Le premier janvier j’écoutais distraitement la radio où était interviewé Maxime Zucca un ornithologue et écologiste spécialiste des oiseaux migrateurs.[1] Il venait de publier un livre pour les enfants « écoute les oiseaux chanter » pour les aider à reconnaitre le chant de certaines espèces. Et j’ai été captivée par ces paroles qui m’ont ouvert sur un monde inconnu.
Dans son interview Maxime Zucca nous alertait sur la souffrance des oiseaux à cause du réchauffement climatique. Le printemps précoce dans nos contrées a un impact sur la nourriture de ces oiseaux, les insectes, qui apparaissent eux aussi plus tôt et oblige les volatiles à adapter leurs dates de migration en revenant quatre jours plus tot qu’il y a 20 ans par exemple de l’hémisphère sud. J’ai ainsi appris que certaines espèces parcourent jusqu’à 12000km pour rejoindre l’hémisphère Sud et autant lorsqu’ils reviennent en Europe. Tout un monde à découvrir…
Israel est un lieu de pèlerinage pour ces oiseaux migrateurs[2], et plus spécifiquement le désert du Neguev et la vallée Houla. Il y a quelques années , fin décembre j’étais au Kibboutz Lotan et pu rencontrer un groupe d’au moins trente afficionados observer et photographier ces magnifiques volatiles.
Israel étant à la croisée de 3 continents, 500 millions d’oiseaux traversent son territoire et 550 espèces sont observables par les spécialistes. La Vallée de Houla, est leur dernière halte avant la traversée du plus grand obstacle qu’ils rencontrent sur leur chemin : le désert du Sahara long de 2000 km, où ils ne pourront plus se nourrir.
Contrairement à une idée reçue la plupart des oiseaux migrent seuls, mais les migrations les plus spectaculaires sont celles des étourneaux ou des oies, qui eux migrent en groupe. Ce sont ces groupes qui produisent des sons stridents qui nous font lever la tête, un concert musical qui selon les spécialistes n’a, la plupart du temps, rien de très pacifique. En fait, ils se disputent pour défendre leur territoire ou signaler un danger ! Ca ne vous rappelle rien ?
Pourquoi parler des oiseaux en ce chabbat ? Lors de chabbat shira, le chabbat du chant, que nous lirons demain matin, une coutume ashkénaze veut que nous nourrissions les oiseaux!
Mais qu’ont-ils à voir ces volatiles avec le miracle de la traversée de la Mer Rouge ? D’où vient cette coutume ?[3] Le rabbin Meizlish au 18è siècle expliquait que les oiseaux chantaient lors de la traversée de la mer rouge et ainsi accompagnaient les hébreux en les encourageant en quelque sorte à la traverser ! Les oiseaux sont appelés dans la tradition juive les ‘baalei hashir’ les maitres du chant, ils sont les maitres des cieux et de l’air, l’air avec lequel ils produisent des sons qui nous enchantent.
Une autre explication du Rabbin Moshe Sofer ( Pressbourg, 1762-1839) dit le Hatam Sofer, nous dit qu’il est de coutume de nourrir les oiseaux à chabbat shira car si le peuple juif, qui est comparé à un oiseau se consacrait au respect de la Torah et des Mitsvot, alors Dieu pourvoirait sans peine à ses besoins en nourriture.
Un midrash du Cantique des Cantiques nous dit : « Tout comme une colombe qui rencontre son compagnon ne le quitte jamais pour un autre… tout comme une colombe dont les oisillons sont retirés de son nid n’abandonne toujours pas son nid…, de même le peuple juif reste fidèle à son Dieu ».[4]
Notre peuple est comparé à une tourterelle, ou une colombe, un oiseau de paix. Lorsqu’elles forment une nuée, elles roucouleraient à l’unisson. Mais comme vous le savez rien n’est moins sur ! Petit en nombre mais très divisé, les juifs sont toujours au bord de la rupture, ou de l’implosion.
Dans les années 1990, la communauté juive libérale à Lyon, alors la CJL, qui s’était donné comme symbole une colombe, et s’appelait Brit Shalom l’alliance de paix, a été même plus loin et est allée jusqu’à la rupture.
Ma famille avait rejoint la synagogue libérale de Lyon deux ans avant cette crise. On a connu la déchirure et les tourments de la séparation au sein de la CJL- Brit Shalom. Mais cette scission a aussi été une opportunité, des amitiés solides ont été nouées, et on a tous ensemble mené des projets ambitieux.
A titre personnel, elle m’a permis de me lancer des défis, auprès de l’un des fondateurs du judaïsme libéral lyonnais, Guy Slama qui m’a poussée à prendre des responsabilités d’abord en tant que secrétaire puis présidente.
Cinq ans plus tard en 2007, les administrateurs des deux communautés ont pris conscience de la nécessité de travailler au rassemblement. Avec l’aide de 2 rabbins : François Garaï puis René Pfertzel, des personnes de bonne volonté de chacune des synagogues, nous avons œuvré étape par étape, avec beaucoup de patience et de ténacité, à remettre ensemble ceux qui s’étaient entre-déchirés. Que d’énergie et d’heures passées ?
