Comment prendre la parole aujourd’hui devant vous après la tragédie que nous vivons collectivement depuis le 7 octobre ? il y a une semaine à peine, j’invoquais la joie qui déborde et qui se cumule sans fin, alors qu’on célébrait la bat mitsva d’une jeune israélo-américaine, dès le lendemain un crime contre l’humanité était perpétré à 4000km de nous, dans ces villages et kibboutzim paisibles du Sud d’Israël. La joie se transformait en un instant en sidération, et un chagrin infini assiégeait nos cœurs meurtris.
L’histoire nous a malheureusement habitués de passer de la joie à la peine en s’identifiant à nos frères et sœurs juifs frappés par des actes antisémites et terroristes, ou par la guerre, à se sentir immédiatement en totale communion avec eux, comme il en est aussi pour eux envers nous, où que l’on soit dans le monde.
Être juif c’est être le sismographe des malheurs du monde : on ressent à distance les grosses secousses comme les lointains battements d’ailes de papillons.
Notre éducation, et notre héritage pointent dans la direction des textes de sagesse transmis de génération en génération :
Ouvimkom chéein anachim, tichtadel lihiot ich[1] : dans un lieu où il n’y a plus d’humains, fais l’effort d’être un humain ! Ce sont les paroles d’Hillel l’ancien vieilles de 2000 ans qui n’ont pas pris une ride.
On a fait notre cette maxime, comme on veut croire encore à l’un des versets de la création que nous lisons ce chabbat : vaIvra Elohim et haadam betzalmo, betzelem Elohim bara oto. Et Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa.
Cette notion de Tzelem Elohim, est répétée à 3 reprises dans la paracha, ici, puis à deux reprises au chapitre 5 de la Genèse, à propos d’Adam créé bidmout Elohim, à la ressemblance divine. Et enfin, dans le même chapitre, à propos de Chet le troisième fils d’Adam, frère d’Abel et Caïn, né après le premier meurtre biblique, d’Abel par son frère Cain. Ce fils Chet qui vient « réparer » l’acte commis par son frère, et il est dit qu’il est né ‘bidmuto k’tzlamo’ ‘dans sa ressemblance, à son image’.
L’homme créé betzelem Elohim porte en lui une valeur éthique fondamentale pour les juifs et pour l’humanité. Rentrée dans le langage courant du judaïsme, l’expression a été raccourcie en ‘betzelem’. C’est une sorte de boussole de chaque être humain, celle de ses comportements éthiques. En se rapprochant d’un idéal divin, on se rapproche davantage de notre humanité.
Selon le rabbin David Kimhi (1160-1235, appelé aussi Radak), exégète de la Bible et philosophe médieval français, le terme demout fait référence à une ressemblance physique ou matérielle avec le reste de la création ! Un être humain se compose par conséquent de ces deux ressemblances, physique à tous les humains et morale à la divinité.
Mais que veut dire pour l’être humain d’avoir été créé b’tzelem Elohim ?
Le Rabbin Haim Sabato[2], linguiste et sioniste religieux, récipiendaire de plusieurs prix prestigieux[3], liste 5 caractéristiques qui définissent l’homme créé b’tzelem Elohim :
1/il est capable d’exercer une domination sur la nature, (mais avec le risque de l’épuiser et la détruire),
2/ il est doté d’inventivité et de créativité,
3/ il est libre et fait preuve de discernement,
4/ il fait preuve de libre arbitre,
5/ il est capable d’amour fraternel – hessed et de solidarité envers son prochain.
Avoir été créé à l’image divine comporte des risques, l’un d’entre eux est d’oublier sa place dans la Création et de pécher par excès d’orgueil. Rashi dans son commentaire sur la première occurrence de Tzelem Elohim met en garde contre cette propension de l’homme à manquer d’humilité, et il lit dans le verbe v’irdou– ils descendront, une menace qui pèse sur lui, de dégringoler dans la chaîne de la Création.
De la création d’Adam jusqu’à nos jours des êtres humains se sont transformés en barbares et ont perdu leur humanité, ils se sont transformés en ces monstres bibliques appelés ‘nefilim’ issus de mariages contre nature entre les dieux et les filles de l’homme, ceux qui ont effrayé les hébreux lors de leur exploration de la terre de Canaan, dans l’épisode des explorateurs, ceux qui, à chaque génération ont tenté de détruire leurs frères et sœurs humains ou humilier et voler leur humanité.
