Rabbin Daniela Touati

Pirke Avot 5:16 : "Tout amour qui dépend de son objet, si l’objet disparaît, l’amour disparaît, Mais s’il ne dépend d’aucun objet, il ne cessera jamais."

Catégorie : Commentaires de la semaine Page 11 of 12

Toledot – KEHILAT GESHER, 9 Novembre 2018

Micah Goodman philosophe et professeur à l’université hébraïque de Jérusalem dit à propos du Tanakh, qu’il est important, non seulement, de tenter de comprendre ce que ce texte nous dit mais surtout ce qu’il nous fait, ce qu’il produit sur nous.

Et il est vrai que si on passe du temps avec ces textes, si on devient plus intime avec eux, ils produisent physiquement quelque chose sur nous. On se sent comme happés, et des émotions surgissent.

C’est probablement encore plus le cas lorsqu’on se plonge dans les récits de la Genèse et les imbroglios familiaux qui se déroulent sous nos yeux.

Cette semaine, le récit est particulièrement poignant. Celle où on lit l’histoire de cette fratrie dysfonctionnelle, celle d’Esav et Jacob. Ce n’est pas la première fratrie de ce type, il y en a beaucoup d’autres qui lui succèdent dans les pages du Tanakh.

Un verset m’a sauté aux yeux, dans Genèse 27 :34, וַיִּצְעַק צְעָקָה גְּדֹלָה וּמָרָה et ‘il poussa un cri immense et amer’.

Immédiatement une image est venue se surimposer : celle du cri de Munch. Ce tableau qui a connu cinq versions successives entre 1893 et 1917 a été inspiré par la nature et l’angoisse qu’elle a produit sur le peintre[1]. Mais comme toute œuvre d’art, elle a eu sa vie propre. Cette peinture est devenue probablement le symbole d’une génération de soldats, de poilus de la 1ère guerre mondiale, dont elle dépeint, sans le vouloir, le cri sans voix des horreurs de la guerre.

Pour moi, ce cri terrible comme un écho lointain, c’est celui qui est poussé par Esav lorsqu’il se retrouve dépossédé, non seulement de son droit d’ainesse, qu’il avait bien voulu céder à son frère jumeau, mais surtout de la bénédiction paternelle. C’est celui d’une douleur qui prend aux tripes face à cette injustice : un père incapable de bénir son fils sur son lit de mort.

Imaginez-vous vous-même dans cette scène, et toutes les émotions qui pourraient alors vous submerger : la stupeur, la colère, puis l’immense douleur. Quoi, moi le fils ou la fille aimé et aimant, je ne pourrais pas bénéficier de la bénédiction de mon père ? Je ne pourrai pas me séparer de lui en paix ?

Bien sur s’en suivent d’autres sentiments incontrôlables ; la jalousie, l’esprit de vengeance, et la violence. Un scénario qu’on a déjà vu, quelques chapitres auparavant, dans l’histoire de Cain et Abel. Et comme par hasard, c’est là que le verbe צעק   apparaît pour la première fois dans la Torah. Et c’est Dieu qui le prononce :

‘la voix des sangs de ton frère crient vers Moi de la terre’, קוֹל דְּמֵי אָחִיךָ צֹעֲקִים אֵלַי מִן הָאֲדָמָה,  (Gen. 4:10).

Il s’agit là du premier fratricide, lui aussi dû à la jalousie, et c’est Dieu qui en est l’objet, Dieu qui accepte favorablement le sacrifice de l’un – Abel, et pas de l’autre – Cain. Alors faute de trouver les mots, on assassine.

Et ce cycle de violence va se répéter à l’infini. Et pourquoi ces répétitions ? C’est là que chacun va interpréter chacune de ces bis-repetita selon ce qu’il projette lui-même dans l’histoire biblique.

Ici selon le midrash, Jacob qui est le plus direct ancêtre du peuple d’Israël  n’apparait pas sous une lumière très favorable. Sa vie commence sous le signe de l’emprise, du subterfuge. Certes ce n’est pas lui qui décide, il se laisse manipuler par sa mère, qui veut accomplir la prophétie de la voix divine – L’ainé servira le cadet-. Cela n’est pas sans nous rappeler Joseph et un des premiers rêves qu’il interprète, source de la violence de ses frères.

Avec Jacob, on peut s’arrêter un instant sur le déguisement : il met une peau de bête sur lui, pour que son père, dont la vue est très déficiente, sente sous ses mains Esav-le poilu. Mais les rabbins reprochent surtout à Jacob d’avoir déguisé sa voix. Or la voix est l’empreinte de l’identité d’une personne, celle qui ne trompe pas, même lorsqu’on est face à des jumeaux. Le Talmud nous dit que voler la voix de quelqu’un s’apparente à l’idolâtrie – faute ultime par excellence.

