celles qui cherchent à montrer de manière ostensible, sinon provocatrice, son appartenance à un groupe religieux pour faire bouger les lignes de la République.

Il est de plus en plus évident que des brèches, voire des abîmes existent entre ceux et celles qui se réclament de la laïcité et de son socle républicain d’un côté, et de l’autre, ceux qui, pour différentes raisons s’en sont détournés, voire qui cherchent à remettre en question ce pacte.

Faire partie de la République semble évident aux français juifs de tradition libérale que nous sommes, dont les ancêtres ont été si avides de s’intégrer, d’être adoubés par la République et d’y prendre une part pleine et entière. Depuis plusieurs générations, avec la dramatique exception des années noires de la 2è guerre mondiale, nous le vivions et le vivons encore comme une protection, la capacité de vivre son judaïsme en toute liberté et sérénité dans la sphère privée, tout en participant à la vie de la cité. Et c’est ce contrat là qui est malmené par des groupes malveillants, qui manipulent ses failles.

Pourtant, le judaïsme comme l’islam sont des religions encadrées par des règles très méticuleuses qui accompagnent le fidèle de son lever à son coucher et tout au long de sa vie. Règles qui peuvent, pour certaines être en porte à faux par rapport celles qui régissent le pays dans lequel ils vivent. Ainsi, lorsque Napoléon a posé douze questions au Grand Sanhédrin réuni en 1806 et 1807, les notables et rabbins juifs ont débattu et décidé qu’il fallait que la loi juive puisse s’harmoniser à celle de la République en appliquant le précepte talmudique ‘dina demalkhouta dina’ la loi du pays (ou du roi à l’époque) est la loi.

La religion juive est une alliance entre un peuple et son Créateur. Dans les derniers chapitres du Deutéronome que nous lisons à quelques semaines des fêtes de Tichri, Moïse rappelle les lois qui régissent cette alliance et notamment les conséquences tragiques de leur non-observance.

Une mise en scène dramatique précède cette énumération de bénédictions et malédictions. Les règles de la Torah devront être gravées sur de la pierre enduite de chaux qui sera érigée sur le mont Ebal pour être visible de tous.

Imaginez la scène décrite dans notre paracha : d’un coté, 6 tribus proclament les bénédictions sur le Mont Guérizim et de l’autre, 6 leur font face en déclamant les malédictions sur le Mont Ebal. Le rabbin Sacks z’’l rappelle que le peuple hébreu, puis juif, faute de territoire pendant les deux millénaires précédant la création de l’état d’Israël, n’avait que les mots de a Torah pour rester unifié et perdurer. Le dernier long discours de Moïse dans la Torah joue ce rôle et nous lie par une brit, une alliance à durée indéterminée.

Le contrat d’alliance dans notre paracha commence par l’énoncé des malédictions individuelles qui frapperont chaque hébreu qui contreviendrait à douze lois fondamentales, parmi lesquelles l’idolâtrie, le non-respect des parents, le non-respect des droits de l’étranger, de la veuve et de l’orphelin etc. Chaque malédiction est amorcée par l’impératif ‘arour’ ‘maudit [soit] celui’…la sonorité rr frappe nos oreilles et une crainte nous étreint en les prononçant. Chaque arour est ponctué par un amen. Qui indique à la fois notre consentement à ces malédictions prononcées, notre fidélité et l’acceptation des conséquences de notre désobéissance.

Il est intéressant de noter que seules les malédictions sont énoncées dans la paracha, peut-être par souci de concision comme l’analyse le Rabbin Steinsaltz ? 

Une deuxième série de malédictions, collectives cette fois sont énoncées au chapitre 28 du Deutéronome. Calamités, plaies, sécheresse sont les châtiments menaçant tout le peuple qui finirait en exil à cause de son insubordination.

Lorsque les malédictions sont lues en public, dans la synagogue, il est de tradition de les lire à voix basse, par crainte qu’elles ne se réalisent. Ces textes difficiles ont été pendant longtemps « censurés » dans les synagogues libérales. D’une part, parce que le judaïsme libéral a pris ses distances avec la théologie de justice rétributive et d’autre part, à cause du caractère collectif de la punition. Ce n’est plus le cas de nos jours, où on préfère les maintenir dans le cycle de lecture triennal en prenant la précaution de les commenter.

La solennité de leur lecture cependant nous rappelle, comme le dit le rabbin Heschel notre engagement envers Dieu et nous-mêmes, nous sommes pleinement garants de nos actes et de leurs conséquences sur le cours du monde.

La Torah détermine le cadre éthique au sein duquel nous pouvons agir, sans cela c’est le retour au chaos. A l’école, un contrat doit définir aussi les termes de cette liberté. Il est nécessaire de les protéger des dérives identitaires qui grignotent sur les termes du contrat et bafouent la liberté de chacun, l’égalité et la fraternité, et inverser cette équation n’est qu’une énième manipulation politique.

Ken yhié ratzon, chabbat shalom !

Drasha Balak – BM Samuel Hosansky KEREN OR 30 juin 2023

Toi tu es un youpin hein ? me dit le blond camelot aux fines moustaches que j’étais allé écouter avec foi et tendresse à la sortie du lycée, tu es un sale youpin hein ? Je vois ça à ta gueule, tu ne manges pas de cochon hein ? vu que les cochons se mangent pas entre eux, tu es avare hein ? je vois ça à ta gueule , tu bouffes les louis d’or, hein ? tu aimes mieux ça que les bonbons, hein ? Tu es encore un français à la manque hein ? Je vois ça à ta gueule, tu es un sale juif, hein ? un sale juif ! Ton père est de la finance internationale hein ? Tu viens manger le pain des français, hein ? Messieurs dames je vous présente un copain à Dreyfus, un petit youtre pur-sang, garanti de la confrérie [..]eh ben nous on aime pas les juifs par ici, c’est une sale race, c’est tous des espions vendus à l’Allemagne, […] des sangsues du pauvre monde ça roule sur l’or et ça fume de gros cigares, pendant que nous on se met la ceinture, pas vrai messieurs dames ? Tu peux filer, on t’a assez vu, tu es pas chez toi ici, c’est pas ton pays ici, tu as rien à faire chez nous, débarrasse voir un peu le plancher, va un peu voir à Jérusalem si j’y suis…

Certains auront reconnu cet extrait du livre d’Albert Cohen ‘O vous frères humains’, un livre poignant, dans lequel il relate un souvenir d’enfance. Il avait à peine 10 ans, quand, sortant du lycée par une belle journée estivale, il tombe sur un camelot et s’enthousiasme pour sa gouaille et sa capacité à charmer les passants, au moment où, séduit par des bâtons anti tâches vendus par le marchand ambulant, il s’apprête à sortir ses quelques francs pour acheter le petit trésor, il se fait rabrouer méchamment par le dit camelot, le transformant lui le jeune homme aux boucles brunes en tâche qui nécessite d’être effacée de la surface de la terre.