De nos jours, un nouvel axe se dessine trop clairement, un axe qui réunit en son sein les dirigeants et les complices, sorte d’héritiers naturels des monstrueux nefilim. Cet axe prend racine à l’extrême Est de la planète et passe par la Russie, l’Iran, le Qatar, la Syrie. Ces dirigeants manipulent à distance les marionnettes du Hezbola au Nord et du Hamas au Sud, en tentant sans succès de serrer dans leurs griffes crochues Israël…afin de le détruire.
Que faire à notre niveau face à cet axe déboussolé qui a perdu tout sens de l’humain ? Le plus important me semble t il est de ne pas sombrer dans la nekama la vengeance, car comme disait l’un de mes amis israéliens Milhama ze lo nekama, la guerre ce n’est pas la vengeance.
Beaucoup d’entre vous ressentent de l’impuissance en ces heures sombres et pourtant chacun peut agir à son niveau, le soutien peut se manifester par la lutte contre la désinformation, par les gestes de solidarité, par votre engagement auprès des associations qui vous sollicitent et même par votre simple présence ici à la synagogue. Il nous incombe de former axe du hessed d’amour fraternel, en se préoccupant les uns des autres, sans se laisser dérober ce que l’on a de plus précieux : notre humanité, c’est cela notre acte de résistance ! Vadim devient bar mitsva ce chabbat, il est fils du commandement c’est à dire porteur de ces mêmes valeurs de hessed et d’humanisme, transmises par ses parents, sa famille et les madrikhim de KEREN OR depuis tant d’années. Mazal tov à toi Vadim, puisses tu être à ton tour, le digne dépositaire de cette lumière dont on a tant besoin, chabbat shalom !
[1] Pirke avot 2:5
[2] https://www.929.org.il/page/5/post/122
[3] Sapir et Ytzhak Sade
Paracha Noa’h – bat mitsva Rivkha, KEREN OR 20/21 Octobre 2023
de Daniela Touati
On 15 janvier 2024
dans Commentaires de la semaine
La tradition juive a cette belle coutume de déposer une pierre lors de la visite d’une tombe. Plusieurs interprétations existent : l’une, très prosaïque, nous dit que c’est ainsi qu’on marquait les lieux où on enterrait ses morts dans les champs, ou le désert, afin que l’on ne les piétine pas. Une autre interprétation rabbinique décompose le mot pierre, even en hébreu, en ces 2 parties : av et ben, l’association d’un père et son fils, ou d’un parent et d’un enfant se consolide dans la pierre qui lie à l’infini la chaînedes générations. Parent et enfant construisent une pierre symbolique et se passent le flambeau. On marque de cette façon son respect et son appréciation de ce qui nous a été légué.
Notre paracha parle d’une construction d’une autre nature, un ouvrage gigantesque la Tour de Babel, qui a pour ambition de « grater le ciel »…Le 3e verset de ce récit nous dit :
וַיֹּאמְר֞וּ אִ֣ישׁ אֶל־רֵעֵ֗הוּ הָ֚בָה נִלְבְּנָ֣ה לְבֵנִ֔ים וְנִשְׂרְפָ֖ה לִשְׂרֵפָ֑ה וַתְּהִ֨י לָהֶ֤ם הַלְּבֵנָה֙ לְאָ֔בֶן וְהַ֣חֵמָ֔ר הָיָ֥ה לָהֶ֖ם לַחֹֽמֶר׃
Ils se dirent l’un à l’autre : « Venez, faisons des briques et brûlons-les à la flamme » ; la brique leur servait de pierre, et le bitume leur servait de mortier.
Dans ce récit, la construction est faite à partir de briques, mélange d’argile qui est brulé à une certaine température. Les briques, matériau primitif, utilisées faute de pierres, car la région en est dépourvue…
Le récit du projet de la Tour de Babel échoue et est considéré par certains commentateurs comme une tentative de ridiculiser la civilisation babylonienne, dont l’orgueil sans limite se traduisait par des constructions pharaoniques, comme l’indique un verset d’Isaïe:
Un jour, tu as pensé dans ton cœur, « Je monterai au ciel ; Plus haut que les étoiles de Dieu
Je placerai mon trône. Je m’assiérai sur la montagne de l’assemblée (divine), Sur le sommet de Zaphon[1]:
Cette critique à peine voilée de Babylone se retrouve dans le nom même de la tour : Bavel qui veut dire Babylone en hébreu.