A tel point que, selon le midrash, cette faute de Jacob serait la cause du décret de Haman, d’exterminer le peuple juif. Et un verset très similaire répond à celui de notre paracha, à une lettre près :

‘il poussa un cri immense et amer’ וַיִּזְעַק זְעָקָה גְדֹלָה וּמָרָה (Esther 4:1)

Là c’est Mordechaï qui pousse ce cri qui le projette sur le sol, il est effondré, prend les habits du deuil, et les déchire.

On passe tout près de la catastrophe, et les rabbins n’hésitent pas à parler de cause à effet : puisque Jacob a usé du subterfuge de la voix pour se faire passer pour Esav, afin de lui voler sa bénédiction, alors le peuple juif a risqué de disparaître des siècles plus tard, aux mains d’un terrible tyran.

Mais la Torah ne s’arrête pas là, et un autre cri m’a sauté à la figure en lisant notre paracha. Celui terrible des Egyptiens face au meurtre de leurs premiers nés, vous vous rappelez, de la dixième plaie d’Egypte n’est-ce pas ? A deux reprises l’expression צְעָקָה גְּדֹלָה: ce cri immense de douleur apparait dans nos textes à ce moment là[2].  Lorsque Moïse transmet la parole divine et prédit à son peuple ce qui va se passer et lorsque la plaie elle-même se propage.

Les questions que posent ces textes me semble-t-il sont : Comment sortir d’un destin prédestiné, des étiquettes qui sont posées sur nos visages, un peu comme la marque de Caïn ? Comment réellement se préoccuper de nos frères, qu’ils soient ceux de notre famille ou ceux au sens large de l’humanité ? Comment sortir de ce cycle de violence alors que nous commémorons ce chabbat deux évènements imbibés de violence : le centenaire de l’armistice qui marque la fin de la première guerre mondiale et le 80è anniversaire de la Kristallnacht qui marque symboliquement le début du plus grand génocide juif perpétré par l’humanité ?

Nous avons besoin de voix fortes, de voix prophétiques, qui sortent de ce cri primal. Des voix qui s’opposent dans le monde à toutes les paroles de haine et de violence qui se déversent impunément et sans filtres derrière des écrans comme en face à face. Nous ne pouvons plus rien laisser passer. Nous devons à la fois créer ces murs de résistance, et renforcer les ponts entre tous les hommes et femmes de bonne volonté. « O vous frères humains » disait Albert Cohen, oui faisons en sorte de redevenir de véritables frères humains…

Ken yhie ratzon.

Shabbat shalom

[1] Edvard Munch (1863-1944), Skrik– le cri,

[2] Exode 11 :6 et Exode 12 :30

MJLF – Hayye Sarah, 2 Novembre 2018

A l’heure où j’écris ces lignes, on est le lendemain de l’attentat antisémite de Pittsburgh, le plus meurtrier commis sur le sol américain depuis que des juifs se sont réfugiés sur cette terre. 11 personnes qui priaient dans une synagogue Massorti à Chabbat ont été lâchement assassinées parce que juives et aussi parce qu’elles faisaient partie d’une synagogue qui avec l’aide de l’association HIAS[1], prenait soin des réfugiés sur le sol américain, comme aux 4 coins du monde. Elle s’occupait de leur trouver un refuge, des vêtements, de la nourriture. De quoi les réconforter. Je suis comme nous tous sous le choc et terriblement triste.

A chaque fois que survient un drame antisémite, on peut même parler ici de pogrom, se pose la même question : comment consoler, rassurer, expliquer à nos membres et surtout à nos enfants que ce qui vient de se produire reste exceptionnel, qu’ils sont en sécurité et qu’être juif, malgré tout, n’est pas une malédiction ?

Rabbi Floriane a enregistré plusieurs vidéos[2] au lendemain des attentats du Bataclan où elle répondait à des questions d’enfants du talmud torah, je vous invite à les écouter ou les réécouter, car ce sont des messages emplis de bon sens et de sagesse juive. Dans l’une d’entre elles, elle répondait à un enfant qui lui demandait si on avait le droit de se réjouir d’avoir échappé à un attentat ? La réponse est bien sur oui. On peut et doit se réjouir tout en gardant dans son cœur de la compassion pour ce qui arrive à notre prochain, même s’il n’est pas de notre famille, de notre religion et de notre pays, c’est le message profondément éthique du judaïsme.