Ce souvenir cuisant le marquera à jamais au fer rouge, et le reste du livre est consacré à son errance après cette gifle reçue en public, gratuitement, et cette honte ressentie malgré lui qu’il doit ravaler. Il en gardera pour toujours une méfiance envers une humanité fourbe capable du meilleur mais aussi du pire. Cela se passe en 1905 à Paris, à quelques mois de la réhabilitation de Dreyfus et cela n’a pas pris une ride…malheureusement !

Des mots maudits que l’on traine derrière soi, qui nous salissent et imprègnent notre être tout entier, en changeant notre vision du monde. Que ceux qui ont la chance d’y avoir échappé, lèvent le doigt.

C’est exactement de cela que parle la paracha Balak, sous couvert d’humour et de conte pour enfants, où une ânesse comprend mieux la parole divine que son maître supposé prophète – le fameux Bil’am. Bil’am, autour duquel s’attroupent les officiels du roi de Moab, Balak, officiels qui lui font des ronds de jambes et auquel le royaume offre moult récompenses… pourquoi donc ? pour maudire le peuple hébreu…avant de lui déclarer la guerre !

Car ce méchant roi de Moab craint ce peuple qui campe face à lui, il le perçoit comme une menace, celle d’un envahisseur, car, dit-il, ce peuple couvre déjà la surface de la terre …diantre ! Cela ne vous rappelle rien ? déjà du temps de Pharaon c’était la même litanie : le peuple hébreu avait pullulé et il remplissait toute l’Egypte…et Pharaon n’était pas passé par quatre chemins et avait décidé de tuer tous les premiers nés mâles hébreu, puis les mâles tout court.

Dans notre paracha, l’idée de Balak est plus subtile, il craint les hébreux et leur Dieu, il a vu ce qui s’était passé pour les Amoréens et souhaite se prémunir d’une cuisante défaite militaire en les faisant maudire par un spécialiste : le magicien Bil’am. Et cette affaire est prise très au sérieux par le Très Haut qui interdit à Bil’am de partir et accomplir sa mission à 3 reprises jusqu’à le laisser aller, mais sous la condition qu’il ne puisse proférer que les mots que Dieu lui-même mettra dans sa bouche. Ainsi la prophétie contenue dans son nom se réalisera, Bil’am, littéralement celui qui les avale, ravale son discours haineux et prononce à la place un discours de paix et d’harmonie. Des bénédictions si belles qu’elles seront intégrées dans la liturgie juive à l’office du matin : ma tovou ohaleikha Yaakov michkenoteikha Israel – qu’elles sont belles tes tentes Jacob, tes demeures Israël !

Quel fantasme typiquement hébreu, puis juif, que celui de retourner un ennemi, tant et si bien qu’il en viendra à nous bénir ! Quelle belle confiance en l’humanité que celle portée par le peuple juif tout entier, qu’à la fin des fins, les choses finiront bien par s’arranger et le pire se transformera en meilleur…

En écrivant son livre, Albert Cohen lui aussi espérait avec un bel optimisme : ‘changer les haïsseurs de juifs, arracher les canines de leur âme’ !

En cette période particulièrement violente, voire meurtrière, se replonger dans la paracha Balak est rafraîchissant, cela permet de rappeler encore et encore que la parole a le pouvoir de vie et de mort sur chacun, ainsi qu’il est dit dans le livre des Proverbes :

מָ֣וֶת וְ֭חַיִּים בְּיַד־לָשׁ֑וֹן וְ֝אֹהֲבֶ֗יהָ יֹאכַ֥ל פִּרְיָֽהּ

‘La mort et la vie sont au pouvoir de la langue ; Ceux qui l’aiment en mangeront le fruit.’[1]

En ce chabbat de festivités, où je suis si heureuse d’accompagner Samuel vers sa majorité religieuse, et où les bénédictions pleuvront sur Samuel et sa famille, gardons en mémoire que les paroles bienveillantes précèdent les actes bienveillants et vice versa.

Et finissons avec les magnifiques paroles de ce grand écrivain dont toute la France peut être très fiere :

O vous frères humains, connaissez la joie de ne pas haïr !

Mazal tov à toi Samuel et à tous ceux qui sont venus t’entourer de leur amour, puisses tu continuer à grandir dans la paix et l’harmonie !

Ken yhie ratzon,

Chabbat shalom !


[1] Proverbes 18 :21

Hesped maman – 17 mai 2023

Celly, Sharna, Cerna, Céline, autant de prénoms et de petits noms qui correspondent aux étapes d’une vie et aux facettes nombreuses de la femme, maman et mamie qu’a été ma maman,

Son prénom Cerna, elle le tenait de sa grand-mère paternelle, décédée à 53 ans, en 1935 l’année de sa naissance.  Son grand-père, David s’est remarié avec Betty Segall, qui est devenue sa grand-mère de cœur. Un mur de tendresse entourait ma mère dans son enfance. Ce mur s’est transformé en mur de protection, contre la haine gratuite et féroce qui s’est répandu sur le monde pendant les 6 années noires de la deuxième guerre mondiale. Cette haine qui avait déjà frappé sa famille en Ukraine quelques 50 ans auparavant…elle était juste un peu endormie.

A 6 ans à peine, elle a connu la fuite, l’angoisse et le déplacement forcé. Avec sa famille élargie, elle a vécu dans des conditions déplorables et insupportables, d’abord dans un camp pour déplacés pendant un an, puis la déportation dans un camp de concentration à ciel ouvert, la Transnistrie.

L’ennemi était multiforme, portait uniforme noir et casquette bien ajustée, avait une allure respectable, suivait les ordres et les faisait respecter scrupuleusement. L’ennemi était d’abord roumain, puis ukrainien – dans ce cas sans uniforme – et bien sûr allemand. Mais le mur de protection la gardait à distance, ses besoins vitaux essentiels étaient assurés, c’est-à-dire le minimum : un peu de pain, une pomme de terre et de l’eau ; les grands jours : un morceau de sucre. Son père Benish z’l était très débrouillard, un super commerçant et sa mère une femme de tête qui indiquait la direction à suivre.

La première direction était celle des études, celui qu’elle-même avait dû interrompre, mais il n’était pas question que sa fille unique, ma maman, ne puisse pas aller au bout de ses capacités, qui se sont révélées très grandes. Son frère ainé était son meilleur ami, c’est auprès de lui qu’elle a appris les rudiments de l’alphabet, la lecture, et le calcul. Si bien qu’après-guerre elle a pu rentrer à l’école primaire presque sans retard. Mais ce n’était pas suffisant, il fallait être première partout et tout le temps. Ce virus, si on peut dire elle me l’a bien transmis aussi !

Pendant ses études elle tourne la tête aux étudiants, elle aime particulièrement les soirées dansantes, les copines – nombreuses et rapidement elle fait chavirer le cœur d’un jeune homme très discret, très solitaire, mon papa. Ils se marient très jeunes à 23 et 22 ans mais je ne naitrai que 8 ans plus tard. Ils rêvaient de liberté et d’Israël…et à force d’attendre, ils se sont résolus à ce que je naisse là-bas, dans ce pays communiste, dur et antisémite.