Le résultat en vaut la peine non ? Il suffit de regarder autour de vous !
Ce chemin vers la paix et la réconciliation est unique en France et j’en suis fière. Même Copernic et le MJLF nous ont récemment copié …
Cette expérience m’a aussi donné l’énergie de me lancer dans le rabbinat.
Alors que nous entamons une quatrième décennie, nous sommes suffisamment mûrs pour regarder avec sérénité et lucidité vers l’avenir en chantant non pas à l’unisson, mais en regardant dans la même direction !
KEREN OR est, je l’espère une deuxième maison pour chacun d’entre vous. C’est un où l’on rentre avec une certaine admiration mêlée de révérence, de respect et d’espoir d’être transformé, de devenir quelqu’un d’un peu meilleur.
Notre synagogue est un lieu pérenne, comme nous ici depuis 30 ans, au service des familles qui en ont besoin au moment où elles en ont besoin. Ces familles ont conscience de la nécessité de ce lieu et s’y investissent chacune selon ses possibilités. Notre synagogue, c’est un groupe d’hommes et de femmes qui évolue mais qui partage le même crédo sur le judaïsme, un judaïsme de progrès, égalitaire, inclusif, qui se questionne et nous questionne. Le/la rabbin de notre synagogue est présent pour accompagner chacun dans les moments de joie et de célébration, mais aussi de crise ou de peine, en offrant une écoute, un lien social et spirituel sur lequel chacun peut compter et ceci ne peut se faire sans la solidarité de tous.
Lorsque chacun est à sa place et remplit sa mission, alors KEREN OR rayonne par tous ses membres, accroit son influence et attire de nouvelles familles.
Dimanche nous célébrerons Tou Bichvat , le nouvel an des arbres, et nous préoccuperons de la nature, des arbres, qui nous permettent de vivre. Ces arbres qui permettent à la vie de se déployer, aux oiseaux de se nourrir, et d’installer des nids et se reposer. Puisse cette synagogue être un arbre de vie pour chacun d’entre vous, avec des racines profondes, un tronc solide et d’innombrables branches représentées par les familles qui nous font l’honneur d’être là et celles qui vont nous rejoindre.
L’Hayim KEREN OR et longue vie !
Chabbat shalom,
[1] https://www.franceinter.fr/emissions/la-terre-au-carre/la-terre-au-carre-01-janvier-2020
[2] https://www.timesofisrael.com/why-israel-is-a-pilgrimage-site-for-birds-and-birdwatchers/
[3] https://schechter.edu/why-is-shabbat-shirah-for-the-birds-2/
[4] Midrash Rabba Cantique des Cantiques 1
Paracha Ki Tissa, 13 mars 2020
de Daniela Touati
On 13 mars 2020
dans Commentaires de la semaine
C’est la guerre. Depuis plusieurs semaines, on énumère les morts, par pays et région. D’ailleurs on fait appel à des généraux de l’armée pour gérer cette situation de crise totalement inédite. Et on peut entendre le cri des lanceurs d’alerte dans tous les médias. On ne nous épargne aucun détail des scénarios prévisionnistes les plus noirs faisant suite à la pandémie. Ils nous avaient prévenu, mais nos gouvernants n’avaient pas pris la mesure du danger…tout occupés par leur ‘temps de respiration démocratique’, jolie expression pour parler des échéances électorales. Mais que fait-on de ce temps de respiration, si on ne peut plus respirer ?
Nos concitoyens, pleins de bon sens, gardent leur sang-froid. Je les admire, car, baignant dans l’information en continu depuis mon plus jeune âge, et cernée par les alertes du smartphone, j’ai tendance à facilement céder tantôt à la peur et tantôt à la colère.
Ces émotions qui s’enchevêtrent nous sont devenues familières, comme une seconde peau qui remonte à intervalles réguliers à la surface, crise après crise. On y saute à cloche pieds à chaque poussée de terrorisme, antisémitisme, anti-féminisme, homophobie, voire depuis plus d’un an à une sérieuse crise sociale. Mais la dernière crise sanitaire en date nous a prise par surprise. Chaque crise active nos boutons émotionnels, de plus en plus à fleur de peau. Ce pays est devenu une gigantesque cocotte, prête à exploser. Car la peur, voire la terreur liée à cette pandémie n’est que le préambule à une incontrôlable colère. La frustration face aux entraves à nos libertés de mouvement, de réunion, voire de contact avec les autres, et encore pire l’inconnu de l’évolution de la maladie nous plongent dans une situation inédite.
Nos ancêtres étaient bien plus habitués à ces phénomènes et se montraient plus fatalistes. Lorsqu’une épidémie décimait une région, les peuples de l’Antiquité se tournaient vers leurs dieux avec des sacrifices, convaincus que c’était le résultat de la colère divine et que les sacrifices les apaiseraient.