Dans les premières heures et jours qui suivent un tel acte, des émotions contradictoires nous submergent : d’abord l’effroi, nous sommes tétanisés puis nous ressentons une énorme colère mais aussi de la tristesse. Ce sont les phases du deuil théorisées par la psychanalyste américaine Kubler Ross. En tant qu’adultes, nous avons malheureusement souvent déjà expérimenté ces phases. Elles sont toutefois extrêmement délicates et complexes, elles ne se déroulent pas obligatoirement dans cet ordre et le tourbillon de nos émotions reste imprévisible.

Dans le cas d’actes antisémites, elles peuvent raviver des plaies à vif liées à notre histoire familiale. Nos enfants ne sont pas équipés pour y répondre. Nous devons les entourer de notre amour et les rassurer.

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KEHILAT GESHER – Shabbat Vayera, 26 Octobre 2018

Le récit d’Abraham recevant la visite de 3 anges est le modèle de ce à quoi doit ressembler l’hospitalité selon la tradition juive. Abraham est l’archétype de l’hôte parfait. Non seulement parce qu’il offre un repas élaboré et ne lésine pas sur les moyens pour accueillir des visiteurs de passage, mais aussi parce qu’il le fait avec beaucoup de diligence. Les verbes courir et se dépêcher sont répétés à 4 reprises dans ce court passage : 18:2 : vayarotz ; 18 :6 : vaymaher, mahari ; 18 :7 ratz.  Abraham, en pleine convalescence, se montre prévenant et empressé.

Ce qui est peut-être moins connu est que ce récit est le premier qui décrit en détail un repas de nos ancêtres et sa préparation. C’est une forme de plongée dans l’intimité culinaire de nos ancêtres.

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Paracha Noah – KEREN OR, 12 Octobre 2018

נעשה לנו שם  ‘faisons-nous un nom !’ (Genèse 11 :4)

Voilà l’objectif clairement énoncé d‘un groupe humain anonyme qui s’est donné pour projet pharaonique de construire la tour de Babel qui « gratte le ciel » .

Se faire une bonne renommée est l’objectif le plus louable selon nos sages, comme il est dit :

וכתר שם טוב עולה על גביהן  (mAvot 4 :13)

« La couronne de la bonne renommée dépasse toutes les autres couronnes ». Mais est-ce le cas ici ?

J’ai été frappée par l’éclairage qu’apporte Franz Kafka dans une de ses nouvelles sur l’histoire de la tour de Babel lorsqu’il dit : « s’il avait été possible de construire la tour de Babel sans l’escalader, ce travail aurait été autorisé. »

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Shabbat Bereshit – Kehilat Gesher, 7 Octobre 2018

A trois reprises il est dit dans la Genèse que l’homme a été créé à l’image de Dieu b’tzelem Elohim. Une première fois, au premier chapitre cela fait référence au premier récit de la création:

Genèse 1:26-27

(26) et Dieu dit: “Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance. Ils gouverneront les poissons de la mer et les oiseaux dans le ciel et le bétail sur toute la terre et tout ce qui rampe sur la terre ». (27)Et Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il les créa, mâle et femelle il les créa.

בראשית א׳:כ״וכ״ז

(כו) וַיֹּ֣אמֶר אֱלֹהִ֔ים נַֽעֲשֶׂ֥ה אָדָ֛ם בְּצַלְמֵ֖נוּ כִּדְמוּתֵ֑נוּ וְיִרְדּוּ֩ בִדְגַ֨ת הַיָּ֜ם וּבְע֣וֹף הַשָּׁמַ֗יִם וּבַבְּהֵמָה֙ וּבְכָל־הָאָ֔רֶץ וּבְכָל־הָרֶ֖מֶשׂ הָֽרֹמֵ֥שׂ עַל־הָאָֽרֶץ׃ (כז) וַיִּבְרָ֨א אֱלֹהִ֤ים ׀ אֶת־הָֽאָדָם֙ בְּצַלְמ֔וֹ בְּצֶ֥לֶם אֱלֹהִ֖ים בָּרָ֣א אֹת֑וֹ זָכָ֥ר וּנְקֵבָ֖ה בָּרָ֥א אֹתָֽם׃

La deuxième fois, au chapitre 5 de la Genèse que nous lisons demain matin, il est dit qu’Adam a été créé b’dmut Elohim, selon la ressemblance de Dieu.

La troisième fois, dans le même chapitre, il est question du troisième fils d’Adam, le frère d’Abel et Caïn, né après le premier meurtre biblique, d’Abel par son frère Cain. Ce fils qui vient pour « réparer » l’acte commis par son frère, s’appelle Shet et il est dit qu’il est né ‘bidmuto k’tzlamo’ ‘dans sa ressemblance à son image’, de Dieu ou d’Adam, la question peut se poser ?