En 1973, après pas mal de péripéties, le graal est arrivé, c’est-à-dire les papiers d’autorisation de sortie du territoire, en renonçant à tout, ou plutôt à pas grand-chose si ce n’est leur nationalité roumaine qui leur a été reprise…mais la guerre de Kippour a mis à l’épreuve de nouveau leur patience. Arrivés en Israël pendant le cessez le feu, le choc a été immense, ils sont passés de l’obscurité à la lumière, du verglas au grand soleil resplendissant même en novembre et aussi de la dictature à une démocratie. On a aussi retrouvé le peu de famille qui était déjà sur place, à Haïfa du coté de mon papa et à Tel Aviv et aux alentours pour ma maman. Que de déjeuners et diners d’accueil succulents et pleins de rires et tendresse !

Leur cercle intime d’amis roumains Rodica et Marius, Marlena et Sigi, Rozica et Albert, Tinela et Miron, a pour la plupart suivi (ou précédé) ce mouvement, ce qui fait que le cordon sanitaire amical était reconstitué. On s’est transplanté avec succès dans cette terre si longuement promise. Jusqu’à l’arrivée de mes grands – parents : Benich et Roza et la perte 3 semaines plus tard de ma grand-mère maternelle…un énorme coup dans le ventre…

La terre promise ne l’est pas restée longtemps : l’ambiance après la guerre de Kippour était un peu tristouille les attentats quasi quotidiens et le climat de tension et de crise économique les a fait déchanter. 3 ans plus tard, mon père partait en éclaireur et se retrouvait détourné de la trajectoire américaine initiale pour atterrir en région parisienne, auprès de mon oncle Manolé et ma tante Michou. Une fois qu’il a eu un travail, il nous a fait venir toutes les deux, ma mère pensait que Paris serait cette nouvelle terre promise comme son frère le lui avait dit. Elle a déchanté, devant les difficultés à trouver un travail, là aussi en 1977, le chômage avait atteint le chiffre vertigineux du million de personnes. Devenue Céline après naturalisation, elle s’est contentée d’un rôle de technicienne de laboratoire, pour reprendre pied en entreprise, sans bien connaitre ni la langue ni les codes. Mais rapidement elle a grimpé les échelons et a été très appréciée par collègues et direction.

Coquette, très vive d’esprit, une sorte de Huggy les bons tuyaux pour nous tous, quand on ne savait pas, Celly savait…et n’avait pas besoin des réseaux pour cela ! Et puis elle recevait, des diners amicaux et familiaux il fallait mettre les petits plats dans les grands, manie qu’elle m’a aussi transmise. Ses petits-enfants chéris, Romane et Ivan adoraient sa cuisine bien sûr. Hervé aussi d’ailleurs, son unique fils. Mais surtout, ils venaient se réchauffer à son contact si affectueux. Comme moi, des années auparavant qui m’asseyais à la cuisine pendant des heures, en lui racontant mes péripéties qui me semblaient si essentielles. Depuis Lyon aussi je l’appelais, pas tous les jours mais aussi souvent que possible pour lui dire, lui raconter, presque tout. Elle était devenue mon cordon sanitaire, mon mur des lamentations, où je partageais le plus possible, mes joies et mes bonheurs pour à mon tour lui réchauffer le cœur.

Naïve que j’étais, je pensais que cela allait durer encore de très nombreuses années, …et puis elle m’a été arrachée à moi comme à nous tous, comme une rose, mon amie la rose

On est bien peu de chose, Et mon amie la rose, Me l’a dit ce matin, À l’aurore je suis née
Baptisée de rosée, Je me suis épanouie, Heureuse et amoureuse, Aux rayons du soleil
Me suis fermée la nuit, Me suis réveillée vieille, Pourtant j’étais très belle, Oui, j’étais la plus belle, Des fleurs de ton jardin…[1]

Celly, Sharna, Cerna, Céline maman, mamie il est temps de te dire au revoir, cela m’arrache le cœur mais c’est ainsi, eshet haïl femme de combats si nombreux et douloureux tu mérites le repos et d’aller en ligne droite auprès de notre Créateur, puisse ton souvenir continuer à nous tenir chaud et être promesse de bénédictions.


[1] https://www.youtube.com/watch?v=2ICFtXx546A

Drasha Vayikra – quand le pouvoir faute – KEREN OR 24 mars 2023

Une étude intéressante est passée à peu près inaperçue cette semaine : le classement des pays où il fait bon vivre, sortie le 20 mars, à l’occasion de la journée internationale du bonheur. Et vous ne devinerez jamais : Israël est arrivé à la 4è place cette année, un saut de 5 places depuis l’an dernier, par comparaison la France n’arrive qu’à la 21è place…Qui l’eut cru, alors que le pays vit en guerre depuis 75 ans, se heurte à des défis colossaux à la fois pour intégrer de nouveaux olim de des quatre coins de la terre, et aussi à ce qu’on appelle ‘le vivre ensemble’ de toutes ces catégories de populations et religions.

Sans oublier que depuis près de 3 mois, le pays vit dans un grand balagan faisant suite à une mobilisation quotidienne contre la confiscation du système judiciaire en cours. Et de nombreux israéliens (ses cerveaux) songent sérieusement à quitter la ‘terre promise’ avant ce qu’ils prédisent comme le clap de fin de la démocratie israélienne.

Une autre caractéristique, pas très glorieuse de ce pays de cocagne est son record de responsables politiques, tous bords confondus, qui sont passés par la case procès et prison : c’est le cas de l’ancien président Katsav tombé en 2010 pour viol et obstruction à la justice, le premier ministre Ehud Olmert qui a été inculpé pour abus de confiance en 2012 et corruption en 2015. On n’oublie pas le ‘rav’Aryé Dehry ancien ministre de l’intérieur élu et réélu en dépit de ses mises en examens et condamnations, dont la dernière date de 2022. Ce qui n’a nullement empêché le premier ministre Benyamin Netanyahou de lui proposer un ministère de nouveau (la Cour Suprême l’en a empêché…). Benyamin Netanyahou lui-même mis en examen depuis 2018 pour corruption, fraude et abus de confiance, dans 4 différentes affaires.

A ce sombre tableau ne manquent que les derniers élus d’extrême droite qui occupent chacun un ministère et non des moindres : Itamar Ben Gvir chef du parti Otzma Yehoudit – la force juive (tout un programme), parti supporter jusqu’à ce jour, du terroriste Meir Kahane, exclu de la Knesset dans les années 1980. Ben Gvir qui a été nommé en fin d’année ministre de la Sécurité nationale. Et son acolyte Bezalel Smotrich, chef du parti sioniste religieux, ouvertement raciste et anti LGBT, nommé comme ministre des Finances.

Il n’est pas étonnant que de nombreux collègues israéliens et américains des mouvements moderne orthodoxe, massorti et libéral vivent cette actualité comme un cauchemar, comme l’avènement d’une ère sombre, très sombre pour le pays.