Ce très court texte dénonce la manière autoritariste et inhumaine de Babylone de diriger ces travaux d’envergure. L’entêtement et la bêtise de leur leadership, qui ont le savoir-faire technique des bâtisseurs, comme ceux des pyramides, mais dont le dessein plein d’arrogance et de suffisance ne peut qu’être voué à l’échec.
On ne peut s’empêcher de voir aussi dans cette tentative, le désir fou de l’humanité à travers les âges, de laisser une trace de son passage, voire de devenir immortels. Cela est commun dans toutes les cultures de l’Antiquité : en Egypte, en Babylone ou en Grèce, et plus près de nous, en Occident les constructions ininterrompues de gratte-ciels, et ce, y compris ces dernières années dans la péninsule arabique sont comme un clin d’œil à la tour de Babel.
Leo Baeck dans son livre l’Essence du Judaïsme compare et oppose les aspirations de la civilisation grecque et ses héritiers occidentaux avec celles du peuple juif. La construction de monuments ou d’œuvres d’art spectaculaires a pour motivation le désir de figer le temps, et les canons esthétiques, par essence éphémère. Selon la philosophie grecque, la perfection représentée par ces œuvres humaines est une tentative de se rapprocher du Dieu de la Création.
Pour cette même raison, le judaïsme se méfie de ce qui est statufié et va jusqu’à le condamner définitivement : c’est l’origine de l’interdit de l’idolâtrie. A cela, il préfère l’idée d’une création continue, d’une évolution, il reconnait l’imperfection et travaille à la réparer tout en sachant que la perfection est un objectif hors d’atteinte, sauf à vivre dans le temps messianique.
Plutôt que de chercher à s’élever jusqu’au ciel et de rivaliser avec Dieu, d’une manière désespérée, le judaïsme met en avant l’humilité, et le retrait.
L’être humain ne peut cependant s’empêcher d’être fasciné par ces constructions gigantesques et de les admirer, même en ruines il en reste quelque chose et ainsi dans un midrash Rabbi Ḥiyya bar Abba commente : La tour qu’ils ont construite, un tiers a été brûlé, un tiers s’est enfoncé [dans le sol], et un tiers existe encore.[2]
Ce tiers qui existe encore nous rappelle qu’on ne réussit jamais à totalement éradiquer le mal représenté au début du récit biblique, par le triptyque de la jalousie (Cain et Abel) la débauche (Noé) et l’orgueil (Bavel) ainsi que le commente Catherine Chalier.[3] Ce mal, sous une forme ou une autre peut renaître de ses cendres à chaque génération.
La pierre qui sert à bâtir et unir les générations et à humaniser la société peut être utilisée au contraire à la fragmenter et l’enlaidir au travers d’un dessein totalitaire.
Notre modèle est et restera Jacob, notre patriarche, lorsqu’il se couche et repose sa tête sur des pierres, sources de rêves d’avenir, rêves qui le font aussi renouer avec le divin, car c’est un travail commun comme on peut lire dans un psaume :
Si l’Eternel ne bâtit pas une maison, c’est en vain que peinent ceux qui la construisent ; si l’Eternel ne garde pas une ville, c’est en vain que la sentinelle veille avec soin.[4]
Chère Rivkha en ce jour où tu célèbres ta bat mitsva, où on te passe le flambeau de notre belle tradition juive, tu fais preuve d’un engagement sans faille : un grand mazal tov à toi et ta famille ! Puisses tu continuer à rire, rêver et faire ton chemin dans un monde en paix ! Et puissent tes parents te guider et t’accompagner car tu es une de nos pierres précieuses sur lesquelles repose aussi l’avenir de notre humanité !
Ken yhié ratzon, chabbat shalom !
[1] Demeure divine
[2] Midrash berechit rabbah 38:8
[3] https://youtu.be/EOfZHLTqa_0?si=Kjy1dlnmAMr53Gz0
[4] Psaume 127:1