 (3) Quand Adam eût vécu 130 ans, il engendra un fils dans sa ressemblance, à son image et il le nomma Shet.  (ג) וַֽיְחִ֣י אָדָ֗ם שְׁלֹשִׁ֤ים וּמְאַת֙ שָׁנָ֔ה וַיּ֥וֹלֶד בִּדְמוּת֖וֹ כְּצַלְמ֑וֹ וַיִּקְרָ֥א אֶת־שְׁמ֖וֹ שֵֽׁת׃

 

Deux termes sont utilisés pour nous parler de la création de l’homme à l’image de Dieu, tzelem : image et demut : ressemblance. Nous verrons si pour les commentateurs ils sont équivalents ou interchangeables.

L’homme créé betzelem elohim est une notion fondamentale, rentrée dans le langage courant du judaïsme, comme ‘betzelem’. C’est la boussole qui indique le Nord, c’est-à-dire nos comportements et attitudes éthiques. En nous rapprochant d’un idéal divin, nous nous rapprochons davantage de notre humanité.

Selon le rabbin David Kimhi (1160-1235, appelé aussi Radak), exégète de la Bible et philosophe médieval français, le terme demut fait référence à une ressemblance physique ou matérielle avec le reste de la création! Un être humain se compose par conséquent de ces deux ressemblances, physique aux êtres vivants et morale à la divinité.

Mais que veut dire pour l’homme d’avoir été créé à b’tzelem Elohim ?

Le Rabbin Haim Sabato[1], linguiste et sioniste religieux, récipiendaire de plusieurs prix prestigieux[2], liste 5 caractéristiques qui définissent l’homme créé b’tzelem Elohim :

1/il est capable d’exercer une domination sur la nature, ( mais avec le risque de l’épuiser et la détruire),

2/ il est doté d’inventivité et de créativité,

3/ il est libre et fait preuve de discernement,

4/ il fait preuve de libre arbitre,

5/ il est capable d’amour fraternel – Khessed et de solidarité envers son prochain.

Avoir été créé à l’image divine comporte des risques, celui notamment d’oublier sa place dans la Création et de pêcher par excès d’orgueil. Rashi dans son commentaire sur la première occurrence de Tzelem Elohim met en garde contre cette propension de l’homme à manquer d’humilité, et il lit dans le verbe v’irdu– ils descendront, une menace qui pèse sur lui, de dégringoler dans la chaîne de la création.

Une autre dérive est celle qui est pointée à la suite de la naissance de Shet, quand la Torah nous décrit les mariages contre-nature entre les dieux et les filles de l’homme. Cela rappelle les mythologies grecque et romaine, où les hommes et les dieux fricotent l’un avec l’autre et sont pris au piège d’intrigues inextricables, dont les conséquences sont souvent dramatiques. Ni les hommes ni les dieux ne sont à leur place. C’est contre ce mélange des genres que le récit biblique mythologique attire notre attention, qui permet d’engendrer les nefilim, traduit par certains commentateurs par ‘les déchus’, ces êtres qui plus tard feront peur aux explorateurs de Moïse.

Les révolutions vécues par l’humanité jusqu’à ce jour, n’ont jamais posé avec autant d’acuité la question de la place de l’homme dans l’univers.

L’économiste Daniel Cohen dans son dernier livre[3] nous parle des historiens du 20ème siècle qui misaient sur les bénéfices de l’utilisation de la machine ce qu’on a appelé la mécanisation du travail. Celle-ci allait soulager l’humanité des tâches subalternes et répétitives. L’homme ainsi libéré serait capable d’apporter une valeur ajoutée à son travail et prendre le relais des machines lorsqu’elles auraient atteint leurs limites.

La révolution que l’on vit aujourd’hui a dépassé de loin ces prévisions. Ainsi Yuval Noah Harari dans son dernier livre Homo Deus nous parle de l’immense opportunité que représente la combinaison de l’évolution des connaissances dans le domaine de l’intelligence artificielle, des biotechnologies, sans oublier l’utilisation des algorithmes. Mais cette révolution est potentiellement dangereuse et Yuval Harari nous met en garde contre ses dérives.

Il donne l’exemple du jeu de Go, des voitures électriques et même des diagnostics médicaux virtuels. L’intelligence artificielle est ainsi capable de résoudre des combinaisons de données bien plus complexes que l’homme. Les « machines » ont dépassé l’homme.

Un autre danger est la concentration entre les mains d’une petite élite de ce pouvoir que représente la maitrise des algortihmes. Il y a le risque qu’ils soient utilisé à mauvais escient.

L’homme est ainsi devenu un produit et ces apprentis sorciers ou homo deus sortes de demi-dieux, qui nous tiennent entre leurs mains ou plutôt entre leurs algorithmes.