Comme un écho très lointain à ces fautes financières et morales commises au plus haut niveau de l’état et qui vont à l’encontre de toutes les valeurs du judaïsme et de l’humanité en général, nous parviennent les versets de la paracha du nouveau livre que nous commençons cette semaine : Vaykra. Au chapitre quatre, au milieu de toutes les règles et types de sacrifices à apporter au tabernacle, figurent 4 catégories de personnes ou groupes de personnes. Lorsque le Cohen ou le dirigeant politique transgresse, et lorsque la communauté (induite en erreur par le Beit Din), ou encore, un simple individu commet une faute appelée hatat et commise par inadvertance selon la Torah… que faut-il faire ?

Dans l’Antiquité on expiait ses fautes en apportant des offrandes, des sacrifices de bêtes plus ou moins grosses selon son niveau social et la gravité de la faute commise. Ces sacrifices avaient pour objectif de rétablir un fragile équilibre entre l’humain et le divin, de réparer et rapprocher les contrevenants de leur Créateur.

Depuis la destruction du deuxième Temple, et le remplacement des sacrifices par des prières, cette absolution des fautes se passe essentiellement à Kippour.

A Kippour, nous chantons une longue litanie, une prière qui s’appelle Al Het et qui énumère toutes les catégories de fautes :

Al het chéhatanou lefaneikha b’ones ou v’ratzon pour la faute que nous avons commise envers Toi sous la contrainte ou de plain gré, veal het chéhatanou lefaneikha bezadon ouvichgaga : volontairement ou involontairement…

Parmi elles figurent comme vous le voyez le Het bichgaga la faute par inadvertance commise envers autrui et envers Dieu pour lequel nous demandons à être pardonné.

Cette catégorie, a priori plus légère est probablement la plus difficile à cerner. Elle demande tout d’abord une minutieuse introspection et la capacité à s’auto-évaluer, à faire un examen de conscience et ensuite à faire acte de repentance.

Dans la paracha Vayikra, la Torah reconnait le fait qu’un dirigeant a une plus grande propension à fauter. Pour toutes les autres catégories, le texte utilise le mot introductif ‘im’ si, mais pour le dirigeant il utilise ‘Asher’ qu’on peut traduire par ‘quand,’ ou ‘lorsque’. Nos Sages ont tout de suite noté cette différence de vocabulaire et l’ont expliquée. Ainsi le rabbin Sforno[1] nous dit : « Lorsque le roi ou le chef politique faute, il n’y a pas de conditionnel Im– si, c’est-à-dire que la Torah considère qu’il est presqu’acquis que le chef politique se rendra coupable d’une transgression, au moins par inadvertance. » Tout cela n’est qu’une question de temps…On peut cependant douter du caractère involontaire de la faute, d’autant plus pour un dirigeant qui, comme tout citoyen, n’est pas censé ignorer la loi civile comme la loi morale.

Le rabbin Ben Zakkai, dans le traité Horayot utilise un jeu de mots remplaçant Asher par Ashréi : réjouis toi, voici la citation de Ben Zakkai :

« Heureuse [ashrei] est la génération dont le dirigeant ressent le besoin d’apporter une offrande pour sa transgression involontaire. Si le chef de la génération apporte une offrande, vous devez dire à plus forte raison ce qu’un homme du peuple fera pour expier sa faute, c’est-à-dire qu’il apportera certainement une offrande. Et si le dirigeant apporte une offrande pour sa transgression involontaire, vous devez dire à plus forte raison ce qu’il fera pour expier sa transgression intentionnelle, c’est-à-dire qu’il se repentira certainement. »

Car la majorité des dirigeants, non seulement commettent des fautes, mais de plus a tendance à la nier, par arrogance…Alors lorsqu’il ou elle la reconnaît: réjouis toi !

Prions pour que les dirigeants en Israël comme ici aient cette humilité de reconnaitre leurs erreurs, de se repentir et alors certainement, le peuple n’en sera que plus heureux. Et, si cela arrive en Israël, plus rien n’empêchera de briguer la première place du classement des pays où on est le plus heureux au monde !

Ken Yhié ratson,

Chabbat shalom !


[1] Sforno 1475-1550 Italie, commentaire sur Lév. 4 :22

Hesped Maurice Elmalek (6 mai 1934 -9 mars 2023)

Le temps s’est arrêté hier tard dans la nuit. Il s’est arrêté pour Maurice, mais aussi pour Danny, pour Catherine et Frédéric, pour Benjamin, Hannah, Jonathan et Léa. Par vagues successives la nouvelle nous a tous atteints, celles et ceux qui l’ont connu et aimé à la CJL, UJL, KEREN OR, lorsqu’il était simple membre puis trésorier. Celles et ceux qui l’ont cotoyé au Bnai Brith où il a présidé la loge Guggenheim. Tous ceux et celles qui se sont laisser toucher par Maurice et ont écouté cet homme empreint de charisme et d’énergie.

La frénésie d’une vie menée tambour battant s’est arrêtée, même si ces dernières années à cause de sa maladie, cette vie s’était limitée à la maison, sa maison qu’il aimait tant et surtout à ceux et celles qu’il aimait encore plus : en premier lieu sa femme Danny, ses enfants Catherine et Frederic, ses 4 petits enfants Jonathan et Léa, Benjamin et Hannah, et ses 7 arrière-petits-enfants : Suzanne, Rosalie, Noé, Albertine, Philomène, Raily et Jammi. Une descendance dont Maurice et Danny pouvaient être fiers !

La vie de Maurice commence il y a 88 ans sur les genoux de son père, et dans la synagogue de la rue Montesquieu. Il y passait beaucoup de temps, car son père Elia z’’l en était le shamash. Malheureusement, ce père qui l’a tant inspiré ne verra pas son fils Maurice -Moshé faire sa Bar mitsva. A 13 ans, Maurice était déjà orphelin, son père ayant été victime d’une fusillade en pleine rue à Lyon. Leur mère veut protéger ses enfants et part à la campagne à Yzeron. Cette période de la guerre marquera sa vie ainsi que celle de sa fratrie dont il est le troisième dans l’ordre : Juliette, Becky, Maurice, Marinette et Jacky.

Lorsqu’il rencontre sa femme Danny à un concert de Jacques Brel, c’est le coup de foudre et pourtant, leur histoire a failli s’arrêter net car Maurice arrive en retard au rendez-vous et Danny était sur le point de partir…Plus de cinquante ans de vie commune témoignent d’un grand attachement et tout simplement d’un grand amour. Qui mieux que Danny pouvait prendre soin de tous les besoins même non-exprimés d’un mari si cruellement touché par cette maladie dégénérative qui faisait flancher sa mémoire ?

Dire que Maurice aimait la vie en communauté est un euphémisme. Il a d’abord fait partie des EI, son engagement auprès d’organisations sionistes, puis au Bnai Brith où il est devenu président de loge, car il ne s’engageait pas à moitié. Et enfin au sein de la communauté libérale de Lyon, dont il a été un des parnassim : un des membres dirigeants qui veillait avec beaucoup d’attention sur les finances et la pérennité en général.

Une vie qu’il a construite entouré d’amis et de personnes partageant les mêmes convictions et parfois utopies.

Sa vie professionnelle de Responsable des achats chez un grossiste en bonneterie et linge de maison accaparait beaucoup de son temps, mais son esprit était occupé et préoccupé par son engagement associatif et la vie communautaire au sens noble du terme !