Le Dieu de la Torah est décrit dans de nombreux épisodes comme irascible, et prêt à punir son peuple lorsqu’il a dévié. C’est le cas aussi dans Ki Tissa, où suite à la construction du veau d’or, YHWH fait le vœu d’anéantir son peuple. En bon leader Moïse intercède et réussit à le calmer. Mais lorsqu’il voit la débauche de son peuple, Moïse lui-même se laisse aller à la colère contre les hébreux.
L’épisode du veau d’or représente un paroxysme de la colère, où pour trouver une échappatoire à son angoisse, on fabrique un masque et on se crée un dieu. On perd le contrôle et on agit de manière totalement désordonnée.
Et si l’idolâtrie n’était pas l’acte de se créer un nouveau dieu en or, mais plutôt le moment qui le précède, ce tohu bohu émotionnel qui fait dévier du chemin ? Maimonide ne s’y est pas trompé quand il a qualifié celui qui se met en colère d’idolâtre[1].
Et pourtant, nos sages nous mettent régulièrement en garde contre cette émotion incontrôlable. D’ailleurs, il y a plusieurs termes en hébreu pour exprimer nos exaspérations, avec des nuances qui vont de la frustration, à la colère contenue voire à la rage avec des termes comme kaas, ragaz ou katzaf.
C’est l’expression hara af – la colère brûlante qui sort du nez, comme la moutarde, qui est répétée ici pour exprimer le ressenti de Moïse et de Dieu – si on peut dire. C’est un souffle court, une inflammation interne, une irritation dévastatrice. A contrario, un des attributs divins est erekh apaïm longueur de narines et exprime, cette capacité à prendre de longues bouffées d‘air et de faire preuve de patience.
Selon le Traité des Pères 5:11, il y a « quatre genres de tempérament : facile à irriter et facile à calmer, son inconvénient est compensé par son avantage ; difficile à irriter et difficile à calmer son avantage est perdu par son inconvénient ; difficile à irriter et facile à calmer, c’est un homme intègre (un hassid) ; facile à irriter et difficile à calmer, c’est un injuste un rasha (méchant littéralement) ».
L’ancien Grand Rabbin anglais Jonathan Sacks, dans un de ses commentaires sur la colère cite le livre Orchot Tzadikim, du 15e siècle qui enseigne que la colère détruit les relations personnelles. Elle chasse les émotions positives – le pardon, la compassion, l’empathie et la sensibilité. Il en résulte que les personnes irascibles finissent par se sentir seules, rejetées et déçues. Les personnes de mauvaise humeur n’obtiennent rien d’autre que leur mauvaise humeur selon le talmud.[2] Elles perdent tout le reste.
Rabbenou Yona[3] nous dit qu’il est inéluctable d’être irrité et en colère, mais si la personne le fait avec difficulté et lorsqu’elle n’a pas d’alternative, cela reste une preuve de sagesse. Et il ajoute, ‘il est bon de se calmer aussitôt, au sein même de sa colère, sans attendre qu’elle nous ait quittés.’ L’homme intègre, nous dit-il, s’apaise facilement et c’est là une dimension de l’intégrité et de la générosité.
La colère n’est pas toujours mauvaise conseillère, il y a de saines colères, nécessaires et constructives, car canalisées. De celles où on se lève pour redresser une injustice et où la solidarité humaine joue son rôle.
En cette période de grande anxiété et incertitude sur l’avenir, certains se lèvent pour dire non ! Dire non à l’isolement, dire non à l’abandon des plus fragiles d’entre nous, et ils prennent des initiatives. Un couple londonien a envoyé une lettre avec un simple questionnaire à tous ses voisins de rue pour connaitre leurs besoins. Alors qu’ils ne les connaissaient pas, bien qu’habitant le quartier depuis 11 ans. Ils comptent ensuite mettre en place une chaine de solidarité (porter des courses, repas chauds, appels).
Une collègue américaine s’est rendue disponible tous les midis pour un déjeuner virtuel, afin de permettre à ses membres de discuter avec le rabbin à distance et ainsi sortir des personnes de leur isolement. D’autres ont écrit de très belles prières pour l’occasion.
Nous devons tous nous adapter à ces nouvelles circonstances et réagir au jour le jour avec le plus d’humanité et de flexibilité. Chacun d’entre nous doit rester attentif à sa famille, ses amis, ses voisins et garder un lien – au moins virtuel comme nous le précisent les autorités compétentes.
A KEREN OR nous restons mobilisés et à l’écoute de chacun d’entre vous pour vous apporter du soutien et du réconfort.
Eternel notre Dieu, source de guérison, garde nous en bonne santé et en lien les uns avec les autres face à cette pandémie. Refoua shlema, une santé pleine et entière du corps et de l’esprit, à tous ceux qui sont malades. Force et courage à ceux qui les entourent de leurs soins. Amen
Shabbat shalom!
[1] Maimonide, Mishne Torah, Hilchot Deot 2 :3.
[2] Talmud Kiddoushin 40b
[3] De Gerone, 1200-1264.