Devant ces prévisions quelque peu sombres, comment pouvons-nous résister ou nous adapter ? Pour Yuval Harari il est primordial de se recentrer sur l’humain, sur la connaissance de soi, pour ne pas être pris au piège par la machine.

Ainsi, si on revient à notre paracha et la croyance d’avoir été créé ‘betzelem Elohim’ le chemin est peut-être de mieux utiliser nos capacités de discernement, de créativité, de libre-arbitre et renforcer le lien social.

Après s’être laissés happés par les promesses infinies de la ‘machine’, du virtuel et de l’intelligence artificielle, il s’agit de remettre ces outils à leur juste place afin de ne pas devenir nous-mêmes des produits au service d’hommes peu scrupuleux et les esclaves d’un nouveau culte.

Ken Yhie ratzon,

Chabbat shalom !

[1] https://www.929.org.il/page/5/post/122

[2] Sapir et Ytzhak Sade

[3]Il faut dire que les temps ont changé’, Daniel Cohen, p.164.

Shabbat Hol HaMoed Souccot – Kehilat Gesher, 28 Septembre 2018

מנהגים:…אין אשכנז דורך דש גנץ יאר…אמשטרדם, אורי ווייבש, (תכ »ב). חיתוכי העץ מתארים את מנהגי סוכות.

A votre avis qu’est-ce que représente ce dessin? C’est la question que se sont posés les documentalistes de la Bibliothèque Nationale d’Israël quand ils sont tombés sur un manuscrit hollandais datant de 1661, qui décrivait les us et coutumes de la communauté ashkénaze d’Amsterdam[1].

Ce dessin figurait en bonne place parmi d’autres dessins sur la fête de Souccot, mais cette photo représentant deux hommes portant un Loulav[2], l’un avec sa tête et l’autre sans, restait un mystère. En fait, dans le livre elle sert à illustrer la fête de Hochana Rabba, ou la grande Hochana, Hochana voulant dire « sauve nous ». C’est un jour solennel où on demande une dernière fois à Dieu de nous sauver. Hochana Rabba c’est le 7e  et dernier jour de Souccot, la veille de Shemini Atzeret et Simhat Torah, fête quelque peu mystérieuse, mais fête à part entière. On peut se demander, pourquoi elle vient clôturer avec gravité, la fête si joyeuse de Souccot ? Est-ce tout simplement pour fermer le cycle commencé 40 jours plus tôt avec le jour du jugement de Roch Hachana ?

Son rituel comprend  7 hakafot, c’est-à-dire des processions autour du sefer Torah. On frappe aussi le sol avec des feuilles de saule tout en priant pour la pluie. Cette tradition, qui peut sembler un peu païenne, est à replacer dans le contexte de l’époque, où toutes les fêtes avaient un lien avec la nature. Et la vie de chacun dépendait de la qualité et quantité des récoltes de l’année. Alors que les dernières moissons venaient de se terminer (un des noms de Souccot est la fête des Moissons, Hag HaAssif), on priait pour que les champs soient abondamment arrosés pour disposer de nourriture en quantité suffisante pour l’année suivante. En ce dernier jour de Souccot retentit également la dernière sonnerie du Choffar, comme pour nous rappeler à l’ordre, au cas où nous aurions oublié qu’il subsiste une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes.

Mais alors que vient faire cet homme sans tête sur notre dessin ? Selon les rabbins Hochana Rabba marque symboliquement, le scellement du jugement de Kippour. Comme un étudiant qui attend ses notes d’examen, on attend anxieusement la décision divine. Est-on inscrit ou non dans le livre de la vie ? Les deux hommes représentent le sort positif ou négatif réservé à chacun d’entre nous.

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Shabbat Shuva – Vayelech, 14 Septembre 2018

Parole, parole…la parole comme véhicule du pardon.

Vous êtes-vous déjà demandé comment l’on vit quand on a été élevé dans le mensonge ? le mensonge par rapport à sa propre histoire et celle de son pays ? Ce sont les questions qui me sont venues à l’esprit en entendant le discours d’Emmanuel Macron hier, et sa reconnaissance au nom du gouvernement français de l’assassinat de Maurice Audin. Ce mathématicien, communiste et militant acharné de l’indépendance de l’Algérie, avait été arrêté chez lui à Alger, le 11 juin 1957 devant sa femme et ses trois enfants, dont un bébé d’un mois. Sa femme et ses enfants ne le reverront jamais. L’histoire officielle jusqu’à récemment parlait de sa fuite lors de sa détention et d’une mort accidentelle.  Sa veuve, s’est battue pendant 61 ans pour faire reconnaitre la vérité.