Maurice entretenait aussi des violons d’Ingres, dont il aurait pu faire son métier comme le cinéma et le chant. Il avait une grande ouverture sur le monde, une curiosité où la rigueur des chiffres, qu’on lui a bien connue à la communauté libérale, ne l’empêchait pas de rêver et d’être parfois très sentimental…

A Keren Or, nous perdons un ami, un ami que j’aimais particulièrement, même lorsqu’il me et nous poussait avec insistance à être plus ambitieux, et plus professionnels. Ce n’était pas toujours facile d’entendre ses critiques, parfois ses coups de colère, mais je le savais à l’époque comme je le sais maintenant : c’était toujours fait ‘leshem shamaim’ au nom du Ciel comme on dit, ou pour le bien commun et jamais par intérêt personnel.

Moshé, notre guide, notre patriarche, le troisième que j’accompagne au bout du chemin, tu laisses un trou béant et une place qu’il sera très difficile de combler. Tu laisses aussi énormément de souvenirs, de moments partagés : tristes et joyeux, et surtout tu laisses un héritage à ta famille, comme à chacun et chacune ici présent, qui viennent cet après-midi se réchauffer, encore un peu à l’évocation du mensch que tu as été.

Tov shem mishemen tov nous dit l’Ecclésiaste, la bonne réputation est plus importante qu’une bonne huile. Puisse cette excellente réputation inspirer et guider encore très longtemps les pas de ta chère épouse, de tes enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants, de tes sœurs et ton frère et de tous ceux qui t’ont aimés.

Drasha Ki Tissa – de la colère, 11 mars 2023

Nous lisons de nouveau demain cette paracha centrale de la Torah, l’épisode dit du veau d’or, acmée de la faute du peuple hébreu pour laquelle on demande pardon jusqu’à nos jours à chaque Yom Kippour. C’est d’ailleurs deux versets de notre paracha qui servent d’introduction à la demande de pardon de la liturgie des selihot de Kippour :

(ו) וַיַּעֲבֹ֨ר יְהֹוָ֥ה ׀ עַל־פָּנָיו֮ וַיִּקְרָא֒ יְהֹוָ֣ה ׀ יְהֹוָ֔ה אֵ֥ל רַח֖וּם וְחַנּ֑וּן אֶ֥רֶךְ אַפַּ֖יִם וְרַב־חֶ֥סֶד וֶאֱמֶֽת׃ (ז) נֹצֵ֥ר חֶ֙סֶד֙ לָאֲלָפִ֔ים נֹשֵׂ֥א עָוֺ֛ן וָפֶ֖שַׁע וְחַטָּאָ֑ה וְנַקֵּה֙ לֹ֣א יְנַקֶּ֔ה פֹּקֵ֣ד ׀ עֲוֺ֣ן אָב֗וֹת עַל־בָּנִים֙ וְעַל־בְּנֵ֣י בָנִ֔ים עַל־שִׁלֵּשִׁ֖ים וְעַל־רִבֵּעִֽים׃

(6)  Et l’Eternel est passé sur son visage et il a appelé Adonaï Adonaï dieu par tes tendresses et ta pitié lent à la colère et grand en bonté et vérité. (7) Il conserve une bonté pour ceux qui viennent en millième, il porte une faute  et un crime et un égarement. Et innocenter il ne va pas innocenter, il venge la faute des pères sur les fils et sur les fils des fils, sur ceux qui viennent en troisième et sur ceux qui viennent en quatrième génération.

Ces versets ont été repris tels quels dans les Selihot, à une nuance près, mais de taille…la liturgie nous dit, contrairement au verset de la Torah, que l’Eternel va pardonner et innocenter son peuple. Une sorte de pied de nez des rabbins pour nous rassurer. Et en même temps, pour plus de sécurité, on continue à demander pardon de génération en génération, en se rappelant que le Dieu de la Torah est souvent décrit comme irascible.

C’est le cas dans Ki Tissa, lorsqu’Il voit son peuple se déchaîner et se prosterner devant un veau d’or. L’Eternel prévient Moïse qui est auprès de lui en train de préparer les tables de la loi. Aussitôt YHWH fait le vœu d’anéantir son peuple. En bon leader Moïse intercède et réussit à le calmer. Mais lorsqu’il voit la débauche de son peuple, Moïse lui-même se laisse aller à la colère contre les hébreux et fracasse les deux tables en bas de la montagne.

Eguel le mot hébreu pour veau vient de la même racine que maagal le cercle dans lequel le Eguel nous enferme, une forme de répétition destructrice et morbide. L’épisode du veau d’or représente le paroxysme de la colère du peuple aussi, où pour trouver une échappatoire à son angoisse, on fabrique un masque et on se crée un dieu.  L’idolâtrie est au-delà du geste de la prosternation devant des statues, cet enfermement dans un tohu bohu intérieur et cette répétition obsessionnelle : on tourne en rond. Maimonide ne s’y est pas trompé quand il a qualifié celui qui perd le contrôle et s’enferme dans la colère d’idolâtre[1].

Et pourtant, nos sages nous mettent régulièrement en garde contre cette émotion incontrôlable. D’ailleurs, il y a plusieurs termes en hébreu pour exprimer nos exaspérations, avec des nuances qui vont de la frustration, à la colère contenue voire à la rage avec des termes comme kaas, ragaz ou katzaf.

C’est l’expression hara af – la colère brûlante qui sort du nez, comme la moutarde qui est répétée ici pour exprimer le ressenti de Moise et de Dieu – si on peut dire. C’est un souffle court, une inflammation interne, une irritation dévastatrice. A contrario, un des attributs divins est erekh apaïm longueur de narines et exprime, cette capacité à prendre de longues bouffées d‘air et de faire preuve de patience.

Selon le Traité des Pères, il y a « quatre genres de tempérament : facile à irriter et facile à calmer, son inconvénient est compensé par son avantage ; difficile à irriter et difficile à calmer son avantage est perdu par son inconvénient ; difficile à irriter et facile à calmer, c’est un homme intègre (un hassid) ; facile à irriter et difficile à calmer, c’est un injuste un rasha (méchant littéralement). »

L’ancien grand rabbin anglais Jonathan Sacks, dans un de ses commentaires sur la colère cite le livre ‘Orkhot Tzadikim’, du 15e siècle qui enseigne que la colère détruit les relations personnelles. Elle chasse les émotions positives – le pardon, la compassion, l’empathie et la sensibilité. Il en résulte que les personnes irascibles finissent par se sentir seules, rejetées et déçues. Les personnes de mauvaise humeur n’obtiennent rien d’autre que leur mauvaise humeur selon le talmud.[2] Elles perdent tout le reste.

Rabbenou Yona[3] nous dit qu’il est inéluctable d’être irrité et en colère, mais si la personne le fait avec difficulté et lorsqu’elle n’a pas d’alternative, cela reste une preuve de sagesse. Et il ajoute, ‘il est bon de se calmer aussitôt, au sein même de sa colère, sans attendre qu’elle nous ait quittés.’ L’homme intègre, nous dit-il, s’apaise facilement et c’est là une dimension de l’intégrité et de la générosité.