La reconnaissance hier par le président des français des actes de torture et d’assassinat commis par l’armée ou la police dans le cadre de la guerre d’Algérie est un pas historique.

Pour certains il est aussi important que le discours du Président Chirac au Vel d’hiv en 2005, reconnaissant la collaboration de Vichy dans l’assassinat d’environ 73000 juifs français pendant la deuxième guerre mondiale.

Quelle valeur a ce repentir 61 ans après ? Quel pouvoir ont ces mots du président ? Que peut-il réparer ?

Les premiers mots de la Torah parlent du pouvoir créateur des mots, c’est la parole qui aurait créé cet univers, c’est également elle qui peut le détruire.

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Ki Tavo 31 août 2018

Vous avez surement tous entendu parler de cet épisode, un fait divers peu banal, concernant la pierre de quelques 100 kilos tombée au petit matin, le lendemain du 9 Av du Mur des Lamentations. Ce vieux mur de 2000 ans montrait donc des failles et où cela ? Juste au-dessus de l’esplanade de prière mixte utilisé par les libéraux et massortis du côté de l’arche de Robinson.

Certains, en l’occurrence l’adjoint au maire de Jérusalem Dov Kalmanovitch y ont vu un signe du courroux divin face à ces faux juifs, mécréants, c’est-à-dire nous ! Encore une fois…

D’autres ont répondu très justement, que si Dieu souhaitait nous faire signe et montrer sa désapprobation, il aurait pu choisir une heure plus tardive où justement, une de mes amies rabbins Valérie Stessin allait célébrer la bar mitsva d’un jeune de sa synagogue de Jérusalem. Arrivée très tôt sur les lieux, quelle ne fût pas sa surprise, et sa terreur. Elle a du trouver un autre emplacement pour la cérémonie…c’est d’ailleurs grâce à elle, que j’ai appris la nouvelle !

Le philosophe d’origine franco-marocaine, Ami Bouganim composa dans les jours qui suivirent un midrash à propos de cette chute.

Il imagina une convention de Sages, une sorte de Sanhédrin qui délibèrent sur ce qu’il convient de faire dans ce cas : faut-il mettre la pierre sous cloche et l’exposer au public ? Faut-il proférer des malédictions contre les libéraux ? Finalement les Sages se mettent à prier et disent même le kaddish sur cette pierre…Pierre qui selon le philosophe, incarne pour eux le verset : « car du mur la pierre crie et de la charpente le chevron répond »[1] ! Ce midrash qui mélange si bien réalité et absurde est plein d’humour, si vous souhaitez le lire en entier, voici le lien:

http://www.euromed.institute/post/chronique-de-jerusalem-la-larme-que-versa-le-mur-pour-protester-contre-les-prieres-melees

Quant à moi je me mis à imaginer un conseil des Pierres du Mur, des pierres qui parlent. Elles parlent et se plaignent, de qui ? De nous tous, qui nous affrontons autour de ce Mur… pour qui ? Pour quoi ? Pour des pierres plurimillénaires et plus fragiles qu’on ne le croit, qui risquent de nous tomber sur la figure. Ce mur qui devient objet de convoitise et de luttes fratricides, nous l’avons folklorisé à force de le sacraliser…bref nous l’avons bien abîmé et avons dénaturé sa fonction. Comment peut-il encore accueillir nos plaintes et nos prières ? Ce Mur pour lequel nous nous sommes tant languis et battus, ce Mur des Lamentations !

Pourquoi cette histoire de vieilles pierres ? Parce qu’elle illustre parfaitement le thème de notre paracha KI TAVO, où Moïse juste avant la traversée du Jourdain continue à sermonner son peuple. Il met le peuple en garde en déclinant une longue liste de bénédictions et malédictions qui pourraient s’abattre sur le peuple d’Israël s’il suit ou non les commandements. C’est cette théologie un peu naïve dite de la rétribution, qui a inspiré l’adjoint au maire de Jérusalem: la chute d’une pierre est le signe d’une punition divine !

Les pierres dans notre paracha ont une fonction spécifique, ou plutôt deux. D’une part il y a les pierres où sera gravée la Loi dans Deut 27 .

 

 

Deutéronome 27:2-3

(2) Et quand vous serez arrivés au delà du Jourdain, dans le pays que l’Éternel ton Dieu t’accorde, tu érigeras pour toi de grandes pierres, que tu enduiras de chaux; et tu y écriras toutes les paroles de cette Torah après ta traversée, pour mériter d’entrer dans le pays que l’Éternel ton Dieu te destine, pays ruisselant de lait et de miel, comme te l’a promis le Seigneur, le Dieu de tes ancêtres.