La colère n’est pas toujours mauvaise conseillère, il y a de saines colères, nécessaires et constructives, car canalisées. De celles où on se lève pour redresser une injustice et où la solidarité humaine joue son rôle. Et actuellement, elles sont nombreuses à s’exprimer dans ce sens à travers la planète.

Ce shabbat est tristement marqué par le décès d’un de nos parnassim – de nos anciens, de ceux qui ont été parmi les fondateurs de la communauté libérale à Lyon. De ceux qui l’ont soutenue et ont œuvré sans relâche pour qu’elle existe et se développe. Et un jour obtienne la reconnaissance qu’elle mérite. Maurice Elmalek était connu pour son engagement sans faille, mais aussi pour son caractère un peu colérique. Sa colère était toujours orientée vers le bien commun et non pour ses intérêts personnels. Il nous poussait toujours vers l’avant, pour qu’on puise au fond de nous le meilleur de nous-mêmes. Sa colère ne durait pas et très vite on le retrouvait jovial et égal à lui-même.

Je trouvais toujours ses prises de parole véhémentes très touchantes, je l’écoutais et le rassurais sa demande serait prise en compte. Pour honorer sa mémoire, et pour KEREN OR, prenons modèle sur Maurice, son engagement, son énergie constructive et sa lutte pour davantage de justice ici à Lyon.

Ken Yhie Ratzon,

Shabbat shalom.


[1] Maimonide, Mishne Torah, Hilchot Deot 2 :3.

[2] Talmud Kiddoushin 40b

[3] De Gerone, 1200-1264.

Drasha Tetzavé chabbat Zakhor – le vêtement qui révèle ou qui cache? KEREN OR, 3 mars 2023

Ce chabbat est celui consacré à la chmatologie : c’est-à-dire au vêtement, pas n’importe lequel, celui du petit et grand prêtre. Les vêtements sacerdotaux occupent une place non négligeable dans la Torah, on revient sur les accessoires que devra porter le Cohen à plusieurs reprises. Cela clôture le descriptif de la fabrication du Tabernacle avec les outils et sacrifices attenants. Les vêtements du Cohen font partie de ces objets de sainteté destinés uniquement à être portés dans ces moments de service au tabernacle, puis au Temple et jamais en dehors. Ils ont une fonction et ils font la fonction !

Pour le commun des mortels, le vêtement est la première chose que l’on voit lorsqu’on rencontre quelqu’un. Il permet de nous faire une idée, parfois superficielle de ce que cette personne veut bien nous montrer d’elle-même. A contrario, le vêtement est aussi là pour cacher, dissimuler des parties du corps et peut être des imperfections, pour au contraire aiguiller le regard sur ce qu’on souhaite mettre en valeur. Lorsqu’on exerce une fonction publique comme celle d’avocat, de juge ou ici de prêtre, le vêtement est comme une affiche publicitaire qui déclame, tout en mettant une distance, car on rentre en relation avec la fonction et non plus avec l’homme ou la femme qui se cache derrière.

Le vêtement du prêtre lui octroie la sainteté, il est séparé et destiné au service divin, et cela dure le temps du service. Lorsqu’il ôte son habit, le prêtre devient un simple membre du peuple, un Israël.

Pour le prêtre, porter le vêtement est une fonction honorifique mais aussi une charge, qui peut être lourde. Chaque vêtement, selon le midrash est porté pour rappeler l’expiation d’une catégorie de fautes.

Le turban doit expier la faute de l’orgueil, la ceinture celle des pensées impures, le bandeau en or autour de la tête prémunir de l’arrogance et le pectoral des mauvais jugements.

Un attribut essentiel est ‘le pectoral de jugement’ le hoshen hamishpat dans lequel sont insérées les 12 pierres représentant chacune des douze tribus d’Israël. Appelés ourim et toumim traduits par Meschonnic par ‘sorts et sortilèges’, ces pierres parlent et transmettent le message divin pour décider du sort du peuple… Le Cohen porte non seulement des vêtements, mais à travers eux la responsabilité au nom du peuple, des fautes qu’il aurait pu commettre.

Le vêtement sacerdotal habille instantanément le Cohen de prêtrise mais il lui confère également la responsabilité de la mémoire de son peuple…Cette concomitance entre immédiateté et temps longue frappe également lorsqu’on lit la meguilla d’Esther, où ces deux temporalités se heurtent.

La psychanalyste Françoise Athlan dans une étude de la paracha Tétsavé évoque cette analogie entre vêtements du grand prêtre et ceux de la reine. Vatilbach Esther malkhout, nous dit la meguilla[1] et Esther s’habilla de royauté, à l’instant où elle rentre dans le rôle de reine, elle prend conscience de son appartenance au peuple juif et a le courage d’agir pour se et le sauver.

Comme le grand prêtre, Esther doit s’habiller des habits de royauté pour aborder le roi, son mari le roi étant une métaphore de Dieu qu’on ne peut aborder n’importe où et n’importe quand et seulement en portant le vêtement adéquat. C’est seulement alors qu’elle peut faire sa demande et sauver son peuple.

Ce shabbat Zakhor est un shabbat de mémoire qui précède de deux jours Pourim, qui célèbre une victoire : celle de la survie du peuple juif en diaspora – dans l’ancienne Perse.

La méguila d’Esther fait aussi partie de notre mémoire, elle est notre antidote à la peur. Haman, ce cruel conseiller d’Assuérus voulait exterminer tous les juifs du royaume. Il a soif de pouvoir et veut porter des habits démesurés, trop grands pour lui, et qu’il ne mérite pas. La fin n’est un secret pour personne, grâce à Esther et Mordekhaï, ce sont finalement lui et ses enfants qui seront pendus.

Ce shabbat nous lisons 3 versets du Deutéronome 25, ils nous parlent d’Amalek, dont Haman serait un lointain descendant selon la Meguilla. Amalek est inscrit dans la Torah comme l’ennemi perpétuel d’Israël une sorte de monstre qui réapparait sous un masque différent à chaque génération.

Pourquoi Amalek est-il pire que les autres ? Pourquoi notre tradition nous dit-elle qu’il revient et nous menace l’dor vador et que son nom doit être effacé de sous les cieux ? Est-ce une forme de paranoïa collective ?

Pour mieux comprendre, il nous faut analyser les trois apparitions d’Amalek dans le récit biblique.

La première dans l’Exode, où les neuf versets nous parlent d’une bataille contre les Amalekites menée par Josué à Refidim. La fameuse scène où Moïse lève le bras qui porte son bâton, ce qui permet aux hébreux de gagner la bataille. Une fois les Amalekites vaincus, Dieu demande d’inscrire ce nom dans le Livre des souvenirs. Et que l’Eternel Lui-même oblitérera sa mémoire de sous les cieux. [2]

Le deuxième récit apparait dans le Deutéronome. Il y a davantage de détails : Amalek est un lâche qui frappe les plus faibles des hébreux par derrière : les femmes, les enfants et les vieillards. C’est pour cette raison, qu’une fois le peuple arrivé sur sa terre, c’est lui qui devra oblitérer la mémoire d’Amalek de dessous les cieux.[3]

Enfin Amalek apparait dans le livre de Samuel. Saul premier roi des Hébreux livre bataille contre les Amalékites qu’il doit anéantir jusqu’au dernier. Mais il ne suit pas le commandement de Dieu et épargne leur roi, Agag. C’est le juge Samuel furieux qui va s’en charger et le passer au fil de l’épée.

Ces différents textes sont comme un chaîne et trame qui s’entrecroise. Par exemple le verset : « Et tu étais fatigué et épuisé et ne craignant pas Dieu »[4] est très ambigu. Est-ce Amalek qui ne craint pas Dieu ou bien le peuple d’Israël ? La construction de la phrase laisse planer le doute : l’ennemi éternel de notre peuple est-il intérieur ? Ou bien est-il extérieur ? Certains midrashim n’ont pas manqué de relever cette contradiction. Le masque de la religion, le déguisement de la piété sont parfois utilisés pour perpétrer les pires crimes, c’était le cas il y a 29 ans lorsque Baroukh Goldstein a commis le massacre à Hébron, au nom de la religion et en particulier de la meguila d’Esther. Ces zélotes renaissent eux aussi à chaque génération et leurs habits ne doivent pas nous tromper…

Alors à Pourim, lorsque nous nous déguiserons pour honorer la tradition et ne plus distinguer entre Haman et Esther ou Mordekhaï, rappelons-nous qu’aucun masque ni aucun déguisement ne peut nous dissimuler de nous-mêmes ni de Celui qui voit vers l’infini et au-delà !

Ken Yhie Ratzon

Shabbat shalom


[1] Esther 5:1

[2] Exode 17:14

[3] Deut.25 :17

[4] Deut. 25 :18

Drasha Terouma – Israël – une lumière pour les nations? 24 février 2023 KEREN OR

Une des plus anciennes images persistantes d’une Menorah telle qu’on l’imagine dans le Temple, me vient du bas-relief de l’Arche de Titus qu’on peut encore admirer lorsqu’on visite le Colisée.

Cette Menorah, symbole de la destruction du Temple et de son pillage par les romains, représente le triomphe d’un peuple sur un autre, des romains sur nous juifs en 70 de notre ère. La guerre des Juifs de Flavius Josephe a duré 8 ans et le bas-relief date lui de 81, par le frère de Titus, Domitien, qui souhaitait ainsi commémorer ses victoires après sa mort.

La Ménorah est le plus ancien symbole du judaïsme. Elle remonte à près de 3000 ans et a gagné ses lettres de noblesse qui durent jusqu’à nos jours. L’état d’Israël a choisi ce symbole et spécifiquement la Ménorah qui figure sur le bas-relief de l’arche de Titus, comme son emblème officiel depuis février 1949.

Et pourtant, le premier grand rabbin d’Israël, rabbin Yitzhak Halévi Herzog s’y était fortement opposé ! Il mettait en avant que la base de la Ménorah était ornée de dragons et autres animaux mythologiques, créatures idolâtres s’il en était et de plus la Ménorah originale était composée d’un trépied et non d’un socle hexagonal ! Cela voulait dire que celle figurant sur le bas-relief avait été fabriquée ou reconstruite en partie par des païens romains probablement…[1]

Le gouvernement de l’époque a passé outre cette opposition et a établi la Ménorah à 7 branches, entourée de deux branches d’olivier, comme emblème figurant sur tous les documents officiels de l’état. L’ajout des deux branches d’olivier étant issus de la vision de Zacharie.[2]

La première description de la fabrication de la Menorah destinée au tabernacle figure dans la paracha Terouma. Faite de 30 kilos d’or pur, ornée de décorations en forme d’amandier, et composée de 6 branches latérales et d’une centrale. Tout est symbole dans cette Ménorah : pour les uns, cela représente les 6 jours de la Création couronnés par le 7ème– le shabbat. Pour les autres, la lumière de la sagesse humaine attachée à l’Eternel qui en forme le centre, ainsi le talmud dans le traité Bava Batra nous dit [3]:

Rabbi Yitzḥak dit : Celui qui souhaite devenir sage doit faire face au sud, et celui qui souhaite devenir riche doit faire face au nord. Et votre moyen mnémotechnique pour cela est que dans le Temple, la Table, qui symbolisait la bénédiction et l’abondance, était au nord, et le Candélabre, qui symbolisait la lumière de la sagesse, était au sud du Sanctuaire. Et Rabbi Yehoshua ben Levi dit : Il faut toujours être tourné vers le sud, car lorsqu’on devient sage, on devient ensuite riche, comme il est dit à propos de la Torah : « La longueur des jours est dans sa main droite ; dans sa main gauche, la richesse et l’honneur » (Proverbes 3:16).

Chaque branche de lumière représente une source de sagesse humaine : en commençant par la simple compréhension – binah , jusqu’à la connaissance de la Torah.

Choisir cet emblème pour notre peuple et pour son état est une responsabilité, on doit s’en montrer digne ! Objet mobile, cette Menorah comme la Torah, est transportable partout où le peuple juif se déplace, et depuis 1956 une reproduction de 4 m de haut réalisée par un artiste anglais Benno Elkan trône devant la Knesset, cadeau du gouvernement anglais pour les 8 ans de l’état. Installée sur le sol où elle doit briller de tous ses feux, elle symbolise un retournement du destin funeste représenté par le bas-relief romain.

La Ménorah du tabernacle, puis du Temple a été réalisée en un seul bloc d’or. Un seul bloc censé nous unir, reliés par nos diversités, faisant du peuple juif une source unique de lumière pour les nations, ainsi que l’exprime Isaïe.[4]

Cet idéal semble décliner, d’une lumière gardons-nous de devenir une ombre…

Le rabbin Michael Marmur professeur de philosophie et théologie au Hebrew Union Collège à Jérusalem a récemment fait une conférence pour ses collègues rabbins européens, où il se penchait sur le terme de Hoguenet, qui peut se traduire par décence, ou comportement civil. Hoguenet est une sorte de voie du milieu, qui permet de lier ensemble des groupes humains aux intérêts et croyances différentes voire divergents. A la manière de deux bateaux ancrés, reliés ensemble en pleine mer, dans un milieu fluide, ils restent accrochés, meouganim à un oguen (ancre). Hoguen – et Oguen vous entendez la proximité auditive de ces deux mots. L’image de ces deux bateaux vient d’un midrash attribué au rabbi Shimon Bar Yohaï.[5]

Hoguenet, ce comportement décent a une racine commune avec hagana : la protection. A défaut d’être parvenu à être une lumière pour les nations, une des missions d’Israël et de son gouvernement est, à minima, de protéger les valeurs démocratiques de l’état, et les minorités qui vivent en son sein, en maintenant un système juridique pouvant protéger tous les citoyens. Israël a également la responsabilité de protéger la sécurité des juifs qui vivent en dehors du pays, en diaspora. La « Bible » de l’état, d’Israël reste la Déclaration d’indépendance de ses fondateurs qui stipule à l’article 6 :

6.a) L’État s’efforcera d’assurer la sécurité des fils du peuple juif et de ses citoyens qui sont en difficulté [et en captivité] en raison de leur judéité ou de leur citoyenneté.

b) L’État agit au sein de la diaspora pour renforcer l’harmonie entre l’État et les membres du peuple juif. 