דברים כ״ז:ב׳-ג׳

(ב) וְהָיָ֗ה בַּיּוֹם֮ אֲשֶׁ֣ר תַּעַבְר֣וּ אֶת־הַיַּרְדֵּן֒ אֶל־הָאָ֕רֶץ אֲשֶׁר־יְהוָ֥ה אֱלֹהֶ֖יךָ נֹתֵ֣ן לָ֑ךְ וַהֲקֵמֹתָ֤ לְךָ֙ אֲבָנִ֣ים גְּדֹל֔וֹת וְשַׂדְתָּ֥ אֹתָ֖ם בַּשִּֽׂיד׃ (ג) וְכָתַבְתָּ֣ עֲלֵיהֶ֗ן אֶֽת־כָּל־דִּבְרֵ֛י הַתּוֹרָ֥ה הַזֹּ֖את בְּעָבְרֶ֑ךָ לְמַ֡עַן אֲשֶׁר֩ תָּבֹ֨א אֶל־הָאָ֜רֶץ אֲ‍ֽשֶׁר־יְהוָ֥ה אֱלֹהֶ֣יךָ ׀ נֹתֵ֣ן לְךָ֗ אֶ֣רֶץ זָבַ֤ת חָלָב֙ וּדְבַ֔שׁ כַּאֲשֶׁ֥ר דִּבֶּ֛ר יְהוָ֥ה אֱלֹהֵֽי־אֲבֹתֶ֖יךָ לָֽךְ׃

 

Ainsi la Torah devra être gravée sur de la pierre enduite de chaux et érigée sur le mont Ebal pour être visible par tous. Imaginez la scène décrite dans notre paracha : d’un coté, 6 tribus proclament les bénédictions sur le Mont Gerizim et de l’autre, 6 leur font face en déclamant les malédictions sur le Mont Ebal.

Cette pierre enduite de chaux, véritable monument commémoratif sur lequel sont inscrits les commandements, s’appelle aussi une matzeva, écoutez comme cela sonne à l’oreille presque comme mitzva.

Cette pierre du souvenir ne devra surtout pas devenir une statue et nous faire trébucher vers l’idolâtrie, car voilà qu’on nous parle, au chapitre suivant, d’une deuxième sorte de pierres, celles de la malédiction !

 

 

Deutéronome 28:64

(64) Et l’Éternel te dispersera parmi tous les peuples, d’une extrémité de la terre à l’autre; et là tu serviras des dieux étrangers, jadis inconnus à toi comme à tes pères, faits de bois et de pierre.

 

דברים כ״ח:ס״ד

(סד) וֶהֱפִֽיצְךָ֤ יְהוָה֙ בְּכָל־הָ֣עַמִּ֔ים מִקְצֵ֥ה הָאָ֖רֶץ וְעַד־קְצֵ֣ה הָאָ֑רֶץ וְעָבַ֨דְתָּ שָּׁ֜ם אֱלֹהִ֣ים אֲחֵרִ֗ים אֲשֶׁ֧ר לֹא־יָדַ֛עְתָּ אַתָּ֥ה וַאֲבֹתֶ֖יךָ עֵ֥ץ וָאָֽבֶן׃

Ce sentier que nous devons emprunter chaque jour, où l’on nous commande d’ériger un monument de pierre mais pas une statue, est un sentier très étroit.

La pierre devient ainsi une belle métaphore de notre libre arbitre, du choix qui nous est donné et de ce qu’elle va représenter pour nous : avec elle, nous avons la possibilité de construire ou détruire ce que Dieu nous a confié.

Et me vient une image de ces pierres si banales et considérées sans valeur, voire comme une calamité, celles du désert qui elles aussi peuvent être totalement transfigurées, et se transformer à force d’effort, en terres cultivables, en champs de fleurs. Ce fût le cas dans le Neguev. Ce n’était pas de la magie, mais la vision d’un homme : Ben Gourion et le travail acharné de beaucoup d’autres qui croyaient en son rêve…faire fleurir Israël dans le désert.

Il me semble que la chute de la pierre du Mur est arrivée à point nommé ce lendemain du 9 Av, cette pierre rebelle, qui Dieu soit loué n’a pas fait de victimes, est venue nous crier sa vérité. Nous avons encore et toujours à lutter contre la tentation d’enfermer Dieu dans la pierre et de rigidifier le judaïsme.

La Torah est un fluide, comparée tantôt à de l’eau tantôt à du lait ou encore du miel, qui nous nourrit où que l’on soit et quel que soit notre forme de pratique. Et notre terre promise est celle où nous laissons couler en nous ce lait et ce miel…

Shabbat shalom

[1] Habakuk 2 :1

paracha Ki Tavo 

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Cet été je suis retournée à Haïfa à la recherche de ma « madeleine de Proust » ou plutôt des « borekas de Haïfa ». Mon but en retournant à l’endroit où j’avais vécu pendant près de quatre ans était officiellement l’étude de l’hébreu et du talmud mais officieusement je souhaitais renouer avec ma toute petite famille si éloignée.