Ken Yhié Ratzon, Chabbat shalom !


[1] https://mizrachi.org/hamizrachi/the-Menorah-as-the-symbol-of-the-jewish-state/

[2] « Que vois-tu? Je répondis: Je regarde, et voici, il y a un chandelier tout d’or, surmonté d’un vase et portant sept lampes, avec sept conduits pour les lampes qui sont au sommet du chandelier; 3et il y a près de lui deux oliviers, l’un à la droite du vase, et l’autre à sa gauche

[3] Bava Batra 25b

[4] Isaïe 42:6 Je te garderai et je t’établirai pour que tu sois l’alliance du peuple, la lumière des nations,

[5] Sifrei Deutéronome Vezot Habrakha Piska 1

Vaera – Rira bien qui rira le dernier…KEREN OR 21 Janvier 2023

Imaginez la scène : d’un côté les marabouts d’Egypte, de l’autre Aaron et Moise. Les sorciers d’Egypte, sous l’ordre de Pharaon, tentent de montrer qu’ils sont les plus forts et que transformer un bâton en serpent, c’est un jeu d’enfants. Ou plutôt un tour de passe passe, qui ne prouve pas que le Dieu des hébreux est si extraordinaire que ça… Le bras de fer entre Pharaon et Moise, accompagné de son porte-parole Aaron se prolonge sur près de 8 chapitres et deux parachot, car Pharaon et ses acolytes ne comprennent pas, ils s’arcboutent et s’entêtent. Le cœur de Pharaon durcit car Dieu endurcit son cœur, pour le tourner en ridicule.

Oui, Dieu est joueur et a le sens de l’humour. Plusieurs passages bibliques et talmudiques LE soutiennent.

Par exemple, dans le traité Avoda Zara, les Sages du Talmud se demandent comment Dieu occupe son temps et voici la réponse :

Rav Yehuda ne dit-il pas que le Rav dit : Il y a douze heures dans une journée. Pendant les trois premières, le Saint, béni soit-Il, s’assoit et s’engage dans l’étude de la Torah. Pendant les trois autres heures, Il est assis et juge le monde entier. Lorsqu’Il voit que le monde risque d’être détruit, Il se lève du trône du jugement et s’assied sur le trône de la compassion, et le monde n’est pas détruit.

Pendant la troisième série de trois heures, le Saint, Béni soit-Il, est assis et nourrit le monde entier, des cornes de bœufs sauvages aux œufs de poux. Pendant la quatrième série de trois heures, Il est assis et joue et se réjouit avec le léviathan, comme il est dit : « Voici le léviathan, que Tu as formé pour te divertir » (Psaumes 104:26). De toute évidence, Dieu joue et se réjouit tous les jours, et pas seulement ce jour-là. Rav Naḥman bar Yitzḥak explique : Il joue et se réjouit avec Ses créatures, tout comme Il joue et se réjouit avec le léviathan…[1]

L’arme du rire, divinement créée et divinement utilisée, c’est en quelque sorte le fondement de ce monde…et on l’oublie trop souvent.

L’épisode des 10 plaies n’est qu’un exemple. Là, ce qui est mis en scène c’est la manifestation grotesque d’un despote absolu. La Torah est là pour mettre un peu de distance en nous faisant sourire et de cette manière nous libérer de ce joug. S’il n’y avait en jeu les vies et les souffrances des Égyptiens, la succession des plaies infligées ressemblerait à une grosse farce.

Et pourtant, les Égyptiens, dès l’Antiquité sont réputés pour leur sens de l’humour, ils ont même leur déesse de l’humour, que la tradition a marié au dieu de la sagesse. Eux aussi ont dû déployer leur sens de la dérision pour se moquer des différents pouvoirs qui les ont opprimés, sans parler des périodes d’occupation : romaines, ottomanes, ou françaises qui se sont succédé.[2]

Les périodes les plus sombres, les pouvoirs les plus autocratiques constituent le meilleur matériau pour les humoristes qui les utilisent pour en faire des caricatures, jeux de mots et autres farces…c’est le meilleur antidote à la morosité. 

Ainsi, l’attitude de Pharaon n’est pas sans rappeler à trois millénaires d’écart un autre despote, si bien caricaturé par Charlie Chaplin dans le film « le Dictateur ». Film sorti en 1940, en pleine guerre donc ! Entre ces deux époques, combien de tyrans et d’oppresseurs ont voulu écraser leur peuple voire le monde entier de leurs bottes ? Encore aujourd’hui un modèle de ce type sévit et tyrannise un peuple voisin. Convaincu d’avoir raison, jusqu’auboutiste, et seul contre tous, Poutine est prêt à toutes les horreurs pour conquérir un peu de terre et dominer l’Ukraine.

Les juifs n’ont pas le monopole du rire, mais une réputation à tenir : l’humour juif qu’il soit ashkénaze ou sépharade est célèbre du Talmud jusqu’aux comédiens de stand-up en plein cœur de Broadway.

Cet humour juif a cependant une particularité : un solide sens de l’auto-dérision… Dans les situations les plus ubuesques, les plus désespérées, un coreligionnaire saura en faire une blague. Cette culture dite du witz (du bon mot) qui pour le coup est plutôt ashkénaze, s’est transplantée avec succès jusqu’en Israël, où les émissions satiriques sont légion de Eretz nehederet – un pays merveilleux, qui vient de fêter ses 20 ans à Matzav haOuma– l’état de la nation émission animée par Lior Schlein pendant de nombreuses années, le choix ne manque pas.

Dans ce pays du melting-pot par excellence, cette grande marmite souvent explosive où les habitants originaires des quatre coins du monde sont imprégnés de leur propre sens de l’humour, il n’était pas évident que tous rient des mêmes choses …l’humour partagé est pourtant ce qui a fini par cimenter cette population disparate : du juif éthiopien, en passant par le druze ou l’arabe israélien, cela fonctionne et préserve la santé mentale de tous ses citoyens !

Le nouvel aéropage à la tête d’Israël qui se prend très au sérieux manque quant à lui sacrément de sens de l’humour. La température de la démocratie israélienne se mesurera aussi à la pérennité de ces émissions satiriques, qui donnent chacune à leur manière, un peu d’oxygène à ce pays qui en a tant besoin.

Une petite blague pour finir ?« Rebbe je suis malheureux, je veux mourir » dit un jour un homme à son rabbin, alors le rabbin lui répond : « la mort n’est pas une solution ! »et l’homme renchérit : «  parce que cette vie de misère qui est la mienne est une solution ? « Non ce n’est pas non plus une solution » rétorque le rabbin… « « Alors quelle est la solution ? » « Qui a dit qu’il y avait une solution ? » finit par lui demander le rabbin.

Chabbat shalom !


[1] Talmud Avoda Zara 3b

[2] https://www.arabnews.com/node/1165171

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