J’ai vécu trois semaines avec les cousins germains de mon père, et me suis familiarisée avec leurs habitudes et leur emploi du temps. A 80 ans passés ils se demandaient ce qui resterait d’eux après leur départ de ce monde, ce qu’ils avaient réussi à transmettre à leurs 2 filles et 7 petits enfants. Ma tante tenait un journal des événements les plus marquants de sa vie, ceux que personne n’avait osé lui demander de raconter, en espérant qu’à un moment cela intéressera quelqu’un dans la famille… j’étais la première à écouter ses mémoires, chaque moment passé ensemble était imprégné de nostalgie.

Elle était très inquiète de ce qu’allait advenir de sa bibliothèque. On peut y trouver au moins un millier de livres en 5 langues différentes : roumain, français, anglais, allemand et hébreu,.

Il n’est pas facile d’abandonner ce qu’on considère comme un riche patrimoine culturel.

La question de la transmission à la génération suivante et du lâcher-prise m’a taraudée tout l’été. Cette dualité dans laquelle sont enfermés les deux générations : ceux qui “donnent” sont inquiets que ce pourquoi ils ont vécu ne leur survivra pas et ne sera pas utile aux générations futures. Ceux qui « reçoivent” se sentent coupables car incapables de prendre soin de ce patrimoine.

Cette bibliothèque comprenait essentiellement des romans ou livres politiques, parfois démodés, alors que d’autres livres classiques peuvent être stockés plus facilement en ligne.

La transmission des livres est un sujet délicat, la jeune génération peut avoir l’impression étrange de piétiner le patrimoine spirituel de leurs ainés. Les Juifs et les livres chacun le sait, c’est une véritable histoire d’amour. Nous honorons les livres comme nous honorons nos ainés. Mais plus de 2000 ans de tradition ont donné lieu à une immense quantité de livres. La manière dont nous nous comportons avec les livres est une métaphore de la manière dont nous nous comportons avec la tradition.

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Paracha Bamidbar

Il y a quelques jours à la bibliothèque du Leo baeck je suis tombée sur un document assez rare, l’almanach de Haaretz de l’année 1949/1950 . On pouvait y trouver des articles très intéressants sur les affaires étrangères et intérieuresd u tout jeune état,  des poèmes magnifiques, des publicités modernes qui nous semblent tellement vintage auj., mais aussi de nombreuses statistiques. Israël n’avait qu’un an d’existence, mais la population s’élevait déjà à 553 985 juifs (les arabes n’étaiens pas mentionnés ! ) et ces statistiques avaient commencé dès 1919.

En 1947 41% des olim viennent de Russie et de Pologne comme les années précédentes d’ailleurs mais en 1948 la tendance change et exactement la même proportion- 41% – arrivent des Balkans (la plupart de Roumanie ) et le groupe de Russes et polonais ne représenté plus que 36%.

En cette période d’après-guerre, alors que 2/3 des Juifs d’Europe avaient été décimés par la Shoah, il était essentiel pour les nouveaux israéliens que la population croisse rapidement pour atteindre un nombre significatif de Juifs vivant à l’intérieur de leur nouvel état. Ceci pour confirmer s’il le fallait encore, que les Juifs avaient besoin de leur propre état.

Recenser des données sur la population juive est un éternel sujet de préoccupation que nous mettons souvent à l‘avant de nos préoccupations. La plupart du temps, on se compte pour se distraire de son anxiété, parfois c’est aussi une source de satisfaction et de joie.  Nous comptons combien de juifs vivent en France, combien à Lyon et sa région, combien appartiennent à la synagogue libérale ici ou ailleurs, et quelle part nous représentons dans le judaïsme global.

Le livre Bamidbar – dans le Désert, que nous commençons à lire ce Shabbat parle beaucoup de chiffres, d’où la traduction de son nom en français et en d’autres langues par le mot Nombres etc.. Selon l’anthropologue Mary Douglas dans son livre « l’héritage des fils de Jacob » le but est de nous transmettre la “doctrine de l’unité des enfants d’Israël” et « de nous alerter sur le risque de sécession”. Il apparait que depuis l’époque biblique jusqu’à nos jours, c’est le plus grand danger qui menace Israël (en tant que peuple et en tant qu’état à présent). C’est la raison pour laquelle tant de passages sont dédiés au dénombrement des enfants d’Israël.

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